16 janvier 2015

Même au siècle prochain

Il y a ces phrases que l'on lit ou entend parce que nous sommes en janvier et qu'en janvier il faut nécessairement présenter ses vœux.

Une bonne santé pour vous et vos proches. Avec un peu de motivation, le reste suivra.
Ça ne peut être qu'une blague ! À moins que ce ne soit un de ces sms envoyés en masse... En tout cas, nous devons sacrément manquer de motivation pour qu'Élise soit toujours aussi morte, près de seize mois après sa naissance !
Mon mari est plus tolérant que moi envers ces personnes qu'il juge simplement maladroites. Moi, je considère que ce n'est plus de la maladresse mais de l'indifférence, voire de la violence - involontaire certes mais de la violence tout de même - quand la personne à l'origine de ces "vœux" est parfaitement au courant de notre histoire.

Tout ce que vous pouvez souhaiter.
Nous ne sommes pas gourmands, "tout ce que [nous pouvons] souhaiter" tient en onze mots : qu'Élise soit vivante et en bonne santé à nos côtés. Mais c'est vrai que la motivation à ce que notre souhait se réalise nous fait défaut, alors nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous-mêmes !...
Là encore, c'est à nous de ne pas prêter attention à ces vœux passe-partout et envoyés collectivement, et non aux autres de faire attention à ce qu'ils font, disent ou écrivent. Les gens ne font pas attention aux autres, se contentent de superficialité et de bienséance creuse. C'est ça, le monde dans lequel on vit aujourd'hui.

Pourtant j'en ai reçu des vœux qui tombaient juste, qui nous étaient réellement adressés, qui ne sonnaient pas faux, qui tenaient compte de notre histoire. C'est que c'est possible alors !... Je commençais à croire que j'étais trop susceptible ou trop exigeante ou - pire - que pour réussir le test des banalités de janvier, il fallait être le moins sincère possible !

 

Il y a aussi ces phrases que l'on entend à longueur de temps, peu importe que l'on soit en janvier ou non.

Il faut aller de l'avant.
Prévoir un voyage, avoir des projets professionnels, recevoir des amis, organiser Noël à la maison : n'y voyez-vous pas le signe que nous allons de l'avant, comme vous vous obstinez à nous y exhorter, sans même y réfléchir ?!

La vie continue.
Quand j'entends ça, j'ai juste envie de répondre - au choix - que "la vie continue, certes, mais sans Élise, ce qui fait quand même une sacrée différence" ou que "la vie d'Élise ne continue pas, elle, justement".
Sinon, pour être un peu plus constructive ou moins sarcastique, je peux aussi poser cette question : faire un troisième enfant... quelle plus belle preuve (même si nous n'avons rien à prouver et aucun compte à rendre, à part à nos enfants peut-être) que c'est la pulsion de vie qui prend le dessus sur la pulsion de mort ?!

Alors évidemment, quand on me demande comment s'est passé Noël, je ne peux pas ne pas parler d'Élise.
Parce que si moi je n'en parle pas, qui en parlera ?!
Parce que, ne vous en déplaise, Élise était aussi absente que Gaspard était présent.
Parce que j'ai autant regretté l'absence d'Élise que je me suis réjouie de la présence de Gaspard.
Parce que j'ai à la fois vécu le deuxième Noël avec mon fils et le deuxième Noël sans ma fille.

C'est sûr qu'il est plus facile d'asséner des phrases toutes faites plutôt que de s'intéresser vraiment à nous et de s'interroger sur le chemin que nous avons parcouru depuis le début de notre cauchemar il y a bientôt vingt mois. C'est sûr qu'il est plus facile de balancer des banalités vides de sens que de chercher à dépasser le stade du superficiel.

Mais ce que certains n'ont pas compris, c'est que ce n'est pas parce que nous parlons d'Élise que nous n'avançons pas.
Élise est notre fille, notre enfant, au même titre que Gaspard - et Hector. Alors bien sûr, je ne peux pas vous raconter ses derniers progrès, son sommeil perturbé, ses clowneries, son histoire d'amitié avec Simon-le-lion, ses "La ! La ! La !" intempestifs. Mais je peux quand même vous parler d'elle, des chansons que j'écoute en pensant à elle, des objets que nous déposons sur sa tombe, de sa présence à sa façon dans la maison, du fait qu'elle me manque terriblement, du fait que je n'ai pleuré que trois fois en pensant à elle en 2015, du fait que je pense à elle tous les jours, du chemin de deuil sur lequel j'avance tant bien que mal.
Il y a une chose que les gens vont devoir comprendre et admettre une bonne fois pour toutes : Élise fait partie de moi. Et, comme le chante Vanessa Paradis, même au siècle prochain, j'en parlerai encore. Et quand on sait qu'il y a peu de chances que je voie le siècle prochain, étant née au milieu des années 1980, on mesure la valeur d'éternité que cette simple phrase revêt pour moi.

Même si je préfère m'abstenir de participer à la campagne généralisée des "meilleurs vœux" et compagnie, me contentant de répondre de la façon la plus sincère possible à ceux que l'on m'adresse, je ne peux m'empêcher de partager avec vous cette image si parlante :

Voeux 2015

Posté par Tannabelle à 14:19 - - Commentaires [3] - Permalien [#]
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30 août 2013

Conseils à ceux qui sont prêts à les entendre

Nous ne demandons pas que vous compreniez ce que nous vivons, cette épreuve est trop intime pour que l'on puisse la comprendre sans la vivre soi-même. Nous demandons simplement que notre douleur soit prise en compte, que notre deuil soit reconnu et que nous ne soyons pas niés dans notre statut de parents de jumeaux...

 

Rassurez-vous : même si vous êtes mal à l'aise, ne savez pas quoi dire, craignez d'être blessant ou redoutez d'être maladroit, votre place est toujours plus enviable que la nôtre.
Mais nous préférons - et de loin - que vous ne sachiez pas quoi nous dire, faute de trouver les mots justes (existent-ils seulement ?!), plutôt que d'entendre des choses maladroites, blessantes, stupides, telles que les paroles ci-dessous que nous avons déjà subies ou risquons de subir. Petit florilège, à considérer comme des conseils !

Il vous en reste un. Vous avez toujours Gaspard.
"Un acheté, un gratuit", c'est ça ?!
Ma fille n'est pas un bonus, n'est pas du "rab", ne compte pas pour un demi-enfant pas plus que Gaspard ne compte pour un demi-enfant, en dépit de leur gémellité.
Vous diriez la même chose à quelqu'un qui perd l'un de ses enfants d'âges différents ?!
Vous diriez la même chose à quelqu'un qui perd l'un de ses frères ou soeurs ?!
Vous diriez la même chose à quelqu'un qui perd l'un de ses parents ?!
Et que savez-vous de la difficulté à s'attacher à son enfant et à se détacher de son autre enfant simultanément ?

C'est moins dur que si vous l'aviez connue.
Merci de me dire comment je dois être malheureuse, j'ignorais que le deuil se mesurait au temps que l'on a passé avec la personne, je pensais que c'était plutôt lié à l'intensité de l'amour qu'on ressent pour elle, à la relation qu'on avait avec elle, à ce qu'on projetait en elle.
A vous croire, cela voudrait dire que l'on est censé être plus malheureux de perdre l'un de ses parents ou grands-parents que l'un de ses enfants. Alors suis-je un monstre d'être plus malheureuse à l'idée de perdre ma fille que lorsque j'ai perdu mes grands-parents ?!
C'est vrai, perdre son enfant avant la naissance, ce n'est pas comme perdre un proche que l'on a rencontré et avec lequel on a partagé des choses mais ça n'en est pas moins douloureux pour autant.
Perdre son enfant avant la naissance, ce n'est pas faire le deuil du passé mais le deuil de l'avenir, des projets, de l'espoir.

C'est mieux comme ça.
Ah bon ?! A mon sens, ce qui serait mieux, c'est que ma fille soit avec nous en bonne santé.

La nature est bien faite.
4,5 ans pour tomber enceinte et perdre l'un de ses enfants : merci Dame Nature, évidemment !

De toutes façons, des jumeaux c'est du boulot, vous auriez été fatigués.
Sûrement mais j'aurais préféré être fatiguée à malheureuse.

Vous êtes jeunes, vous aurez d'autres enfants.
Et nos futurs autres enfants sont censés compenser notre douleur et l'absence de notre fille ?!

C'était pas vraiment un enfant, c'était juste un fœtus.
Quand on est parents, fœtus n'est qu'un terme médical : Élise et Gaspard sont nos enfants.
Comme Gaspard, nous avons désiré, attendu, porté, souhaité, aimé Élise. Nous l'aimons et l'aimerons toujours, ni plus ni moins que Gaspard. Nous sommes ses parents, nous serons toujours ses parents, elle sera toujours notre fille, et même notre première fille si un jour la vie nous offre d'attendre une autre fille, tout comme Gaspard est notre fils et sera notre premier fils si un jour la vie nous offre d'attendre un autre fils.

Vous avez choisi l'IMG donc vous devez assumer.
Oui, je serai malheureuse même si c'est nous qui avons pris la décision de ne pas laisser venir au monde notre fille.
En réalité, je n'ai pas encore entendu ce genre de commentaire mais je le redoute terriblement. Je suis plutôt en mode auto-persuasion tellement j'ai l'impression de ne pas avoir le droit de pleurer une situation que j'aurai "choisie"... Cette notion de responsabilité, de culpabilité complique encore davantage le deuil, vient parasiter notre douleur.

Vivement que tout ça soit derrière vous.
"Tout ça" ne sera jamais derrière nous. L'absence de notre fille, notre décision, notre douleur, notre culpabilité ne seront jamais derrière nous ; nous devrons "simplement" apprendre à vivre avec.
Et même si ces dernières semaines sont accompagnées d'un flot de questions et d'angoisses, ce sont aussi les derniers instants que nous passons avec notre fille et notre fils alors je ne peux pas dire que j'ai hâte d'être après l'accouchement...

Je comprends ce que vous vivez, moi j'ai fait une fausse couche une fois.
Avec tout le respect et toute l'empathie que j'ai pour les couples qui vivent des fausses couches, je vous assure que ce n'est pas la même chose, surtout lorsqu'il s'agit d'une interruption de grossesse.

Il faut passer à autre chose.
Laissez-nous le temps qu'il faut pour faire notre deuil, toute la vie s'il faut.
Ne jugez pas à notre place du moment où notre deuil aura assez duré et où nous devrons être passés à autre chose.

Et surtout... surtout... laissez-nous parler d'Élise, autant et aussi souvent que nous en aurons besoin, et n'ayez pas peur de l'évoquer. Parler d'elle ne nous fait pas "plus de mal que de bien", au contraire. Le pire, pour elle et pour nous, serait l'oubli, l'ignorance, le déni, l'indifférence.