Quel ingrat !
La semaine dernière, mon mari est allé retirer pour moi un colis chez la fleuriste qui fait office de relais colis à côté de chez nous.
En voyant le nom de l'expéditeur (Envie de fraises), la fleuriste a demandé à mon mari si un bébé allait bientôt arriver. Il lui a alors dit qu'il était arrivé quelques jours plus tôt mais que sa femme - moi, donc - avait toujours besoin de vêtements de grossesse.
Comment ?!
Quoi ?!
Pardon ?!
Certes, mon ventre ne ment pas : il a bien accueilli trois bébés en deux ans, entre fin janvier 2013 et début février 2015.
Mais :
- Ce n'est pas un vêtement de grossesse mais un pyjama d'allaitement à manches longues que j'ai commandé car, vois-tu, mon cher époux, on a beau avoir du chauffage dans la maison, quand tu dois sortir de dessous ta couette bien chaude pour aller nourrir ton enfant, eh ben il pèle !
- Je rentre dans mes vêtements d'avant Hector et d'avant Élise et Gaspard.
- Tu avais remarqué, la veille de ce fameux jour et tout seul comme un grand, que je rentrais même dans l'un de mes pantalons moulants.
- Je pèse à ce jour 2 kilos de moins qu'avant Hector.
Alors, la prochaine fois que tu vois la fleuriste, tu as intérêt à rétablir la vérité ! Non mais !
Préparatifs
Pour la sécurité sociale, le terme pour la naissance de Hector est prévu le 14 février. Pour beaucoup, c'est une bonne date - rapport à la Saint Valentin.
Premièrement, cette date ne veut rien dire pour mon mari et moi. Nous ne l'avons jamais fêtée, préférant célébrer nos anniversaires de rencontre et de mariage, bien plus significatifs.
Deuxièmement, je ne vois pas le rapport entre la Saint Valentin et la naissance prévue d'un enfant. Ah si, un enfant, c'est le fruit de l'amour de ses parents, tout ça, tout ça.
Pour l'hôpital où je suis suivie, le terme serait plutôt prévu le 10 février, c'est-à-dire dans un moins d'un mois. Le compte-à-rebours ayant commencé et une fausse alerte ayant retenti il y a quelques jours déjà, il est temps de poursuivre les préparatifs de l'arrivée de Hector.
Nous ne savons même pas encore comment nous allons faire, en termes d'organisation et d'aménagement des chambres, notamment par rapport au fait que Gaspard porte encore des couches et que notre commode à langer est dans la chambre de Hector. Mais il y a au moins deux choses que nous avons préparées : les premiers vêtements de Hector et la valise pour la maternité.
Les vêtements
Concrètement, ça a commencé samedi par du tri dans les vêtements de bébé. Heureusement que ma cousine, qui nous avait prêté des vêtements pour Gaspard, est elle aussi enceinte (de quelques semaines de moins que moi) : c'est ce qui m'a motivée à mettre de côté d'une part les vêtements à lui rendre, d'autre part les premiers vêtements que Hector portera.
J'ai voulu commencer ce tri alors que j'étais seule avec Gaspard. Vaquer à ses occupations tout en veillant sur un petit bout de presque 16 mois qui court partout n'est pas chose aisée, surtout à 8 mois de grossesse et quand lesdites occupations ne sont pas neutres émotionnellement.
Je n'en avais pas conscience (mais devais le savoir quand même, quelque part au fond de moi, vu le nombre de fois où j'ai reporté ce tri pourtant inévitable) mais m'occuper de ces vêtements a fait (re)surgir beaucoup d'émotions. De la nostalgie, des regrets, des fantasmes, de la joie, de l'impatience, de la peur.
Parce que la dernière fois que j'ai préparé ces mêmes vêtements, c'était pour Gaspard et Élise était encore là, encore vivante même. Quelle situation cruelle, quand j'y repense : préparer des vêtements pour son fils en faisant comme sa fille n'était pas là !
Parce que la dernière fois que j'ai préparé des vêtements de nouveau-né, j'aurais dû les préparer pour deux nouveaux-nés.
Parce que je suis heureuse de préparer ces vêtements pour Hector mais que tant qu'il ne sera pas là, dans mes bras, vivant, une alarme sera active dans ma tête.
Je n'arrivais pas à me concentrer, à m'organiser ; Gaspard m'énervait pour un oui ou pour un non ; les larmes coulaient. Mon mari est finalement rentré et s'est occupé de Gaspard pour me laisser souffler et terminer aussi tranquillement que possible.
Ces préparatifs, en apparence si banals et si joyeux, ne se sont pas faits sans mal.
Et dire qu'il faudra bientôt remettre ça, puisque je me suis pour l'instant contentée du minimum : mettre de côté les vêtements taille naissance et taille 1 mois.
La valise
Déjà avant la fausse alerte de fin décembre, mon mari et moi avions en tête qu'il ne faudrait pas tarder à préparer la fameuse "valise pour la maternité". Là encore, j'ai repoussé le moment fatidique, plus ou moins consciemment. Ce n'est que dimanche que je me suis décidée à rechercher, sur l'ordinateur, la liste que j'avais faite pour la naissance des grumeaux. Doutant de l'avoir conservée, je n'étais pas sûre de la retrouver. Finalement, elle m'attendait bien sagement. Et quelle ironie en voyant la date de dernier enregistrement de ladite liste : le 7 septembre 2013. Même si j'ai passé deux autres nuits chez moi entre ce 7 septembre et la naissance d'Élise et Gaspard, cette date marque pour moi le début de la fin de la grossesse des grumeaux.
Mon mari s'attend donc à ce que l'histoire se reproduise : le jour où j'aurai bouclé la valise pour Hector marquera la fin de cette grossesse. ;-) Et c'est justement aujourd'hui que je m'y attelle !
Là aussi, beaucoup d'émotions en passant en revue ce que nous avions prévu d'emporter pour Gaspard et Élise : la liste était tellement plus courte et plus lourde de sens d'un côté que de l'autre...
Une preuve de plus, pour ceux qui en auraient besoin, qu'apprendre à vivre avec l'absence de son enfant est un travail de tous les instants...
Une jolie robe
Vendredi dernier, je suis sortie prendre un verre en terrasse avec une amie. Avec le soleil qu'il faisait, je me suis fait la réflexion qu'il fallait que je protège la tête de Gaspard. Nous avons donc fait un crochet dans une boutique pour enfants pour y trouver une casquette ou un bob.
J'ai trouvé ce que je cherchais pour Gaspard - et même plus. Je me suis en effet fait plaisir pour cet été car, depuis sa naissance, nous n'avons choisi nous-mêmes que quelques pyjamas et paires de chaussettes : tout ce qu'il porte vient de dons, prêts ou cadeaux !
Quand je me retrouve dans ce genre d'endroit, je prends par ailleurs toujours le soin d'éviter les rayons "petite fille" - c'est encore trop douloureux - mais la boutique était trop petite pour que je ne remarque pas cette jolie petite robe dans laquelle je t'imaginais si bien...
Depuis que tu n'es plus là (as-tu seulement été vraiment là ?), je me suis toujours dit que si quelque chose - un vêtement, un doudou - me plaisait au point de t'imaginer avec, je m'autoriserais à le prendre. Cette robe aurait été la première occasion. Mais je ne l'ai pas fait.
Peut-être parce que je n'étais pas seule.
Peut-être parce que j'ai eu peur que la vendeuse ne me pose des questions auxquelles je n'avais pas envie de répondre.
Peut-être parce que je me suis rendu compte que c'était absurde. Mais ton absence n'est-elle pas ce qu'il y a de plus absurde dans ma vie ?
Peut-être parce que j'ai compris que voir cette robe chez nous, sans petite fille à y glisser, me ferait plus de mal que de bien.
Pierre après pierre
Je ne sais pas pour vous mais, quand il fait beau, j'ai envie que les choses soient en ordre et à leur place. Alors aujourd'hui, le soleil printanier aidant, j'ai fait un peu de tri et de rangement, en particulier sur l'ordinateur. J'ai notamment fait le ménage dans tous les favoris Internet.
Je ne vous cache que ça m'a fait drôlement mal au cœur de supprimer tous les liens que j'avais mis de côté en début de grossesse, sur les poussettes doubles et l'allaitement de jumeaux en particulier.
Dans le lot, il y avait aussi tous ces liens sur les fentes labio-palatines, sur la dilatation ventriculaire, sur l'interruption de grossesse.
Et puis il y avait les liens de repérage vers les seuls vêtements d'Élise.
Tout cela est derrière nous.
Je suis restée sur ma simple envie, non assouvie, d'allaiter mes jumeaux.
Nous avons dû nous contenter d'une poussette simple.
Nous savons qu'une fente labio-palatine peut s'opérer et se réparer, même de façon imparfaite.
Nous connaissons les enjeux et les impacts de la dilatation ventriculaire.
Nous vivons dans notre chair et dans notre cœur le drame de l'interruption de grossesse.
Nous avons un double de la robe grise et du body qu'elle porte.
Mais ce qui n'est pas derrière nous, c'est le manque d'elle, son absence, le vide qu'elle a laissé.
Une nouvelle pierre - un nouveau petit caillou, plutôt - à l'édifice du deuil, sans doute.
Une nouvelle page qui se tourne. Parce qu'il faut bien tourner les pages pour que l'histoire puisse continuer à s'écrire, malgré son absence, avec son absence, avec elle quand même.
Il y a...
Dans sa boîte à souvenirs, sur un morceau du même tissu qui a servi à l'étagère de Gaspard, il y a...
- une photo d'elle avec la grenouille que ma maman lui a tricotée et les chaussons que je lui avais tricotés
- un doudou-ours brodé à son prénom et offert par des amis de mes beaux-parents
- un doudou-lapin brodé à son prénom et sa date de naissance offert par le parrain de mon mari et son épouse
- un kaléidoscope rempli d'étoiles offert par la cousine de mon mari et son époux
- le papillon décoratif qu'il y avait parmi les premières fleurs posées sur sa tombe
- le petit écriteau décoratif avec son prénom qu'il y avait parmi les premières fleurs posées sur sa tombe
- le double de son bracelet de naissance
- la même étoile que nous avons posée tout en haut de notre sapin de Noël et que nous avons offerte à nos parents, frères et belle-sœur pour leurs sapins de Noël
- une branche de bruyère et un caillou de la première composition florale que nous lui avons déposée
- l'enveloppe avec ses empreintes prises peu après sa naissance
- l'album Starmyname à son prénom - le même que son frère
- les cartes qui lui sont adressées : mon frère et ma belle-sœur, une amie de mes beaux-parents, une amie et son époux, le cousin de ma mère, son épouse et sa fille
- un exemplaire du faire-part
- le journal municipal de notre ville où elle et son frère figurent dans la rubrique Naissances
- le body que la tante de mon mari avait acheté pour elle avant que l'on ne sache qu'elle ne viendrait pas au monde vivante
- la pochette dans laquelle se trouvait le bracelet-étoile que mon mari m'a offert à Noël "au nom d'Élise"
- la boule à neige-ange que des amis nous ont offerte
- une rose séchée du jour de son enterrement
- le coffret des pompes funèbres avec ce qui me relie au jour de son enterrement, ce 23 septembre : les cartes qui accompagnaient les fleurs, mon autorisation de sortie provisoire de l'hôpital, les tickets de péage, le texte qui a été lu
- ses petites Converse - les mêmes que son frère
- le courrier que nous avons reçu de la part du PDG de l'entreprise de mon mari et qui mentionne aussi bien Élise que Gaspard
- le DVD des photos d'Élise en salle de naissance
- le sac plastique rayé blanc et bleu dans lequel sa grenouille a patienté cet été en attendant de la rejoindre et que je n'ai pu me résoudre à jeter
- le double des vêtements qu'elle porte : un body blanc, une robe gris clair avec de petites étoiles blanches brodées, une culotte assortie à sa robe, des soquettes blanches, les chaussons roses apportés par ses grands-parents paternels et le bonnet rose tricoté par sa grand-mère maternelle
- le bonnet rayé blanc et gris tricoté par ma mère, qu'elle portait à sa naissance, qu'elle portait lors de l'autopsie, qui porte des traces de son sang et que je ne laverai jamais
Et toute ma vie je continuerai à remplir sa boîte, avec tout ce qui me fera penser à elle...
Un signe ?
Mes chemises de nuit d'allaitement commençant à se faire un peu légères avec les températures qui baissent, j'ai décidé de passer au pyjama d'allaitement. Sur émoi émoi, j'ai repéré un modèle qui me plaît. Au moment de valider la commande, je me suis rendu compte que le modèle de pyjama s'appelle... Élise !
Rideaux !
Waouh, j'ai terminé toute seule les rideaux de l'étagère provisoire de Gaspard ! :-)
Et merci, Chou, de les avoir posés !
RDV avec le Pr Verspyck - Des tas de questions
Demain, nous voyons le Pr Verspyck pour lui faire part de notre décision de pratiquer l'interruption de grossesse pour Élise. Au-delà de tous les doutes et interrogations qui nous assaillent, se posent aussi beaucoup de questions bêtement terre-à-terre...
- Quand aura lieu l'ISG ?
- Quand vais-je rentrer avant l'ISG ?
- Quand vais-je sortir après l'ISG ?
- Le cerveau d'Élise sera-t-il drainé lors de l'ISG, comme l'avait évoqué le Dr Diguet ?
- Mon mari pourra-t-il rester à mes côtés pendant l'ISG ?
- A part psychologiquement, est-ce que ça change quelque chose à la fin de la grossesse de porter un bébé mort et un bébé vivant ?
- L'accouchement sera-t-il programmé ?
- Si oui, quand ?
- Le rendez-vous avec l'anesthésiste prévu le 13 septembre est-il tardif ou non ?
- Est-ce que ce sera un accouchement par voie basse ou par césarienne ?
- Mon mari pourra-t-il rester avec moi dans les deux cas ?
- Qui sortira en premier : Élise ou Gaspard ?
- Pourrons-nous voir Élise entre l'accouchement et l'autopsie ?
- Si oui, pendant combien de temps ?
- Si oui, en même temps que son frère ?
- Si oui, sera-t-elle habillée entre l'accouchement et l'autopsie ?
- Si oui, comment : avec des langes de l'hôpital ou avec des vêtements que nous aurons apportés pour elle ?
- Si oui, qui l'habillera ?
- Pourrons-nous prendre des photos d'elle et avec elle ?
- Pourrons-nous prendre ses empreintes ?
- Élise aura-t-elle un bracelet de naissance que nous pourrons garder ?
- Au bout de combien de temps Élise sera-t-elle emmenée pour l'autopsie ?
- Combien de temps sera-t-elle gardée pour l'autopsie ?
- Où sera-t-elle entre l'autopsie et la mise en bière ?
- Qui habillera Élise après l'autopsie ?
- Pourrons-nous revoir Élise après l'autopsie ?
- L'hôpital pourra-t-il garder Élise jusqu'à ce que Gaspard et moi soyons aptes à quitter la maternité ?
- Si oui, combien de temps au maximum, au cas où Gaspard doive séjourner en néonatalogie ?
- Si j'accouche par césarienne, pourrai-je faire deux heures de route dès la sortie de la maternité pour aller enterrer Élise dans le Pas-de-Calais ?
- Si Gaspard est en bonne santé, pourrons-nous lui faire faire deux heures de route dès la sortie de la maternité pour l'emmener avec nous à l'enterrement d'Élise ?
Vêtements attendent Gaspard bien sagement
Ça y est P'tit loup, même si ta commode n'est pas encore là, tu peux arriver... mais pas trop vite quand même ! Prends le temps de grandir, profite de ta sœur et laisse-nous profiter encore un peu d'elle...
Maman n'a plus qu'à coudre le tissu pour en faire un joli rideau anti-poussière et anti-soleil !
Et c'est parti !
Première tournée de linge pour Gaspard...
... pendant que les autres attendent leur tour !
J'en profite pour remercier tous ceux qui nous ont fait bénéficier de ces cadeaux, prêts et dons car, alors que nous n'avons pour l'instant acheté aucun vêtement, P'tit loup a déjà de quoi voir venir !
Merci à Mamoun' et Papoun', beau-papa et belle-maman, tata Béa et tonton Robert, Caroline et Guillaume, Fabrice et Hwa-Jean, Tiph et Maxence !