Premier bilan
Loin d'être une amatrice d'alcool ou de vins, j'apprécie cependant un verre de Vendanges tardives avec le traditionnel foie gras de Noël ou un verre de Haut-Médoc avec le fromage.
En 2013, je n'avais pas pu en profiter, puisque j'allaitais Gaspard.
En 2014, je n'avais pas pu en profiter non plus, puisque j'étais enceinte de Hector.
En 2015, je n'ai toujours pas pu en profiter, puisque je suis "sous anti-dépresseurs" depuis maintenant deux mois.
Tout ça pour vous dire que, oui, je prends des anti-dépresseurs.
Et malgré tous mes efforts, qui vont au-delà de ce traitement médicamenteux, je ne vois pas de franche amélioration.
Je suis désormais régulièrement suivie par trois "psy" :
- La psychologue de la maternité qui me suit depuis le début. Confiance et apaisement sont les maîtres-mots de nos rares rencontres. Mais ces bienfaits ne sont que temporaires à chaque fois et ne parviennent pas à m'apporter la sérénité que je recherche. Malheureusement, j'ai dû annuler notre dernier rendez-vous à la dernière minute, programmé sur mon temps professionnel avec l'accord de ma chef, en raison d'une charge de travail trop importante et notre prochain entretien n'est prévu que fin février. J'aurais pourtant eu besoin d'une petite dose de réconfort dont elle a le secret...
- La psychologue du CMP de ma ville. Après notre premier entretien, j'ai failli ne pas donner suite, tellement elle m'avait semblé être dans le jugement et inapte à m'aider. J'ai quand même décidé de ne pas m'arrêter à cette première impression et bien m'en a pris car, même si je suis loin d'avoir beaucoup avancé, j'ai la sensation qu'elle souhaite vraiment m'apporter son aide en m'incitant à me poser les bonnes questions et en me poussant dans mes retranchements. Mais le prix à payer est parfois lourd, tant chacune de nos rencontres - bimensuelles en moyenne - me laisse le cœur en miettes pour plusieurs jours à chaque fois.
- La psychiatre que j'avais déjà rencontrée l'an dernier. Je ne crois pas qu'elle ait été très surprise de me revoir, même si elle s'est bien gardée de me le dire. Beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts depuis notre dernier entretien et pourtant, elle m'a retrouvée quasiment au même endroit sur la berge. Si j'ai accepté - et même décidé - de la revoir, c'est parce que je n'étais plus dans le même état d'esprit qu'en juin 2014 : encore plus mal dans ma tête mais sans doute aussi plus disponible et plus réceptive à toute forme d'aide. Nous nous voyons en moyenne toutes les quatre semaines et à chaque fois c'est son approche globale qui me "plaît". Elle s'intéresse à tout ce qui compose ma vie : mon moral, ma vie professionnelle, ma vie sociale, mes enfants, mon mari, mes projets.
La première fois que je l'ai revue il y a deux mois, elle m'a immédiatement prescrit un anti-dépresseur, presque à ma demande. Les premiers temps, à part des nausées et un assèchement de la bouche, je n'ai pas ressenti grand-chose. Par la suite, j'ai eu l'impression d'être coupée de mes émotions, d'être comme "neutralisée",ce qui n'était pas plus mal. Mais depuis quelques semaines, le moral est à nouveau descendu en flèche, sans raison apparente ou déclencheur particulier.
J'ai également commencé à consulter un ostéopathe mais, là encore pour cause de surcharge de travail, j'ai dû annuler notre dernier rendez-vous et ne sais pas encore quand je pourrai le revoir.
Le bilan de toutes ces pistes est donc pour l'instant plutôt mitigé. Après des débuts "prometteurs", tout a ralenti, stagné ou même reculé. Mais peut-être la période des fêtes de fin d'année n'est-elle pas le moment le plus opportun pour prendre du recul...
Par tous les moyens
Cela fait plusieurs semaines que ça ne va pas, dans ma tête et dans mon coeur. En ce moment, je n'y arrive pas. J'ai besoin d'aide mais je ne sais pas vraiment de quelle aide.
J'ai fait l'aller-retour entre jeudi soir, après le boulot, et vendredi matin, avant le boulot jusqu'à Lille, à 2h30 de chez moi, pour assister au groupe de parole mensuel de l'association Nos tout-petits, dont je suis adhérente et membre bénévole à distance. Mon dernier groupe de parole remontait à décembre dernier, c'est dire si j'avais un trop-plein de chagrin à y déverser ! Il m'est toujours difficile d'expliquer précisément ce que m'apporte cet espace d'expression libre ; je sais juste que je suis toujours impatiente d'y retourner, même (ou surtout) si je ne peux y aller qu'occasionnellement...
J'ai également repris rendez-vous avec "ma" psychologue, celle de la maternité où j'ai accouché, celle qui me suit depuis le début, pour début novembre, faute de place avant. Mais ça me semble tellement loin encore...
J'ai donc également contacté le centre médico-psychologique de ma ville. La secrétaire que j'ai eue au téléphone m'a d'abord informée que le délai de rendez-vous se comptait en mois... encore pire qu'avec "ma" psychologue. Mais, lui ayant quand même confirmé que je souhaitais être inscrite sur la liste d'attente, elle a pris mes coordonnées et noté, avec mon accord, la raison de ma demande. En la lui expliquant en quelques phrases, j'avais la gorge nouée et la voix tremblante. Elle m'a alors dit qu'elle allait essayer de me donner un rendez-vous en "urgence".
Je prévois de prendre rendez-vous chez l'ostéopathe chez qui nous avons emmené Gaspard il y a quelques jours pour ses troubles du sommeil. Non que nous ayons déjà constaté une amélioration de ce côté-là, mais il nous a inspiré confiance et je me dis que ça ne peut sans doute pas me faire de mal.
J'envisage de reprendre rendez-vous avec la psychiatre que j'avais vue l'an dernier.
J'ai même pensé à accepter un traitement anti-dépresseur, tellement j'ai besoin d'aller mieux...
Les experts Europe 1 - Psychiatre, psychanalyste, psychologue... lequel choisir ?
Certains vont finir par croire que c'est une habitude : je suis encore (!) passée à la radio, hier après-midi.
Il s'agissait donc, cette fois encore, de l'émission "Les experts Europe 1", sur la radio du même nom. L'émission d'hier avait pour thème "Psychiatre, psychanalyste, psychologue... lequel choisir ?". J'avais commenté la veille sur leur page Facebook et mon commentaire a retenu l'attention de l'équipe de rédaction.
Après la présentation du sujet par Roland Perez (animateur par interim pendant les vacances de l'animatrice "titulaire" Héléna Morna) et un court extrait musical, j'ai été la première auditrice à intervenir, à partir de 6 minutes 26 secondes.
Après mon intervention suivie du rappel du thème du jour, Roland Perez a enchaîné en commentant mon témoignage, notamment avec des mots qui m'ont touchée tout simplement parce qu'ils étaient justes : "un véritable traumatisme", "elle a perdu [...] un enfant".
Vous pouvez réécouter l'émission dans son intégralité ici :
Psychiatre - Non-épisode 4
Lors du dernier rendez-vous avec la psychiatre, auquel mon mari a assisté, j'ai eu le sentiment de tourner en rond : rien de nouveau n'a été dit ni envisagé. C'est pourquoi je n'y ai pas consacré de billet spécifique, contrairement aux deux premiers.
Je crois que le discours de mon mari l'a rassurée. J'ai pourtant l'impression qu'il n'a fait que répéter ce que je lui avais déjà dit moi-même mais sans doute qu'une nouvelle fenêtre sur ma vie et mon état lui aura permis d'avoir plus de certitudes sur moi.
Elle est toutefois restée sur son idée de traitement, sans chercher à me l'imposer pour autant.
Nous étions convenues de nous revoir la semaine prochaine, elle et moi. Mais depuis deux semaines, j'ai compris que ces rendez-vous me font plus de mal que de bien, ne m'aident pas et auraient plutôt tendance à me faire replonger.
J'ai donc décidé d'une part de ne pas prendre de traitement anti-dépresseur, d'autre part de carrément arrêter de voir cette psychiatre. Je me contenterai de nos rendez-vous avec la psychologue.
Je viens de lui expliquer ma décision par téléphone.
Je me sens soulagée. Comme si mon deuil redevenait normal, comme si je reprenais un semblant de contrôle dessus.
Ce que je ne supporte pas
Je savais que mon dernier billet ferait réagir mais je ne pensais pas que ce serait à ce point-là.
Je ne veux blesser ou offenser personne à travers ce nouveau billet. Je veux simplement expliquer ce qui m'aide et ce qui ne m'aide pas, par rapport à la psychiatre, mais pas seulement. Je sais que chacun des conseils et avis que j'ai reçus est guidé par la bienveillance et l'affection mais je vous assure que ça ne m'aide pas.
Je ne supporte pas qu'on me dise que nous avons pris la bonne décision pour Élise, que nous avons bien fait, comme si on balayait d'un revers de la main les doutes et les questions qui nous ont assaillis et qui nous assaillent encore, comme si la décision qu'on a prise était une évidence, comme si la vie d'Élise valait si peu qu'on peut la nier en quelques mots à peine, comme s'il suffisait de jouer à se faire peur en faisant semblant de se poser la question pour trouver la réponse.
Mon mari et moi avons, nous aussi, joué à nous faire peur au début de ma grossesse, avant que notre vie ne bascule. Comme beaucoup de parents, nous nous sommes posé ce qui nous semblait alors être "la" question : et si notre enfant est trisomique ? Chacun de nous avait sa réponse toute prête, qui n'était pas la même. Et puis la réalité nous a rattrapés. Ce n'était pas la trisomie, c'est vrai, mais nous avons dû nous poser la question pour de vrai et surtout trouver une réponse.
Chacun peut avoir ses a priori mais je vous jure - et je parierais ma vie là-dessus - que personne ne peut savoir avant d'y être confronté pour de vrai. Le regard extérieur est toujours plus confortable, croyez-moi. Seuls ceux qui se sont posé la question pour de vrai - quelle qu'ait été leur décision d'ailleurs - peuvent prétendre comprendre.
Je ne supporte pas qu'on juge à notre place du meilleur moment où nous pourrons concrétiser notre nouveau désir d'enfant. Certains nous sentent prêts ; d'autres nous conseillent d'attendre avant de relancer les essais bébés. Alors qui écouter plus que l'autre et pourquoi ? Mon mari et moi sommes les seuls à savoir si le moment est venu.
Je ne supporte pas que les gens - des inconnus, des connaissances - croient que je vais "mieux", voire "bien", uniquement parce que je souris devant eux. Croient-ils que le chagrin me fait oublier toutes les règles de savoir-vivre et de civisme ? Croient-ils que c'est devant eux que je vais m'effondrer ? Croient-ils que c'est à eux, que je connais si peu et qui croient détenir la vérité sur le deuil que nous avons à faire, que je vais confier mon mal-être et mes doutes ?
Je ne supporte pas qu'on me conseille ou déconseille de prendre un traitement anti-dépresseur, sous couvert d'une quelconque expérience. Ça fonctionne pour elle, ça n'a pas marché pour lui, ça a fait pire que mieux pour elle ? Et alors ?! Chaque situation de vie où l'opportunité d'un traitement anti-dépresseur est apparue avant d'être confirmée ou rejetée est différente. Les conseils que j'ai reçus dans un sens ou dans l'autre émanent de personnes confrontées à des situations différentes. Parce que chacun prend le chemin qu'il peut et qu'il veut. Mon mari et moi avons perdu le même enfant dans les mêmes circonstances et pourtant nous n'empruntons pas tout-à-fait le même chemin. Alors, même si la question d'un tel traitement s'était posée pour ces personnes suite au deuil périnatal d'un jumeau dû à une interruption de grossesse, cela ne suffirait pas à me convaincre de suivre leur voie.
Pour l'instant, lorsque j'envisage ce traitement, je me dis qu'il pourrait peut-être m'aider temporairement, me maintenir la tête hors de l'eau jusqu'à ma reprise du travail fin septembre mais pas au-delà. Mais il restera de toutes façons artificiel.
Et puis, si je prends ce traitement, où en serai-je quand j'arrêterai ? Au même stade qu'aujourd'hui, à me torturer l'esprit, à me poser des milliers de questions, à ruminer mes propres regrets et reproches ?
Je ne sais pas si je suis en dépression ou non - je ne sais pas à quoi ressemble une dépression et il paraît que ce n'est pas l'image que je renvoie à ceux qui me côtoient fréquemment - mais ce que je sais, c'est que je suis en deuil et qu'après le traitement je serai toujours en deuil.
Je suis certaine que ce traitement ne fera que retarder les choses : il ne résoudra aucune question, il n'effacera pas le manque, il n'éloignera pas les regrets. Il mettra juste ma vie sur pause.
Je sais aussi que les premiers mois de vie d'un enfant sont essentiels à son développement mais:
- je ne pense pas me voiler la face en disant que Gaspard est un petit garçon bien dans ses baskets (si, si, il en a : souvenez-vous !), souriant, facile à vivre, curieux de la vie, qui joue, qui dort bien, qui rit, qui pleure (j'ai lu que les pleurs importaient autant que les rires parce qu'un bébé qui pleure, c'est un bébé qui se sent en confiance et qui sait que l'on répondra à ses pleurs) ;
- je me demande à partir de quel âge un enfant a le "droit" d'avoir une maman qui ne va pas bien, si ses premiers mois sont si importants. Parce que, si je prends un traitement, ce sera avant tout pour lui alors quand pourrai-je me dire "Gaspard est assez grand pour que je m'autorise à ne pas aller bien" ? Jamais, je crois. On ne juge jamais son enfant assez grand pour ces choses-là.
Je sais que mon entourage proche a confiance en moi par rapport à Gaspard. Je pense que je lui apporte tout ce dont il a besoin affectivement et matériellement - en tout cas, je ne pourrais pas faire plus ou mieux. Je crains simplement qu'il ne reçoive en plus des choses dont il n'a pas besoin. Et c'est de ça que j'aimerais le préserver.
Je crois malheureusement au fond de moi que je suis la seule à détenir les clés : aucun traitement, aucun accompagnement sous quelque forme que ce soit ne pourra faire le travail à ma place. Et ce travail qu'il me reste à accomplir se résume en quelques mots: assumer et accepter la décision que nous avons prise, arrêter de regretter.
Psychiatre - Épisode 2
Lundi dernier, j'ai à nouveau rencontré le Dr Terranova. Le calendrier a voulu que ce rendez-vous vienne conclure une semaine de dates particulières :
- le 18 mai : l'anniversaire de mon mari, que l'on avait fêté à presque quatre en 2013 en pensant qu'on serait bel et bien quatre un an plus tard, mais aussi les huit mois du décès d'Élise,
- le 19 mai : les huit mois des grumeaux,
- le 23 mai : les huit mois de l'enterrement d'Élise,
- le 24 mai : le premier anniversaire de ce jour où notre vie a basculé,
- le 25 mai : la fête des mères où mon cœur de maman était encore plus coupé en deux.
Alors forcément, dans le cabinet de la psychiatre, on ne peut pas dire que j'étais en pleine forme.
Contrairement à ce que j'avais cru comprendre, je n'ai pas rencontré la psychologue qui devait nous accompagner à domicile ; ce nouvel entretien s'est déroulé en tête-à-tête avec le Dr Terranova.
Elle a rapidement vu et senti que j'allais moins bien que la dernière fois. J'ai essayé de lui donner une explication rationnelle (la succession récente de toutes ces dates) à la dégradation de mon état mais ça ne lui a pas suffi. L'entretien a beaucoup tourné autour de la culpabilité cette fois. Parce que la culpabilité vous dévore, vous ronge de l'intérieur - elle est insidieuse et s'insinue partout.
Je culpabilise d'avoir tué Élise.
Je culpabilise de ne pas toujours penser à Élise.
Je culpabilise par rapport à Gaspard. D'ailleurs, dimanche dernier - jour de la fête des mères, j'étais tellement mal que j'ai fait un énorme câlin à Gaspard au moment de le coucher. Moi-même je sentais bien que je perdais pied à ce moment-là, je l'embrassais et le caressais en repensant à Élise et à ces mêmes gestes que je n'avais pu faire que quelques fois à peine avec elle. Et comme par hasard, alors que Gaspard dort entre 12 et 14 heures, cette nuit-là, il s'est réveillé six fois - comme si je l'avais perturbé, comme si je lui avais communiqué mon mal-être, comme s'il avait absorbé ma détresse. Je sais bien qu'on peut trouver mille explications à la mauvaise nuit d'un bébé mais vous ne m'ôterez pas de la tête que j'y suis nécessairement pour quelque chose.
Je culpabilise de ne visiblement pas réussir à m'en sortir toute seule.
Je culpabilise quand je me dis que rien ne pourrait être pire que l'absence d'Élise et que cette absence est de notre faute. En même temps, peut-on commettre un tel acte sans le payer toute sa vie ?
Je culpabilise quand j'imagine qu'un accident ou une maladie pourrait laisser Gaspard dans l'état végétatif qui aurait été celui d'Élise à la naissance : et pourtant, si ça arrivait, on ne tuerait pas Gaspard alors pourquoi n'avons-nous laissé aucune chance à Élise ?
Et c'est la nature de nos échanges qui lui a fait réviser son jugement quant au traitement médicamenteux, puisqu'elle m'a avoué qu'elle se posait la question, alors qu'elle l'avait exclu lors de notre premier entretien. Je lui ai rappelé que je n'y étais pas favorable a priori, pas plus que mon mari. Elle m'a alors expliqué qu'il s'agirait de toutes façons d'un traitement léger, qui ne m'abrutirait pas et qui ne modifierait pas mon comportement.
Elle a notamment insisté sur l'importance des premiers mois de vie de Gaspard et la nécessité qu'il bénéficie d'un environnement équilibré pendant cette période de sa vie en particulier.
Elle a précisé que c'était la notion de culpabilité qui ressortait de mes propos qui l'incitait à se poser la question. Elle m'a expliqué que la culpabilité est l'un des symptômes de la dépression. Voilà, le mot est lâché - le mot qui fait peur, le mot qui fait fuir. Je lui ai demandé si cette culpabilité n'était pas normale compte tenu de la décision que nous avions prise. Elle m'a alors fait comprendre (je ne me souviens plus de ses termes exacts) que, huit mois après, ce n'était pas tout-à-fait normal.
Je ne demande qu'à la croire et qu'à être aidée. Après tout, il paraît qu'elle s'y connaît, en deuil périnatal, d'un jumeau qui plus est.
Je dois à nouveau la rencontrer dans une dizaine de jours, accompagnée de mon mari cette fois, notamment pour discuter de l'opportunité de ce traitement.
Mais prendre des anti-dépresseurs, cela implique probablement que j'interrompe la relactation (je vous en reparlerai plus tard) et que nous fassions une croix sur notre espoir d'une nouvelle grossesse dans les semaines ou mois à venir.
Toujours est-il que, si elle me propose effectivement un traitement, ce ne sera pas pour moi mais pour Gaspard que je l'accepterai. Parce que je ne veux pas qu'il souffre de mon état. Car au final, le plus difficile à encaisser au sortir de cet entretien, c'est qu'il semble que je ne suis pas tout-à-fait à la hauteur pour m'occuper de Gaspard. Et si c'est comme ça que je suis censée lâcher prise par rapport à la culpabilité, c'est mal parti...
Psychiatre - Épisode 1
Le 13 mai dernier, j'ai eu mon premier rendez-vous avec le Dr Terranova, une psychiatre spécialisée dans toutes les questions autour de la périnatalité. Je n'attendais pas grand-chose de ce rendez-vous, il faut dire que ce n'est pas vraiment moi qui l'avais sollicité.
J'ai donc eu affaire à cette psychiatre et à un étudiant en médecine qui s'est contenté d'assister, sans y participer, à l'entretien.
Le Dr Terranova est sans doute "familière" de ma situation mais j'ose espérer que si, à la faveur de ce rendez-vous, cet étudiant a découvert (rayez les mentions inutiles) le deuil périnatal d'un singleton, le deuil périnatal d'un multiple, l'interruption médicale de grossesse et/ou l'interruption sélective de grossesse, il a compris des choses, s'est posé et se posera des questions et fera preuve d'humanité et de compréhension s'il est de nouveau confronté à ce type de drame au cours de sa carrière.
Le Dr Terranova m'a reçue dans son bureau de l'hôpital psychiatrique à quelques kilomètres de chez moi. L'hôpital en lui-même est "accueillant" (beaucoup d'espace, de la verdure) mais dans le bâtiment où l'on m'attendait, l'ambiance n'était plus à la flânerie. Tandis que le rez-de-chaussée est consacré aux hospitalisations, le service de consultations se situe au premier étage, à première vue accessible au public uniquement par un escalier. Je m'apprêtais donc à porter Gaspard dans sa poussette pour atteindre le premier étage lorsqu'une soignante m'a aperçue à travers la porte vitrée fermée à clef séparant le hall du service d'hospitalisation et m'a proposé d'emprunter leur ascenseur de service.
Pendant le court instant où la soignante a refermé la porte vitrée derrière moi et a attendu l'ascenseur à mes côtés, un patient hospitalisé qui traînait dans le couloir a fixé obstinément Gaspard du regard - un regard qu'il m'a été impossible de déchiffrer : attendrissement, folie ? Rien de tel pour vous mettre dans l'ambiance et pour vous faire douter à la fois - et c'est paradoxal - de la pertinence de votre présence et de votre propre état mental. Pour résumer, cette question n'a cessé de faire des allers-retours dans ma tête : qu'est-ce que je fais là ?
D'ailleurs, à la fin de l'entretien, après avoir hésité un court instant à me laisser redescendre seule, la psychiatre elle-même m'a raccompagnée jusque dans le hall, hors secteur hospitalisation, justifiant sa décision d'une seule phrase : "il y a quand même des malades en bas".
Une fois arrivée dans le bureau de la psychiatre, j'ai à peine eu le temps d'ôter mon manteau et de découvrir un peu Gaspard qu'elle m'a lancé sans préliminaires : "Racontez-nous". Raconter quoi ? La grossesse ? La descente aux enfers depuis le 24 mai 2013 ? L'accouchement ? Le retour à la maison ? Comment j'ai atterri dans ce bureau ? J'ai finalement essayé de lui présenter un résumé de quelques phrases couvrant tous ces évènements.
Quand j'ai eu fini, elle n'a pas enchaîné tout de suite en rebondissant sur ce que je venais de lui dire ou en creusant tel ou tel aspect. Il y a eu un blanc - le premier d'une longue série au cours de cet entretien. Dans l'ensemble, il y a eu moins d'échanges qu'avec la psychologue du CHU mais le contexte est différent : elle est psychiatre et pas psychologue et elle découvre l'histoire "après la bataille" et non au fil de l'eau.
Elle m'a finalement et tant bien que mal interrogée sur différents aspects, dans le désordre :
- Comment avions-nous accueilli l'annonce de la grossesse gémellaire ?
- Comment s'était passé le retour à la maison avec Gaspard ?
- Comment mon mari vivait-il la situation ?
- Comment allais-je ?
- Quelle relation avais-je avec Gaspard et quels sentiments éprouvais-je pour lui ?
- Est-ce que je sortais et est-ce qu'il m'arrivait de rester enfermée plusieurs jours de suite ?
- Avais-je toujours de l'appétit ?
- Comment était mon sommeil ?
- Avais-je toujours le goût pour les choses que j'aimais faire avant ?
Je lui ai également parlé spontanément :
- du manque d'Élise,
- de la culpabilité liée à la décision de l'ISG,
- des difficultés liées au deuil périnatal.
Parmi les exemples qu'elle m'a demandés par rapport à ce dernier point, j'ai évoqué la phrase de la médecin de la PMI mais sans préciser de qui elle venait. J'ai hésité - j'aurais dû mais je n'ai pas osé parce que je ne voulais pas l'incriminer. Pourtant je sais que :
- ce n'est pas à moi de prendre soin des autres en ce moment - en tout cas pas des "étrangers" et pas comme ça ;
- si j'avais été plus précise, elle lui en aurait peut-être parlé et cette médecin aurait peut-être fait moins de gaffes face à d'autres parents ayant perdu un enfant.
Après ces échanges laborieux, et comme je ne savais toujours pas ce qu'elle attendait que je lui dise et ce qu'elle cherchait à comprendre ou à savoir dans mes paroles, j'ai fini par être franche : "je ne sais pas pourquoi je suis venue, je ne sais pas quel est le but de ce rendez-vous". C'est là qu'elle m'a enfin expliqué que son rôle était de déterminer si ma souffrance était normale dans le contexte ou s'il y avait un état pathologique - dépressif, appelons les choses par leur nom - derrière tout ça.
Elle m'a tenu le même discours que la psychologue du CHU lors de notre dernier RDV en février : elle n'est pas favorable aux traitements médicamenteux en cas de deuil (moi non plus, ça tombe bien), elle les juge artificiels et estime qu'un état dépressif n'est pas rare en pareille situation et peut même être nécessaire. Elle a au moins l'air de comprendre que pleurer son bébé est normal, même plusieurs mois après, et ne semble pas encline à me gaver d'anti-dépresseurs.
En lieu et place de ce traitement qui n'était pas à l'ordre du jour, elle m'a proposé un accompagnement à domicile par l'un des membres de son équipe : psychologue, puéricultrice, infirmière psychiatrique, etc. Dans mon cas et compte tenu de ce que je lui ai dit, elle a estimé que la psychologue serait la plus adaptée. Nous sommes alors convenues de nous revoir une quinzaine de jours plus tard pour en rediscuter et - si j'ai bien compris - pour que je rencontre la psychologue avant qu'elle ne vienne chez nous.
13 mai
13 mai 2013.
Deux semaines après m'être lancée dans la blogosphère, je me décide à communiquer l'adresse du blog à mon entourage direct : famille, amis, quelques contacts Facebook.
13 mai 2014.
J'ai rendez-vous pour la première fois chez la psychiatre que m'a conseillée bien maladroitement la médecin de la PMI et qui est spécialisée dans les questions autour de la périnatalité.
Bonne nouvelle, mais...
La semaine dernière, nous avons appris, au milieu des torrents de larmes qui ont coulé, une bonne nouvelle : notre demande de place en crèche pour Gaspard pour septembre a été acceptée. Notre patience aura fini par payer : notre première demande, lorsqu'il était encore question de mettre Élise et Gaspard à la crèche, remontait à mars 2013 !
La directrice, que je dois rencontrer début mai pour finaliser l'inscription, m'a fait la liste des documents à lui fournir lors de notre entretien, parmi lesquels un certificat d'aptitude à la vie en collectivité. N'ayant pas envie de perdre mon temps chez le pédiatre ou chez notre médecin traitant, j'ai pris RDV avec la médecin de la PMI, que j'ai rencontrée pour la première fois ce matin.
Évidemment, elle m'a demandé comment s'était passée la grossesse.
Évidemment, j'ai pleuré en lui expliquant en quelques phrases.
Évidemment.
Pas si évident que ça, apparemment, car mes larmes l'ont visiblement étonnée : "Ça fait quand même sept mois."
Je ne savais pas qu'on avait un certain délai pour pleurer son enfant.
Je ne savais pas qu'on n'avait que quelques semaines pour aller mieux.
La mère d'une amie et la tante de mon mari pleurent encore leurs tout-petits. Et pourtant ça fait quand même 25 ans pour l'une, 35 ans pour l'autre.
Excusez-moi de ne toujours pas être capable de raconter en souriant que j'ai tué ma fille.
Voilà ce que j'aurais voulu lui répondre. À la place, je me suis contentée d'essuyer mes larmes et de prendre les coordonnées d'une psychiatre qu'elle me recommande.