24 août 2019

Sur le chemin de la vérité...

"Je voudrais qu'on me fasse mourir pour pouvoir voir Élise."

C'est ainsi que Gaspard et Hector ont tous les deux conclu notre discussion de ce soir.

 

Car ce soir, nous avons parlé, entre la poire et le fromage - ou plutôt entre la pizza et les fraises - de "problèmes et de solutions", Gaspard nous ayant dit qu'il avait entendu quelqu'un dire "il n'y a pas de problèmes, il n'y a que des solutions".

 

Spontanément, sans nous concerter, mon mari et moi avons pensé au plus gros problème que la vie ait mis en travers de notre chemin... 

 

Et c'est lui qui a osé en parler à Gaspard et Hector, en ces termes : "Élise avait un problème et nous n'avons pas trouvé de solution". De fil en aiguille, nous en sommes arrivés à leur dire, pour la première fois aussi explicitement, que c'est nous deux qui avions "décidé de ne pas faire naître Élise vivante".

Alors que Hector était tout ouïe quoique silencieux, Gaspard, du haut de ses presque six ans, a ensuite posé des questions aussi pertinentes que douloureuses :

 

"Ça veut dire qu'elle aurait pu naître vivante ?"

"Oui, mais..."

Nous avons alors essayé de leur expliquer quelle vie aurait été la sienne, d'après les médecins, et du coup quelle vie nous aurions eue, nous et eux...

 

"Et comment elle est morte du coup ?"

"Un médecin a arrêté son cœur quand elle était encore dans mon ventre."

 

Nous ne sommes pas allés jusqu'à expliquer plus avant le geste ou la façon de faire puisqu'ils ne nous ont pas précisément interrogés à ce sujet, car nous avons pris le parti de ne pas (trop) anticiper leurs questions. Nous nous disons qu'ils poseront leurs questions au fur et à mesure, quand ils seront prêts à s'exposer aux réponses.

 

Avoir un enfant mort oblige à manier l'art de la vérité avec délicatesse. Je ne sais pas si nous avons pleinement réussi ce soir, mais j'ai le sentiment que nous avons franchi une étape.

Je m'étais déjà demandé comment nous leur annoncerions que nous avions été décisionnaires du destin d'Élise, que nous avons eu pouvoir de vie et de mort sur elle, que nous avons exercé ce pouvoir. Je redoutais ce moment, autant qu'il me tardait de le vivre rien que pour qu'il soit derrière nous.

Gaspard et Hector (dans une moindre mesure, eu égard à son plus jeune âge et à sa maturité moins avancée) savent donc dans les grandes lignes, mais au-delà des vagues "elle était très malade" ou imprécis "elle n'aurait pas pu vivre", pourquoi et comment leur sœur est morte. Je suis quelque part soulagée, car j'avais l'impression de leur mentir en les laissant croire, par nos non-dits, nos omissions, nos silences, qu'elle était morte d'elle-même ou par je-ne-sais-quelle entremise mystérieuse.

 

Il faudra pourtant recommencer dans quelque temps avec Agathe mais nous appréhenderons certainement moins ce moment maintenant que nous l'avons déjà vécu une fois. Mais je suis certaine que les larmes couleront de nouveau...

Réflexion

 


18 septembre 2018

5 ans

Il y a 5 ans, à cette heure-ci, tu étais déjà morte, mais pas encore née. Cette année, je ne sais pas quoi dire sans craindre de me répéter. Mes sentiments sont les mêmes, mes mots le seraient aussi. Alors, pour honorer ta mémoire, j'ai envie de laisser la parole à tes frères, que la naissance de leur petite sœur semble encourager... Instinctivement, sans même en avoir conscience, ils sentent, ils savent que naissance et mort sont parfois intimement liées.

Évidemment, du haut de ses 5 ans, Gaspard est plus prolixe et plus à l'aise pour mettre des mots sur ce qu'il ressent, même si Hector, qui n'a que 3,5 ans, sait aussi exprimer parfois ce qui l'anime par rapport à cette grande sœur restée petite.

 

Gaspard, le 8 septembre :

Heureusement qu'Agathe, elle a pas fait pareil qu'Élise.

 

Gaspard, le 16 septembre :

J'espère que, quand tu seras morte, Agathe sera un peu plus grande.

 

Et aujourd'hui même, alors que je leur expliquais que cela faisait 5 ans que leur sœur était morte et que je leur demandais ce qu'ils lui diraient s'ils pouvaient lui parler :

Hector, en larmes : Moi, je veux voir Élise en vrai !

Gaspard : Moi, si je pouvais parler à Élise, je lui dirais : "Élise, je voudrais que tu sois avec nous, mais on n'a pas le choix, tu dois être morte."

J'avoue que ce "tu DOIS être morte" m'a laissée sans voix...

 

Et au coucher, pour continuer de penser à Élise, nous avons lu "Les raccomodeuses de cœurs déchirés". J'ai réussi à aller au bout sans pleurer, même si ma voix n'était pas très assurée... (Et nous avons fini par "Crocolou aime les saisons" histoire de déplomber l'ambiance avant qu'ils ne s'endorment !...)

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18 septembre 2017

Pas plus que l'écume

Je n'aurai pas duré plus que l'écume
Aux lèvres de la vague sur le sable
Né sous aucune étoile un soir sans lune
Mon nom ne fut qu'un sanglot périssable

Yvan Goll


4 ans aujourd'hui que tu es MORTE...

23 juin 2017

Quand c'est pas l'un...

... c'est l'autre !

Hector semble en effet suivre les traces de son frère sur le chemin de la pipeletterie. Et pas plus tard que ce matin, il y est allé de son petit coup de poignard verbal dans mon cœur cabossé de maman.

Sur le trajet de la crèche, Gaspard, pour changer, a lancé la discussion sur la mort (à part ça, il semble plutôt bien dans ses sandalettes, je vous rassure !) en commentant : "Nous, on sera morts dans trèèèèèèèès longtemps, quand on sera grands, grands, grands !". Tandis que ma bouche a timidement confirmé, mon cœur s'est contenté d'espérer qu'il en serait ainsi.

Et Hector, d'ordinaire plutôt indifférent à ce genre de conversation, de rebondir : "Élise mort grand !".
Je n'ai pas eu d'autre choix que de le détromper : "Non, Élise était encore toute petite quand elle est morte, c'était un bébé."

Larme

Voilà mes amours, vous êtes en train de découvrir la cruauté de la vie et l'ambiguïté du discours de vos parents : "en général, on grandit avant de mourir, mais pour votre sœur, ça ne s'est pas passé comme ça".

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20 juin 2017

On récolte ce que l'on sème

Hier matin, profitant d'un instant d'inattention et d'une fenêtre ouverte, notre chat s'est payé une escapade improvisée dans le quartier, juste avant le départ pour la crèche, l'école et le travail évidemment ! Pour éviter tout retard à l'école, j'ai emmené les enfants et laissé mon mari chercher après le chat. Sur la route, nous avons parlé de cette mini-fugue, que Gaspard a commentée ainsi, presque le sourire aux lèvres : "Si elle va sur la route, elle va se faire écraser". Me rendant bien compte qu'il n'en saisissait pas toutes les conséquences, j'ai alors expliqué que si elle se faisait écraser, elle risquait de mourir et que nous risquions de ne plus l'avoir/la voir. Et mon petit bonhonne de rétorquer tout de go : "Oui, mais on pourra la voir en photo".

Mon Gaspard a bien retenu ce que nous lui répondons lorsqu'il nous dit vouloir voir sa sœur : "on ne peut plus la voir en vrai parce qu'elle est morte, mais on peut la voir en photo".

 

Et ce matin, en arrivant à l'école, Gaspard qui me sort, une fois encore de but en blanc : "là tout de suite, Élise, elle est morte".
Moi : "Oui, effectivement."
Gaspard : "Et des fois, ça nous rend tristes et des fois, ça nous rend pas tristes."
Moi : "Et alors ce matin, ça te rend comment ?"
Gaspard : "Aujourd'hui, ça me rend pas triste."

Ouf, il semblerait qu'il ne gère pas trop mal ses émotions par rapport à Élise et qu'il s'autorise à les vivre et les exprimer, quelles qu'elles soient.

Réflexion

Eh bien, ces deux anecdotes sont pour moi des petites victoires sur notre chemin de famille endeuillée ! :-)

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12 janvier 2017

Bon appétit !

Hier midi, j'ai déjeuné en tête-à-tête avec Gaspard, qui n'a ni école ni centre aéré le mercredi.

Alors que nous nous apprêtons à manger, il me souhaite un bon appétit. Il me demande alors où sont Papa ("au travail") et Hector ("à la crèche"), puis lance un joyeux "Bon appétit Élise !". Je me contente de le regarder, un sourire attendri au coin des lèvres, ce qui suscite son interrogation: "Tu dis pas bon appétit à Élise ?". Je lui explique alors que je ne le lui souhaite pas parce qu'Élise est morte et que quand on est mort, on ne peut pas manger. Et lui de s'écrier, avec enthousiasme, fier de sa trouvaille : "Bonne mort Élise !".

Oui, c'est ça, bonne mort Élise... Profite bien de l'au-delà, en nous attendant...

Réflexion

 

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18 septembre 2016

Faute de conjugaison

Ça devait être plus que parfait
Tu devais être notre présent
Et notre futur
 
Malgré notre amour inconditionnel
Tu n’as été qu’un conditionnel
Et tu n’es plus qu’un im-parfait

Réflexion

3 (s)ans

Combien sommes-nous à savoir, au-delà de l’idée intime de la finitude de l’être humain, que notre enfant va mourir ? Cette idée qui plane au-dessus de notre tête et de nos jours de fête…

Combien sommes-nous à préparer la mort de notre enfant ?
Combien sommes-nous à savoir comment notre enfant va mourir ?
Combien sommes-nous à savoir pourquoi notre enfant va mourir ?
Combien sommes-nous à savoir de quoi notre enfant va mourir ?
Combien sommes-nous à savoir par qui notre enfant va mourir ?
Combien sommes-nous à savoir à cause de qui notre enfant va mourir ?
Combien sommes-nous à décider que notre enfant va mourir ?

Combien sommes-nous à être le spectateur de la mort de notre enfant ?
Combien sommes-nous à être – pire encore – le théâtre de la mort de notre enfant ?
Combien sommes-nous à en être le metteur en scène ?
Combien sommes-nous à en être le souffleur ?

Je ne sais même pas pourquoi je m’attarde sur ce « combien », car en réalité je me fiche de connaître ce nombre : il est trop grand, puisqu’il est. ll est trop grand, puisque j'en fais partie.

 

Je t’ai pris la vie
Tu as rendu l’âme
Mais je ne sais pas à qui

Larme

27 septembre 2015

Emmanuel Moire et la mort de son frère jumeau

Vidéo

Émission "Toute une histoire" diffusée sur France 2
Date : 17 septembre 2015
Durée : 59mn

17 juillet 2015

Hier, tu m'as fait pleurer

Sur le trajet du retour de la crèche, ton père t'a posé des questions auxquelles tu as bien répondu. À votre retour à la maison, vous avez reproduit ce petit dialogue devant moi.

- Elle est où, Maman ?
- Mama maison.

- Il est où, Hector ?
- 'Eto' maison.

- Elle est où, Élise ?
- Éli' mor'.

Entendre ces horribles mots prononcés par toi.
Entendre cette horrible réalité dans ta petite bouche innocente.
Tu n'as même pas deux ans et la mort fait déjà partie de ton vocabulaire et de ta vie...

Et en même temps, à chaque fois que tu fais ou dis quelque chose de nouveau par rapport à Élise, une partie de moi se réjouit, derrière le rideau de larmes. Parce que je me dis que, petit à petit, sans lourdeur j'espère, nous parvenons à ce que nous nous sommes promis, à ce que nous lui avons promis, à ce que je lui ai dit à voix haute devant son cercueil au fond de sa tombe ce lundi 23 septembre 2013 : Élise existe pour toi, naturellement, simplement.
Il y aura sûrement des moments plus compliqués, plus délicats, plus embarrassants, avec des questions inévitables, des réponses impossibles, des doutes ravivés, des reproches insupportables mais au moins elle EXISTE pour toi et, si nous continuons ainsi, elle existera aussi pour Hector. C'est tout ce que nous (nous) souhaitons.

Hier, tu m'as fait pleurer, mais comme je te le dis À CHAQUE FOIS que je pleure devant toi, ce n'est pas de ta faute si je pleure, c'est parce que ta sœur n'est pas là.

Larme

Posté par Tannabelle à 09:13 - - Commentaires [1] - Permalien [#]
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