Le jeudi, c'est neuro-pédiatrie - Épisode 3
Nous avons à nouveau rencontré le Professeur Marret, histoire d'entendre une dernière fois son avis de neuro-pédiatre sur l'état d'Élise et d'essayer d'assurer notre décision autant que possible.
Comme nous nous y attendions, il n'a pas pu nous en dire beaucoup plus que ce que nous savions déjà : les malformations d'Élise sont graves mais il ne peut nous donner un pronostic certain à 100% sur son état à sa naissance et sur l'évolution possible de son état en grandissant. Le Pr Marret a été honnête : si Élise ne présentait "que" la dilatation (qui conduit désormais à ce qu'ils appellent à une hydrocéphalie), bien qu'elle soit apparue précocément et qu'elle soit sévère et évolutive, il serait un peu moins inquiet mais c'est, encore une fois, l'association de ses deux malformations qui le rend si pessimiste. Cette association laisse en effet à penser qu'une maladie plus générale, qu'ils n'auraient pas réussi à identifier malgré les différents examens réalisés, pourrait être à l'origine de ce qui ne serait alors que deux symptômes parmi d'autres encore inconnus.
Le Pr Marret a également évoqué une troisième "solution" dont j'avais déjà entendu parler dans certains cas mais qu'aucun médecin n'avait encore envisagée pour nous : accueillir Élise en unité de soins palliatifs, c'est-à-dire la laisser venir au monde vivante et la prendre en charge comme "n'importe quel patient" en fin de vie, même si sa vie à elle vient à peine de commencer, avec traitements anti-douleurs de plus en plus intensifs au fur et à mesure. Dans l'absolu, c'est la "solution" que j'aurais préférée si les médecins avaient pu nous assurer que son agonie n'aurait duré que quelques jours. Malheureusement, le Pr Marret a avoué son ignorance : Élise pourrait mettre quelques jours, quelques semaines ou plusieurs mois à s'éteindre d'elle-même en fonction de l'évolution de son hydrocéphalie qu'ils ne peuvent ni prédire ni maîtriser, sans parler de sa défiguration qui ne ferait qu'empirer, avec sa tête qui grossirait indéfiniment jusqu'à sa mort... Si ma fille doit de toutes façons mourir, je ne veux pas faire d'elle un monstre !
Pour les parents qui en ont la force, les soins palliatifs sont probablement le moins pire des compromis. Mais je ne me sens pas capable d'assumer ça, d'attendre, impuissante, démunie, la mort de notre fille... avec notre fils du même âge qui aura besoin de toute notre attention.
Quel sens ça aurait de prolonger son calvaire et le nôtre si l'issue est la même ?!
Les situations ne sont peut-être pas comparables mais je ne peux m'empêcher de penser au décès de mes grands-parents maternels : mon grand-père est décédé de façon inattendue (le jour de mes 14 ans, saleté de Papi !) tandis que ma grand-mère est décédée au terme d'une agonie de plusieurs mois (j'avais alors 22 ans - peut-être l'âge que j'avais lors de ces décès participe-t-il de mon impression différente mais je crois vraiment que ça ne joue pas tant que ça). J'ai beaucoup moins bien vécu la mort de ma grand-mère (et je ne pense pas me tromper en disant que mes proches ont le même ressenti), la voir dépérir progressivement en sachant la fin inéluctable a été une souffrance de tous les jours. Alors je ne veux pas de ça, ni pour ma fille ni pour nous, et mon mari est sur la même longueur d'ondes.
Puisque l'issue sera la même et la situation déjà suffisamment compliquée, je crois qu'il faut aussi qu'on essaie de se préserver un minimum, même si cela peut sembler égoïste... Je ne me vois pas regarder mon fils grandir et regarder ma fille mourir en même temps ; depuis ce 24 mai, nous avons sans cesse repoussé les limites de ce que nous pouvions accepter et supporter mais il arrive un moment où ces limites sont atteintes...
Douzième échographie
Aujourd'hui, c'est avec le Dr Diguet que nous avons passé notre douzième échographie, le Dr Brasseur étant en congés.
L'examen a débuté par une "vue d'ensemble" des deux bébés, histoire que le médecin prenne ses repères, puisque c'était la première (et normalement la dernière) fois que nous le voyions. Élise est pour l'instant en pole position pour l'accouchement, Gaspard étant encore bien haut. Mais cette fois, les grumeaux avaient tous les deux la tête en bas, Élise étant à gauche avec le dos à gauche et Gaspard étant à droite avec le dos à droite : la position idéale pour papoter tranquillement ! :-)
Gaspard continue à bien pousser. Toutes les mesures réalisées et images visionnées sont normales. Notre petit loup est dans la moyenne haute des courbes, son poids avoisinerait 1,7 kg.
Quant à Élise, rien de nouveau ou d'inattendu : ses ventricules font désormais 33 et 36 mm (contre 33 mm le 1er août). En toute logique, ses mesures crâniennes continuent, elles aussi, à grossir : avec un diamètre bipariétal de 91,6 mm et un périmètre crânien de 306 mm à 31 SA, Élise dépasse largement les valeurs de référence tandis qu'elle reste dans la moyenne basse pour les autres mesures. Son poids est évalué à 1,5 kg, à ceci près que l'estimation est faussée en raison de la taille disproportionnée de sa tête.
Comme on nous en avait parlé à Necker, en raison de l'hydrocéphalie dont Élise est atteinte (et que le Professeur Marret avait évoquée mais seulement comme conséquence possible à l'époque), la taille de son crâne pourrait poser problème à l'accouchement si elle continue à augmenter. Il serait alors envisageable de pratiquer, en même temps que l'interruption sélective de grossesse, un drainage de son liquide cérébral afin de prévenir et limiter les complications pouvant survenir lors de l'accouchement. Nous en saurons probablement plus lors de notre rendez-vous avec le Professeur Verpsyck dans deux semaines.
En attendant, notre cas devait à nouveau passer au staff ce soir afin que soit évoquée l'éventualité d'une IRM (même si elle n'apporterait, a priori, pas grand-chose) et que nous soit proposé un nouvel entretien avec le Professeur Marret pour que nous puissions discuter avec lui, d'un point-de-vue neuro-pédiatrique, des récentes évolutions, notre dernière entrevue remontant maintenant à plus de six semaines.
Le vendredi, c'est neuro-pédiatrie - Épisode 2
Suite à l'échograhie de mercredi, nous avons à nouveau rencontré le Professeur Marret, spécialisé en neuro-pédiatrie.
Comme nous nous y attendions, il n'a pas pu nous donner beaucoup plus d'infos ou de réponses. L'évolutivité de la dilatation n'est pas bon signe mais il est de toutes façons trop tôt pour entreprendre quoi que ce soit. La seule chose à faire est de surveiller cette dilatation avec une échographie toutes les deux semaines.
Il est incapable d'annoncer un quelconque pronostic. Son expérience lui a donné à voir tous les cas de figure : régression, stabilisation et évolution, que ce soit in utero ou ex utero, avec des séquelles et handicaps plus ou moins lourds.
Contrairement à ce que nous a dit le Dr Brasseur mercredi (mais nous avions peut-être mal interprété ses propos...), l'explication mécanique n'exclut en rien la cause génétique et ne permet en rien d'être rassurés, d'autant plus que l'association des deux anomalies reste un sujet majeur d'inquiétude.
Le Professeur Marret a de nouveau abordé le sujet de l'interruption de grossesse pour Élise. Sans chercher à nous influencer dans un sens ou dans l'autre, il a rappelé à plusieurs reprises que Gaspard allait bien et que toute décision en faveur d'Élise pouvait être défavorable à son frère. Comprenant qu'il faisait allusion aux risques liés à la prématurité, nous lui avons demandé si, dans le cas où nous déciderions de donner toutes ses chances à Élise et de déclencher un accouchement précoce, il était possible de limiter les risques liés à la prématurité. Sans rentrer dans les détails, il nous a confirmé qu'il existait certaines solutions, notamment par rapport à l'autonomie des poumons, etc.
À la fin de notre entretien, le Professeur Marret nous a recommandé de rencontrer à nouveau le Professeur Verspyck, gynécologue obstétricien spécialisé en médecine foetale. Comme notre gynécologue "classique" n'avait pas l'air disposée à évoquer l'interruption de grossesse lors de notre dernière consultation il y a une semaine, nous avons effectivement sollicité un nouveau rendez-vous avec le Professeur Verspyck pour obtenir toutes les informations concrètes autour de l'accouchement, quelle qu'en soit la tournure, afin de pouvoir prendre notre décision en toute connaissance de cause et par rapport à tous les aspects.
Cette semaine (et pour la première fois depuis un moment et sans doute pour la dernière fois avant un moment !), nous n'avons aucun rendez-vous au CHU, nous rencontrerons à nouveau le Professeur Verspyck et repasserons une échographie avec le Dr Brasseur la semaine prochaine. En attendant, nous soufflons autant que possible loin du CHU, dans la maison de vacances de mes parents au bord de la mer !
Le vendredi, c'est neuro-pédiatrie - Épisode 1
Vendredi, nous avons rencontré un autre Professeur du CHU, spécialiste en neuro-pédiatrie, suite à notre rendez-vous avec la généticienne et à la troisième présentation de notre dossier lors du staff du lundi.
La situation est aussi simple à décrire qu'elle est complexe à vivre : les médecins ne savent quasiment rien de l'état d'Élise.
- Ils savent qu'elle a une fente labio-palatine bilatérale et une dilatation ventriculaire cérébrale bilatérale sévère et évolutive.
- Ils savent que chacune de ces anomalies se présente dans une forme grave en soi et que l'association des deux est d'autant plus inquiétante.
- Ils ne savent pas quelle pathologie se cache derrière ces deux malformations.
- Ils ne savent pas si les examens génétiques en cours permettront d'identifier sa pathologie mais ils savent qu'il est possible qu'elle ne soit pas identifiée, ce qui empêcherait de préciser le diagnostic et le pronostic.
- Ils ne savent pas si sa pathologie induira un retard mental et intellectuel mais ils savent que ce risque existe.
- Ils ne savent pas quel sera le degré de son retard mental et intellectuel, le cas échéant.
La prochaine échographie permettra de savoir si la dilatation s'est résorbée (on ne sait jamais...), s'est stabilisée (ce serait déjà ça) ou a continué à évoluer. Dans ce dernier cas, cette dilatation entraînerait une hydrocéphalie, c'est-à-dire une quantité trop importante de liquide céphalo-rachidien dans le cerveau, non par excès de production mais par défaut de circulation/d'absorption. La pose d'une dérivation serait alors envisageable, après la naissance évidemment, sans que cette intervention ne garantisse pour autant une évolution favorable de l'état d'Élise.
Et c'est avec ces informations que nous devrons décider de garder Élise ou non car, sans être annoncée clairement comme possible, peut-être par précaution psychologique à notre égard ou par prudence médicale, l'interruption sélective de grossesse revient de plus en plus souvent dans la bouche des médecins. L'équation est relativement simple :
- Si nous gardons Élise, il faudra provoquer l'accouchement aux alentours de 34 SA (c'est-à-dire vers début/mi-septembre), avec tous les risques de prématurité à la fois pour Élise et Gaspard, pour pouvoir intervenir le plus tôt possible sur le cerveau d'Élise.
- Si nous ne gardons pas Élise, il faudra faire cesser son cœur dans mon ventre pour laisser Gaspard venir de lui-même afin de lui faire courir le moins de risques possible, puisque le destin de sa sœur sera de toutes façons déjà scellé.
Programme de la semaine à venir :
- mardi : consultation avec la gynécologue qui nous suit et qui, d'après le neuro-pédiatre, nous expliquera les modalités de l'interruption de grossesse, juste pour notre information et sans que ces explications impliquent d'ores et déjà un début de décision de notre part,
- mercredi : échographie (la neuvième !) avec la spécialiste en imagerie pédiatrique et fœtale qui a découvert les problèmes d'Élise et qui devrait désormais nous faire passer toutes les échographies d'ici la fin de la grossesse,
- vendredi : nouvelle consultation avec le neuro-pédiatre pour discuter de l'échographie de mercredi.
Autre non-information issue de notre rendez-vous avec le neuro-pédiatre : il n'est pas exclu, sans qu'il puisse le confirmer ou l'infirmer avec certitude, que mon décollement du début (qui était localisé du côté d'Élise) ait un rapport avec les anomalies détectées chez elle. Peut-être que ce décollement était en fait une menace de fausse couche qui, à défaut de se concrétiser, a eu des répercussions sur son développement...
On m'avait dit...
On m'avait dit que la grossesse était un moment magique.
On m'avait dit que les nausées et le mal de dos étaient les seuls désagréments de la grossesse.
On m'avait dit que je n'aurais que quelques prises de sang et analyses d'urine à passer.
On m'avait dit que nous ne devrions consulter que des sages-femmes et des gynécologues.
On ne m'avait pas dit que je ne pleurerais jamais autant que pendant ma grossesse, sans que les hormones en soient responsables.
On ne m'avait pas dit que nous devrions subir tous ces examens.
On ne m'avait pas dit que je devrais passer autant d'échographies.
On ne m'avait pas dit que nous devrions rencontrer un Professeur en médecine foetale, une généticienne, une spécialiste en imagerie pédiatrique, un neuro-pédiatre, une psychologue.
Chromosomes et gènes
Comme nous n'avions toujours pas de nouvelles du CHU suite à notre échographie de lundi dernier, j'ai appelé vendredi midi le service de diagnostic prénatal qui, après avoir contacté le service génétique, nous a donné rendez-vous avec une généticienne cet après-midi. Nous ne savions absolument pas à quoi nous attendre et quoi attendre de ce rendez-vous - la meilleure façon de ne pas être déçus, au final.
Arbre généalogique
La généticienne a commencé par établir un mini-arbre généalogique (nos fratries, nos parents et leurs fratries, nos grands-parents) et nous (re)demander s'il existait des antécédents de malformations cérébrales ou de fentes labiales et/ou palatines dans nos familles. Comme nous nous y attendions, cette première approche s'est avérée vaine puisque, "de mémoire d'homme", aucun problème de ce type n'existe de mon côté ou du côté de mon mari.
Caryotype
La généticienne nous a ensuite appris que le caryotype d'Élise était désormais connu : il ne montre pas d'anomalies de structure ou de nombre, il est "normal". Toutefois, comme nous l'avions compris au gré de nos recherches sur Internet et comme cela nous a été confirmé aujourd'hui par la généticienne, un caryotype normal n'est pas synonyme de bonnes nouvelles pour la simple et bonne raison que le caryotype n'est qu'une étape dans le processus de diagnostic prénatal.
Analyse pangénomique
Dans notre cas, la prochaine étape est une étude pangénomique par puce à ADN. Pour schématiser, le caryotype est une "photographie" des chromosomes à une échelle donnée ; l'analyse pangénomique consiste à "zoomer" sur les chromosomes à la recherche d'anomalies trop petites pour être visibles au niveau du caryotype. Dans le cadre de cette étude pangénomique, en cas de "bizarreries" détectées sur certaines portions des chromosomes d'Élise, ils étudieront les mêmes portions de nos chromosomes afin de déterminer si les problèmes identifiés viennent de nous et (d'essayer) d'affiner à la fois le diagnostic et le pronostic. A cette fin, nous avons tous les deux fait une prise de sang dans la foulée de la consultation. Les résultats de ce nouvel examen devraient être connus d'ici 3 semaines...
La généticienne devait également présenter (encore !) notre cas au staff ce soir pour qu'un rendez-vous avec un neuro-pédiatre nous soit proposé dans les jours prochains.
Drôle d'impression ce soir : à chaque fois que nous faisons un pas en avant, ce que nous cherchons, attendons ou espérons fait un pas en arrière...