3 mois
Hier, cela a fait trois mois que ton cœur s'est arrêté...
Ironie du sort, coïncidence, masochisme ? C'est également hier que j'ai trouvé le temps de ranger et classer tous les documents de la grossesse : analyses de sang, échographies, caryotype, étude pangénomique, accouchement, autopsie...
Comme une façon de reprendre l'histoire depuis le début pour un jour tourner cette page, sans jamais refermer le livre, je me suis replongée dans ces documents, un à un.
J'ai à nouveau ressenti chaque émotion, une à une.
J'ai revécu chaque étape, une à une.
L'excitation.
L'inquiétude.
La confiance.
La claque.
L'espoir qui se transforme en peau de chagrin.
L'électrochoc.
La prise de décision.
L'attente, mêlée d'impatience, d'angoisse et d'envie d'arrêter le temps.
La préparation de ton arrivée.
Ton départ.
Ton arrivée et celle de ton frère.
L'adieu.
La réalité en pleine face.
Retour en arrière - Épisode 7 - Une journée belle à pleurer
Dernier billet de retour en arrière pour clôturer cette drôle d'aventure, qui continue... différemment...
Comme mon mari et moi ne sommes Normands que d'adoption et que nous avons l'intention de remonter dans le Nord-Pas-de-Calais d'ici quelques années, nous avons décidé d'y enterrer Élise, pour qu'elle soit chez nous et que nous n'ayons pas à la faire exhumer quand nous déménagerons.
Nous avons choisi un lieu symbolique pour nous - celui où nous nous sommes rencontrés - et facile d'accès à la fois pour nous, pour ses grands-parents et pour ses oncles et tante.
Depuis l'accouchement, Élise reposait à la chambre mortuaire de l'hôpital. Pendant ces quelques jours, nous avons pu y aller aussi souvent que nous l'avons souhaité ; nous avons pu la toucher, la caresser, l'embrasser, la regarder, la prendre en photo. Mais, à chaque fois, nous avons dû limiter notre visite à quelques minutes car la trivialité de la réalité s'imposait rapidement à nous : de la condensation apparaissait sur sa peau, son visage, ses lèvres. Une façon cruelle de nous rappeler qu'elle n'était pas simplement endormie mais que, lorsque nous n'étions pas à ses côtés, elle reposait dans un frigo...
Ce lundi 23 septembre est la dernière fois où nous l'avons vue et prise en photo. Détail aussi précieux qu'insignifiant : j'ai une photo de ses cheveux aussi foncés que les miens, alors que son frère a les cheveux clairs du papa.
Ce lundi 23 septembre est la dernière fois où j'ai pu la regarder, la toucher, la caresser, poser ma main sur la sienne et lui dire que je l'aime en la regardant...
Elle était belle, elle portait un body blanc, une robe gris clair avec de petites étoiles blanches brodées, une culotte assortie à sa robe, des soquettes blanches, les chaussons roses apportés par ses grands-parents paternels et le bonnet rose tricoté par sa grand-mère maternelle. Elle était accompagnée par sa grenouille et les chaussons que je lui avais tricotés. Son bracelet de naissance était posé à côté d'elle (d'ailleurs, si nous avions su qu'ils le lui retireraient du poignet, nous aurions emporté son bracelet pour le remplacer par le double que Franck nous avait préparé). Mon mari aurait voulu déposer une photo de Gaspard à côté d'elle mais nous n'en avons pas eu la présence d'esprit suffisamment tôt.
L'officier des pompes funèbres est arrivé du Pas-de-Calais en début de matinée. La mise en bière a eu lieu à 11h15. Mon mari et moi avons pu assister à la fermeture du cercueil - un joli cercueil blanc, minuscule, avec son prénom et son nom et un petit nounours doré. Nous ignorions ce dernier détail mais nous l'avons préféré à un ange, une symbolique souvent associée aux bébés décédés mais qui ne nous parle pas vraiment.
Les scellés ont été posés à 11h30. Nous avons pris la route vers le Pas-de-Calais à 11h45. Nous avons suivi le corbillard toute la route. Arrivés à destination, nous avons laissé les pompes funèbres préparer l'inhumation loin de nos regards. Nous nous sommes retrouvés avec mes parents, mon frère et ma belle-soeur, les parents et le frère de mon mari pour déjeuner tous ensemble avant de retourner au cimetière à 15h30. Nous n'avions pas prévenu grand-monde que l'enterrement se déroulait ce jour-là mais Élise a quand même reçu des fleurs : ses grands-parents, nos amis proches, les parents d'une amie proche eux-mêmes touchés par la perte d'un bébé, les collègues de sa grand-mère maternelle, son arrière-grand-mère paternelle, mon oncle et sa famille, les oncles/tantes/cousines de mon mari. Parmi ces personnes, la plupart n'ont connu et ne connaîtront Élise qu'à travers nous, et pourtant...
Le soleil brillait de mille feux ; nous l'avons interprété comme la présence de son frère. Nous n'avions pas su choisir de texte, c'est donc l'officier des pompes funèbres qui en a choisi un pour nous, qu'il a lui-même lu sur une musique que mon mari et moi avions choisie, l'Adagio pour cordes de Samuel Barber.
Me glissant au creux du ventre de celle qui m'a tant desirée
Je ressens déjà son amour, le bonheur que je lui ai procuré
J'entends son coeur qui bat, cette douce mélodie qui me berce
Je sens la chaleur de ses mains, la douceur de ses caresses
Elle me parle, me dit combien elle m'aime
Moi aussi, Maman, tu ne peux imaginer à quel point je t'aime
Me voilà simplement qu'un infime petit être
Un petit être qui grandit de jour en jour et qui n'attend qu'à naître
Mais que se passe-t-il ? Que m'arrive-t-il ?
Moi qui étais tellement bien, en sécurité, enveloppée
Pourquoi me retire-t-on de ce nid qui m'était offert ?
Pourquoi m'enlève-t-on la chance de vivre sur cette terre ?
Je ne sais pas où je me dirige, où je m'en vais
Je ne comprends ce qui m'arrive, ce que j'ai fait
Maman, je voulais tellement vivre et dans tes bras me retrouver
Je ne t'ai que trop peu connue mais tellement aimée
Défilant devant la lune et les étoiles, je survole maintenant cette terre
Côtoyant les nuages, je suis un petit ange dans cet immence univers
Regrettant de tout cœur le malheur que vit ma mère
Je ne cesse d'entendre sa voix qui m'appelle et qui m'espère
Arrêtant devant ma maison, je regarde à la fenêtre
C'est elle, qu'elle est belle, qu'elle est douce, elle était parfaite
Je l'entends qui m'appelle, je ressens tellement son amour maternel
J'entends ses prières, je l'entends supplier le ciel
Maman, j'aimerais terriblement mettre un baume sur ton cœur
Le soulager car il est tellement meurtri par la douleur
Je désirerais sécher tes larmes et ne pas t'incomber ce malheur
Revoir seulement ton sourire, celui qui était rempli de bonheur
Je ne suis qu'un ange qui a seulement envie de se retrouver
Dans les bras de celle qui lui était destinée
Mais la vie, contre mon gré, en a décidé autrement
N'oublie jamais à quel point je t'ai aimée, Maman
Je serai toujours là et toujours je veillerai sur toi
Ne t'en fais pas, je suis bien, ne pleure pas
Au fil des jours, je serai à tes côtés je t'épaulerai
Car n'oublie pas, Maman, un jour je te retrouverai
En substance, c'est ce moment que nous avons vécu, devant le cercueil de notre fille, prêt à être déposé au fond de son caveau :
Nous nous sommes ensuite recueillis devant son cercueil, avec mon mari. Puis ce fut au tour de nos frères et belle-soeur. Enfin, ce sont les quatre grands-parents, se tenant par la main, qui ont pris quelques instants pour lui dire adieu. L'officier a ensuite proposé à mon mari de l'aider à porter son cercueil jusqu'à la tombe : j'ai porté ma fille dans mon ventre, mon mari l'a portée dans son cercueil... Tous ces moments se sont déroulés avec, pour fond sonore, la chanson Sois tranquille d'Emmanuel Moire, que nous avions également choisie :
Avant de lui dire adieu, je lui ai promis de parler d'elle à son frère, de la faire vivre à travers nous. Elle fait partie de notre famille, de notre histoire, de nous. Je n'oublierai jamais le moment où je l'ai vue pour la première fois, où je l'ai mise au monde...
Aujourd'hui, je revois sans cesse cette image : son tout petit cercueil reposant au fond de ce si grand caveau... Et j'imagine ma fille toute seule, loin de nous, dans le froid, dans le noir... et mon coeur se brise en mille morceaux à chaque fois...
Retour en arrière - Épisode 6 - Un pont entre deux rives
C'est comme ça que je me suis sentie entre l'accouchement et l'enterrement : comme sur un pont entre deux rives...
Jeudi 19 septembre
L'une des premières pensées qui me sont venues à l'esprit est que je suis "contente" que l'ISG et les naissances n'aient pas eu lieu le même jour. Pour nous qui pouvons distinguer naissance et mort, pour Élise qui n'est pas qu'une date, pour Gaspard dont la naissance est associée à la naissance et non à la mort de sa soeur. De toutes petites choses qui aident à apprivoiser la réalité.
Le Dr Clavier, le Dr Brasseur et le Pr Marret ont eu la délicatesse de passer nous voir. Mais pas le Pr Verspyck. N'a-t-il pas eu le temps ou tout simplement pas l'envie ?
La psychologue est passée elle aussi. Elle nous a confié qu'elle n'arrêtait pas d'entendre parler de moi depuis le matin. Mon mari m'a aussi dit que j'avais assuré pendant l'accouchement et les sages-femmes n'arrêtaient pas de me dire que c'était "génial" ce que je faisais mais j'imagine que c'est leur façon d'encourager toutes les mamans en plein travail.
J'ai essayé de regarder les photos que nous avions faites d'Élise mais il était encore trop tôt, je n'ai pas pu. En plus, du peu que j'ai vu, je l'ai (déjà) trouvée moins belle que dans mes souvenirs tout récents. Mais j'étais sûre que j'aurais le besoin et le courage de les regarder plus tard, quand mes images deviendront floues.
Du vendredi 20 au dimanche 22 septembre
Ce vendredi matin, en attendant l'arrivée de notre famille proche, mon mari et moi avons pris notre courage à deux mains pour aller voir Élise à la chambre mortuaire de l'hôpital. Comme j'étais encore incapable de marcher longtemps et que la chambre mortuaire est située à quelques dizaines de mètres de l'unité kangourou, mon mari m'y a conduite en fauteuil roulant.
L'employé que nous avons vu a été très discret et respectueux et est allé chercher Élise dès notre arrivée pour l'installer dans une pièce dédiée au receuillement, puis il nous a permis d'entrer. J'ai fondu en larmes en la voyant. Je crois que mes jambes ne m'auraient pas soutenue si je n'avais pas été assise. Après la déception que j'ai ressentie en voyant nos photos d'elle en salle de naissance, j'appréhendais de la revoir mais j'ai été soulagée de la voir, de constater qu'elle n'avait pas "bougé", qu'elle était toujours mon petit bébé, inerte, sans vie mais pas morbide.
En la voyant, je n'ai pu m'empêcher de me demander si nous avions fait le bon choix. Je crois que je me le demanderai toute ma vie. C'était tellement insupportable de la voir morte, par notre faute en plus... Je me demande même si j'ai le droit de l'aimer et de la pleurer après ce que nous lui avons fait.
Les parents et le frère de mon mari ont pu aller voir Élise dès le matin mais mes parents et mon frère sont arrivés alors qu'elle venait de partir pour l'autopsie, en début d'après-midi. Il leur a donc fallu patienter encore pour la voir. Alors que, pendant la grossesse, nos frères et belle-soeur n'étaient pas sûrs de vouloir la voir, arrivés au moment fatidique, ils ont tous les trois souhaité la voir. J'en suis heureuse car je suis intimement persuadée que, dans le cas contraire, ils auraient regretté de n'avoir pu lui donner corps et de n'avoir pu lui dire au-revoir.
À son retour de l'autopsie, Élise n'avait toujours pas "bougé". Nous craignions qu'elle ne soit abîmée mais ce n'était pas le cas. Il faut dire qu'elle était habillée et que seuls son visage, ses mains et ses jambes étaient à nu. Depuis l'accouchement, elle portait le même bonnet que Gaspard, gris et blanc à rayures, mais ce n'était pas celui que nous lui destinions pour partir définitivement. À son retour de l'autopsie, nous avons remarqué des tâches de sang à l'arrière de son bonnet, là où elle avait probablement été ouverte. Nous avons "profité de l'occasion" pour demander aux employés de la chambre mortuaire de remplacer ce bonnet, que nous allons garder précieusement sans le laver, par le bonnet rose tricoté par ma mère et qui lui était destiné depuis plusieurs mois.
Le dimanche, la grand-mère de mon mari, qui vit en banlieue dans l'est parisien, a subitement eu envie de voir Élise avant qu'il ne soit trop tard. Elle a donc eu le courage de faire plus de cinq heures de taxi aller-retour pour venir voir ses arrières-petits-enfants. Je suis heureuse qu'elle ait pu voir Élise, elle qui ne parlait que de Gaspard pendant la grossesse. Seul mon mari était avec elle à la chambre mortuaire et il m'a rapporté les paroles qu'elle a dites à son arrière-petite-fille : "Ce n'est pas moi qui devrais être là, c'est toi qui devrais être à mon enterrement." Tellement simple, tellement vrai.
Ma fille, mon amour, ma princesse, ma poupée, mon étoile filante, pardonne-nous, pardonne-moi...
Quelques unes des réflexions qui me sont passées par la tête pendant ces quelques jours
C'était une immense douleur de la voir mais une nécessité absolue. Avec Gaspard, nous avons signé un CDI. Avec Élise, nous avons signé un très court CDD alors il nous fallait en profiter tant qu'il était encore temps.
On parlait toujours d'Élise en tant que petite soeur de Gaspard, comme une petite chose fragile, mais finalement c'est elle la grande soeur. C'est elle l'aînée, c'est elle notre premier enfant.
On avait vu Élise et Gaspard près de huit mois auparavant, au moment du replacement d'embryons dans le cadre de notre troisième FIV, alors qu'ils n'étaient chacun encore qu'un amas de quatre cellules et à présent ils étaient tous les deux là en chair et en os.
Comme c'est compliqué de vivre le deuil et la naissance en même temps. Comme ce grand écart psychologique est difficile à vivre. Et pourtant je n'ose imaginer ce que vivent les parents qui n'ont que le deuil, l'absence, le vide. Gaspard ne peut pas empêcher nos larmes de couler mais il est là pour les sécher : quel bonheur et quel réconfort quand nous le retrouvions après nos moments avec Élise à la chambre mortuaire.
Retour en arrière - Épisode 4 - Mourir avant de naître
(Premier épisode ici)
(Deuxième épisode ici)
(Troisième épisode ici)
Nuit du mardi 17 au mercredi 18 septembre
Mon mari venant au CHU en métro, nous sommes piétons pour sortir nous changer les idées et le seul restaurant sympa que nous connaissons à proximité se situe à une vingtaine de minutes à pieds (compte tenu du rythme que m'impose mon bidon). Après une quarantaine de minutes de marche aller-retour, pas étonnant que j'aie eu beaucoup de contractions dans la soirée et en début de nuit. Je n'ai pas réussi à fermer les yeux avant 2h du matin, pour me réveiller vers 3h15, puis me rendormir jusque 4h30, heure à laquelle j'ai été réveillée par une brusque et importante sensation d'humidité qui s'est plus que confirmée le temps que j'arrive à la salle de bains. J'ai immédiatement appelé la sage-femme de garde (à qui j'avais déjà eu affaire à de nombreuses reprises pendant notre parcours d'AMP) qui a confirmé qu'il s'agissait bien cette fois de la rupture de la poche des eaux et non d'une simple suspicion comme le week-end précédent. Elle m'a alors donné de quoi rester à peu près au sec, m'a installé un monitoring pour vérifier que les grumeaux allaient bien, m'a fait une prise de sang et m'a mise sous antibiotiques pour prévenir toute infection. Elle a également prévenu l'interne de garde qui devait avertir le Pr Verspyck à son arrivée quelques heures plus tard. Elle a ajouté que, étant donné le contexte, il était probable que tout soit précipité afin d'éviter toute intervention dans l'urgence au cas où le travail se déclencherait spontanément dans les 48 heures.
Mercredi 18 septembre
Je n'ai bien sûr pas pu me rendormir mais n'ai prévenu mon mari que vers 6h30, histoire de le laisser faire une nuit correcte, même si je me doutais que son sommeil ne devait pas être plus serein que le mien. Il est arrivé au CHU moins d'une heure plus tard, tandis que le Pr Verspyck est passé nous voir dès son arrivée à 9h et nous a alors confirmé qu'il souhaitait "écouter la nature" et tout déclencher aujourd'hui. Une sage-femme nous a alors amenés en salle de naissance vers 9h30 et nous a informés que l'ISG et l'accouchement s'y dérouleraient. Un sage-femme, Franck, a alors pris le relais : c'est lui qui allait s'occuper de nous pour la journée. Il nous a annoncé l'ordre des évènements : pose de la péridurale (vu le tableau assez effrayant qui en est fait dans les médias, j'appréhendais un peu mais elle s'est parfaitement déroulée), ISG, déclenchement artificiel, accouchement.
Nous avons patienté jusqu'à l'arrivée du Pr Verspyck et de l'interne, vers 11h30, pour l'ISG.
Mon mari et moi nous demandions si nous souhaitions voir l'échographie en cours d'ISG pour dire au-revoir à Élise mais nous n'avons finalement pas eu de questions à nous poser car ils nous ont isolés derrière un champ opératoire placé sous ma poitrine, comme pour une césarienne. Par ailleurs, pendant toute l'intervention, le Pr Verspyck, l'interne et Franck ont eu la délicatesse de chuchoter. Nous avons donc été épargnés autant que possible pendant ce moment si particulier, le Pr Verspyck se contentant d'annoncer, ce mercredi 18 septembre 2013 à 12h15 : "le bébé est décédé".
Il nous a ensuite simplement prévenus juste avant de procéder au drainage du cerveau d'Élise.
J'avais peur d'être secouée de sanglots pendant l'acte, au risque de gêner la précision nécessaire des gestes, mais j'ai finalement réussi à prendre à peu près sur moi, ne ressentant que le besoin de prendre quelques grandes inspirations.
A l'annonce du décès d'Élise, j'ai demandé à mon mari s'il avait pu lui dire au-revoir dans sa tête et dans son cœur, il m'a répondu que oui.
C'est seulement une fois l'ISG terminée que j'ai fondu en larmes...
Une fois que nous nous sommes retrouvés seuls à nouveau, j'ai demandé à mon mari s'il pensait que nous avions bien fait, il m'a répondu qu'il ne fallait plus se poser la question.
Retour en arrière - Épisode 3 - Du 16 au 17 septembre 2013
(Premier épisode ici)
(Deuxième épisode ici)
Lundi 16 septembre
On me fait la prise de sang pour le bilan hépatique.
Le Pr Verspyck passe dans la matinée et m'examine : le col est ouvert à 2 doigts mais reste tonique. Il prévoit alors une échographie dans l'après-midi ou le lendemain pour vérifier où en est la dilatation d'Élise.
Dans l'après-midi, j'apprends que mon bilan hépatique est normal, il ne manque plus que les résultats des acides biliaires qui doivent être disponibles le lendemain.
Comme convenu, la psychologue nous rend visite et, même si elle me fait toujours pleurer, elle parvient toujours à trouver les mots et à m'apaiser.
Une sage-femme nous informe que des lits d'appoint sont disponibles pour les accompagnants, nous prévoyons donc d'en demander un pour mon mari pour mercredi et/ou samedi soir.
Mardi 17 septembre
Mes acides biliaires sont normaux, toute pathologie hépatique est donc écartée : tous ces petits dérèglements sont probablement liés à la fin de la grossesse et à la gémellité.
Nous avons attendu le Pr Verspyck toute la journée, il est finalement venu nous chercher en fin d'après-midi pour l'échographie : alors que Gaspard continue à bien grandir (son poids est estimé à 2,4 kg), la dilatation d'Élise a elle aussi continué à évoluer... Le Pr Verspyck ne nous a pas donné de chiffre mais j'ai vu à l'écran que son périmètre crânien était de 35 cm... Il nous a simplement fait remarquer toute l'eau qu'elle avait dans le cerveau et qu'on ne distinguait plus du tout les structures cérébrales...
Après l'échographie, le temps que le Pr Verspcyk aille chercher notre dossier, mon mari m'a dit que, d'après la tête qu'il faisait pendant l'examen, il allait sûrement nous annoncer une date pour l'ISG. Il avait vu juste car, à son retour, après nous avoir résumé l'échographie en trois phrases, le Pr Verspcyk nous a parlé de pratiquer l'ISG le lundi suivant, le 23 septembre. Je lui ai fait préciser "l'ISG et l'accouchement dans la foulée", il a confirmé sans préciser le délai entre les deux.
Le Pr Verspyck m'a demandé quel mode d'accouchement je préférais, la voie naturelle étant encore possible selon lui. Comme j'avais eu le temps d'y penser, je lui ai dit que, même si ce serait probablement plus dur psychologiquement sur le coup, je préférais effectivement la voie basse à la césarienne, afin de me remettre plus facilement et plus rapidement. En plus, cela permettra à mon mari d'être assurément présent pendant l'accouchement, ce qui n'était pas garanti en cas de césarienne, et cela posera moins problème pour les prochaines grossesses.
Quelques minutes après notre retour dans la chambre, une sage-femme est venue nous informer que je pouvais aller dîner à l'extérieur si nous le souhaitions, suite à l'annonce du Pr Verspyck : nous avons accepté immédiatement, histoire d'essayer de nous changer les idées un minimum. Elle a également précisé que, tous mes examens étant redevenus normaux, il n'y avait plus de raison de me faire trois monitorings par jour et qu'un seul suffisait, si cela me convenait. J'ai accepté également, me disant que j'en demanderais un le dimanche soir ou le lundi matin.
En sortant de la chambre, nous avons croisé une autre sage-femme qui nous a dit qu'ils avaient prévenu la psychologue mais qu'elle ne pourrait passer que le surlendemain (ce qui nous allait très bien car cela nous laissait le temps de digérer un peu l'annonce avant d'en parler, de verbaliser).
Nous avons alors compris que le Pr Verspyck avait informé toute l'équipe de l'imminence de l'ISG et que le "réseau d'accompagnement" était déjà en marche, en quelques minutes à peine. Cela ne change rien à la situation ni à notre douleur mais un tel soutien et une telle prévenance font du bien.
Ce n'est pas arrivé souvent depuis le 24 mai mais mon homme a craqué dans la chambre, juste après l'annonce de Verspyck...
Au restaurant, la discussion a évidemment tourné autour de la grossesse et de la fin qui approche. Nous nous sentions abattus, comme si nous avions reçu un coup de massue sur la tête. Depuis que notre décision est prise, on essaie de se préparer à l'ISG, on sait que ce n'est qu'une question de temps, que ça ne va pas tarder mais ça fait forcément quelque chose d'avoir une date précise, de se dire que le compte à rebours a commencé, de comprendre que les projections qu'on se fait depuis un moment vont bientôt devenir réalité...
En vrac, quelques réflexions qui me sont passées par la tête :
- C'était notre dernier restaurant à quatre ce soir, la dernière fois qu'Élise "mangeait" en dehors de l'hôpital...
- Les grumeaux seront Balance finalement, ce qui prouve bien que l'astrologie est vraiment n'importe quoi : à quelques jours ou même heures près, sur simple décision médicale ou peut-être sur notre souhait, ils auraient pu être Vierge. Mais Balance, c'est pas si mal pour des jumeaux.
- Je me pose des questions "techniques" ou "logistiques" sur l'ISG et l'accouchement : où aura lieu l'ISG, est-ce que je changerai de pièce entre l'ISG et l'accouchement, est-ce que je vais sentir la différence entre Élise et Gaspard au niveau vitalité et mobilité des bébés lors de l'expulsion, est-ce qu'ils vont nous laisser au moins quelques minutes pour "accepter" l'ISG avant de déclencher l'accouchement ? Mais je ne veux pas les poser car je ne veux pas trop me projeter.
- Finalement, même si je sais maintenant que je ne veux pas garder Élise morte trop longtemps dans mon ventre, j'aimerais que l'ISG et la naissance n'aient pas lieu le même jour.
Retour en arrière - Épisode 1 - Du 8 au 11 septembre 2013
Maintenant que nous prenons nos repères et notre rythme, je trouve un moment pour revenir sur ces dernières semaines, avec les quinze pages de notes que j'ai prises pendant mon séjour à l'hôpital.
Nuit du samedi 7 au dimanche 8 septembre
C'est à ce moment-là que la fin de la grossesse s'est rapprochée, sans qu'on s'en rende forcément compte sur le coup.
Vers 2h20, j'ai été réveillée par une sensation d'humidité. Le temps d'aller vérifier aux toilettes s'il s'agissait d'un écoulement dû à une fissuration d'une des poches des eaux et, croyant que c'était effectivement le cas, de retourner réveiller mon mari, j'ai perdu du sang pendant quelques minutes à peine mais de façon suffisamment abondante pour nous inquiéter et nous inciter à appeler les pompiers, qui m'ont passé un médecin qui m'a à son tour envoyé une ambulance. L'attente n'a duré que quelques minutes mais elle nous a laissé le temps de nourrir des sentiments assez culpabilisateurs : pourvu que Gaspard aille bien, le destin d'Élise étant de toutes façons déjà scellé.
Dimanche 8 septembre
A notre arrivée aux urgences maternité vers 3h30 le dimanche, j'ai été prise en charge rapidement. On m'a alors posé un monitoring qui a confirmé que les deux bébés allaient bien. L'examen clinique qui a été réalisé n'a pas permis de déterminer avec certitude l'origine des saignements : peut-être étaient-ils dus à la présence d'un ectropion cervical (légère modification du col de l'utérus). La sage-femme qui m'a examinée a préféré ne pas investiguer davantage afin de ne pas risquer de faire remonter des bactéries vers l'utérus au cas où l'une des poches des eaux aurait effectivement rompu.
Dans le doute et jusqu'à confirmation par les prélèvements effectués, la sage-femme a jugé qu'il y avait eu rupture d'une des poches et m'a donc placée sous antibiotiques pour prévenir toute infection materno-fœtale, m'a mise sous perfusion pour mettre l'utérus au repos et m'a fait une piqûre en intra-musculaire pour accélérer la maturation des poumons des grumeaux au cas où l'accouchement se précipiterait (je n'en étais qu'à 33,5 SA).
L'échographie réalisée vers 6h00 a confirmé que les grumeaux avaient toujours assez de liquide amniotique et qu'ils étaient correctement positionnés : Élise avait toujours la tête en bas et le dos à gauche tandis que Gaspard était en transverse avec les fesses en l'air et la tête en bas.
On m'a ensuite transférée en unité de grossesses pathologiques (UGP) vers 8h00 le dimanche. Les deux autres monitorings réalisés dans la journée du dimanche se sont avérés rassurants. Connaissant le contexte, la sage-femme a même eu la délicatesse de s'assurer que ça ne nous posait pas problème que le cœur d'Élise soit surveillé, visible et audible.
Lundi 9 septembre
Le hasard faisant parfois bien les choses, il se trouve que c'est le Pr Verspyck qui fait le tour du service tous les lundis matins. En attendant sa visite, j'ai eu droit à un nouveau monitoring et à la deuxième et dernière piqûre de maturation des poumons des grumeaux.
Le Pr Verspyck est ensuite passé, accompagné de trois sages-femmes. Selon lui, il n'y avait pas de rupture de la poche des eaux mais, par acquit de conscience, de nouveaux prélèvements devaient être réalisés à distance des saignements pour le confirmer définitivement. En cas de rupture, je serais gardée sous surveillance ; dans le cas contraire, je pourrais sortir dès le mardi en attendant notre RDV prévu avec le Pr Verspyck le lundi suivant.
Finalement, les prélèvements ont confirmé qu'il n'y avait pas de rupture.
J'ai donc pu sortir dès le mardi 10 septembre, ce qui coïncidait avec l'arrivée de mes parents le soir même, pour 24 heures. Avant ma sortie, l'équipe d'UGP et le Pr Verspyck ont bien précisé qu'il ne fallait pas hésiter à revenir au moindre signe d'alerte.
Mercredi 11 septembre
J'ai passé la journée avec mes parents, tranquillement à l'appart' pendant que mon mari était au travail.
Le soir, en revanche, le retour à la "vie normale", à deux, avec suffisamment de temps pour cogiter, a été fatal : crise de larmes et montée d'angoisses impossibles à calmer.
Le fait de ne plus sentir bouger les grumeaux, aussi bien dans la journée du mercredi que la nuit suivante, n'a pas favorisé non plus la sérénité...