"Ces décisions qu'on n'aurait jamais imaginé prendre"
Il y a quelques jours, en tant qu'auditrice régulière de l'émission "On est fait pour s'entendre" de Flavie Flament sur RTL, j'ai réagi sur la page Facebook au thème qui devait être abordé l'après-midi même :
Ces décisions qu'on n'aurait jamais imaginé prendre
"Nous ne nous y étions pas projetés.
Nous ne les avions pas anticipées.
Nous n'y avions pas pensé et peut-être même
qu'elles ne nous avaient absolument pas traversé l'esprit.
Pourtant, la vie nous met parfois face à des choix
auxquels nous n'aurions pas pensé.
Pour notre invitée Florence Bouté,
c'est la mort de sa jeune fille
qui l'a mise face la possibilité de donner ses organes...
Comment vit-on ces décisions qu'on aurait jamais imaginé prendre ?
Qu'est-ce qui motive finalement notre choix ?"
Mon commentaire a retenu l'attention de l'équipe au point que j'ai été contactée en privé et invitée à témoigner à l'antenne en direct.
Je vous laisse découvrir l'émission ici : https://www.rtl.fr/actu/conso/ces-decisions-qu-on-n-aurait-jamais-imagine-prendre-7799371043
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La jolie histoire autour de mon intervention, c'est qu'une mamie a été touchée par mon témoignage au point d'en parler le lendemain à son kiné, qui n'est autre que le mari de la présidente de Nos tout-petits, l'association d'accompagnement du deuil périnatal pour laquelle je suis bénévole ! Mon Élise voyage de cœur en cœur !
Qui es-tu, Élise ?
Je ne sais pas qui tu es. Je ne sais pas qui est cette petite fille que j’aime, que je pleure et qui me manque.
Quand je pense à toi, j’imagine une petite fille de 6 ans, qui aurait fait sa rentrée en CP, qui aurait les cheveux bruns et bouclés, qui apprendrait à nager, qui s’initierait à la musique, qui inviterait ses copains et copines à son anniversaire, qui réciterait sa première poésie, qui se chamaillerait avec ses frères et qui amuserait sa sœur.
Pourtant, ça n’aurait jamais pu être toi. Cette petite fille n’existe pas, ni dans ce monde-ci, ni dans ce monde-là. Ce scénario ne faisait pas partie des options qui nous ont été proposées. La seule vie que nous avions imaginée pour toi, pour ton frère, pour notre famille a volé en éclats. Notre champ des possibles est devenu impossible. Nous avons eu le choix entre un bébé lourdement handicapé et un bébé mort. Tu parles d’un choix !
Avec le choix que nous avons fait, tu ne souffleras sur aucune bougie demain, tu n’as pas fait ta rentrée en CP, tu n’as pas choisi de garder les cheveux courts comme ton frère jumeau ou de les laisser pousser comme ton petit frère, tu n’apprends pas à nager, tu ne t’inities pas à la musique, tu ne fêteras pas ton anniversaire avec tes copains et copines samedi après-midi, tu ne me récites pas ta poésie tous les soirs, tes frères se chamaillent à deux et ta sœur s’amuse sans toi.
Si nous avions fait l’autre choix, tu ne soufflerais sur aucune bougie demain, tu n’aurais pas fait ta rentrée en CP, tu nous laisserais décider de la longueur de tes cheveux, tu n’apprendrais pas à nager et ne saurais même pas marcher, tu ne percevrais peut-être même pas la musique, tu ne fêterais pas ton anniversaire samedi prochain, tu ne me réciterais aucune poésie et ne saurais même pas parler, tes frères se chamailleraient quand même sans toi et ta sœur s’amuserait quand même sans toi.
Ta réalité ne s’intègre pas à ma réalité. J’ai un peu honte de le dire, mais quand je pense à toi, ce n’est pas à toi, mon Élise, mon bébé malformé et malade, que je pense, c’est à cette petite fille que j’avais imaginée avant. Celle que tu es ne parvient pas à prendre la place de celle que j’imagine. Je sens bien que ces deux Élise existent toutes les deux quelque part, dans deux espace-temps différents, mais quelque chose me glisse inexorablement entre les doigts. C’est comme si tu n’étais qu’une idée, une pensée, une chimère, quelque chose d’évanescent qui m’échappe dès que je m’en approche. Alors, qui es-tu, Élise ?
Sur le chemin de la vérité...
"Je voudrais qu'on me fasse mourir pour pouvoir voir Élise."
C'est ainsi que Gaspard et Hector ont tous les deux conclu notre discussion de ce soir.
Car ce soir, nous avons parlé, entre la poire et le fromage - ou plutôt entre la pizza et les fraises - de "problèmes et de solutions", Gaspard nous ayant dit qu'il avait entendu quelqu'un dire "il n'y a pas de problèmes, il n'y a que des solutions".
Spontanément, sans nous concerter, mon mari et moi avons pensé au plus gros problème que la vie ait mis en travers de notre chemin...
Et c'est lui qui a osé en parler à Gaspard et Hector, en ces termes : "Élise avait un problème et nous n'avons pas trouvé de solution". De fil en aiguille, nous en sommes arrivés à leur dire, pour la première fois aussi explicitement, que c'est nous deux qui avions "décidé de ne pas faire naître Élise vivante".
Alors que Hector était tout ouïe quoique silencieux, Gaspard, du haut de ses presque six ans, a ensuite posé des questions aussi pertinentes que douloureuses :
"Ça veut dire qu'elle aurait pu naître vivante ?"
"Oui, mais..."
Nous avons alors essayé de leur expliquer quelle vie aurait été la sienne, d'après les médecins, et du coup quelle vie nous aurions eue, nous et eux...
"Et comment elle est morte du coup ?"
"Un médecin a arrêté son cœur quand elle était encore dans mon ventre."
Nous ne sommes pas allés jusqu'à expliquer plus avant le geste ou la façon de faire puisqu'ils ne nous ont pas précisément interrogés à ce sujet, car nous avons pris le parti de ne pas (trop) anticiper leurs questions. Nous nous disons qu'ils poseront leurs questions au fur et à mesure, quand ils seront prêts à s'exposer aux réponses.
Avoir un enfant mort oblige à manier l'art de la vérité avec délicatesse. Je ne sais pas si nous avons pleinement réussi ce soir, mais j'ai le sentiment que nous avons franchi une étape.
Je m'étais déjà demandé comment nous leur annoncerions que nous avions été décisionnaires du destin d'Élise, que nous avons eu pouvoir de vie et de mort sur elle, que nous avons exercé ce pouvoir. Je redoutais ce moment, autant qu'il me tardait de le vivre rien que pour qu'il soit derrière nous.
Gaspard et Hector (dans une moindre mesure, eu égard à son plus jeune âge et à sa maturité moins avancée) savent donc dans les grandes lignes, mais au-delà des vagues "elle était très malade" ou imprécis "elle n'aurait pas pu vivre", pourquoi et comment leur sœur est morte. Je suis quelque part soulagée, car j'avais l'impression de leur mentir en les laissant croire, par nos non-dits, nos omissions, nos silences, qu'elle était morte d'elle-même ou par je-ne-sais-quelle entremise mystérieuse.
Il faudra pourtant recommencer dans quelque temps avec Agathe mais nous appréhenderons certainement moins ce moment maintenant que nous l'avons déjà vécu une fois. Mais je suis certaine que les larmes couleront de nouveau...
Pas plus que l'écume
- Je n'aurai pas duré plus que l'écume
- Aux lèvres de la vague sur le sable
- Né sous aucune étoile un soir sans lune
- Mon nom ne fut qu'un sanglot périssable
Yvan Goll
4 ans aujourd'hui que tu es MORTE...
Comme par surprise
Grâce à une certaine rencontre fin 2016, qui a peut-être éveillé des choses en toi, ou eu un simple effet placebo, ou purement coïncidé avec le bon moment au fond de toi.
Grâce au sport, auquel tu t'es enfin mise, depuis plusieurs mois, assidûment, et qui te fait du bien physiquement et mentalement.
Grâce au temps qui passe, aussi, certainement.
Et puis tu la vois arriver, l'air de rien. Tu te dis que ça va aller, que ton moral est suffisamment solide par ailleurs pour réussir à l'affronter, que tu ne vas pas poser un genou à terre juste à cause d'elle.
À mesure qu'elle se rapproche, tu l'observes, la toises, la guettes, comme pour la défier, et te rassurer un peu, aussi.
Tu ne parles pas d'elle, comme pour lui donner moins d'emprise sur toi.
Et finalement, elle est là. Tu te retrouves au pied du mur, tu ne peux plus l'éviter ni faire semblant et tu te la prends en pleine face, comme sans t'y attendre, comme si tu ne l'avais pas vue arriver, comme si tu croyais pouvoir la rayer, chaque année, de ta vie, de tes souvenirs et de tes pensées.
Cette putain de date anniversaire.
Cette putain de date qui a fait basculer ta vie, il y a quatre ans.
Celle qui n'arrive pas qu'aux autres, finalement.
Celle qui a donné un sexe, un prénom... et des malformations à ta fille.
Celle qui a rendu ta fille malade.
Celle qui a rendu ta fille mortelle.
Faute de conjugaison
3 (s)ans
Combien sommes-nous à savoir, au-delà de l’idée intime de la finitude de l’être humain, que notre enfant va mourir ? Cette idée qui plane au-dessus de notre tête et de nos jours de fête…
Combien sommes-nous à préparer la mort de notre enfant ?
Combien sommes-nous à savoir comment notre enfant va mourir ?
Combien sommes-nous à savoir pourquoi notre enfant va mourir ?
Combien sommes-nous à savoir de quoi notre enfant va mourir ?
Combien sommes-nous à savoir par qui notre enfant va mourir ?
Combien sommes-nous à savoir à cause de qui notre enfant va mourir ?
Combien sommes-nous à décider que notre enfant va mourir ?
Combien sommes-nous à être le spectateur de la mort de notre enfant ?
Combien sommes-nous à être – pire encore – le théâtre de la mort de notre enfant ?
Combien sommes-nous à en être le metteur en scène ?
Combien sommes-nous à en être le souffleur ?
Je ne sais même pas pourquoi je m’attarde sur ce « combien », car en réalité je me fiche de connaître ce nombre : il est trop grand, puisqu’il est. ll est trop grand, puisque j'en fais partie.
Je t’ai pris la vie
Tu as rendu l’âme
Mais je ne sais pas à qui
Si nous avions pu...
Ce soir, au milieu d'une phrase anodine, Gaspard a capté le mot "réparer". Fidèle à sa réputation de pipelette, il s'est alors amusé avec.
"Réparer Gaspard moi !
Réparer Papa moi !
Réparer Hector moi !
Réparer Élise moi !"
- On ne peut pas réparer Élise, tu sais. Si nous avions pu, nous l'aurions fait...
- Veux réparer Élise moi.
Si nous avions pu...
Mais nous n'avons même pas essayé...
Golden Blog Awards 2015
Comme l'an dernier, j'ai inscrit mon blog à un concours de blogs : les Golden Blog Awards.
Pour connaître la mécanique du concours et mes motivations, je vous invite à lire le billet de l'an dernier.
Pour voter, deux façons :
- directement via le bouton de vote sur la droite du blog,
- sur le site des GBA.
Vous pouvez voter une fois par jour, tous les jours jusqu'au 26 octobre !
Alors je compte sur vous ! :-)
Elles ont dû interrompre leur grossesse pour raison médicale
Émission "Toute une histoire" diffusée sur France 2
Date : 18 septembre 2015
Durée : 59mn