27 mars 2017

Tristesse à la pelle

Un soir de la semaine dernière, Gaspard a choisi - pour la première fois, alors que le livre est dans sa bibliothèque depuis plusieurs mois - comme lecture avant de dormir "Une chanson pour l'oiseau", un livre imagé qui parle du deuil à travers la mort d'un oiseau, qui se fait recueillir et offrir une sépulture par des enfants.

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À un moment de l'histoire, les enfants s'en vont creuser eux-mêmes sa tombe dans la forêt. Voulant faire le parallèle avec sa sœur pour l'aider à comprendre, je lui explique que c'est comme pour Élise, qu'elle aussi a une tombe, que c'est justement sur sa tombe que nous allons quand nous nous rendons au cimetière, etc. Et Gaspard de me rétorquer, à la vue de cette page : "moi aussi, j'ai porté la pelle pour Élise !"

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Hum, alors comment te dire Mon Amour, quand la tombe de ta sœur a été creusée, tu avais... 4 jours ! Alors non, tu n'as pas porté la pelle !

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23 septembre 2015

S'il fallait t'enterrer à nouveau

Ce 23 septembre 2013, nous n'étions que huit à accompagner ton cercueil. Parce que ton papa et moi avions choisi de faire ça "en petit comité".

Si c'était à refaire, je ferais autrement. J'annoncerais ton décès à notre entourage - familial, amical, professionnel ou autre - et "l'inviterais" à ton enterrement comme si tu n'avais pas été qu'un fœtus mort-né, comme si tu n'étais pas un bébé que personne n'a connu. Je me dis souvent que si Gaspard ou Hector mourait, on ne ferait probablement pas ça "en petit comité". Alors pourquoi est-ce qu'on t'a cachée comme si tu n'avais pas vraiment vécu, comme si tu n'étais pas vraiment morte, comme si tu n'existais pas vraiment ?!

Ce jour-là, nous n'avons souhaité la présence de personne à part nos parents et nos frères et belle-sœur. Sûrement parce que j'aurais eu trop peur que personne ne vienne, que personne ne juge ton départ comme un vrai départ et ta mort comme une vraie mort, que personne ne prenne la peine de se déplacer pour toi, ou à défaut pour nous. En assistant à ton enterrement, les gens se seraient peut-être rendu compte pour de bon que tu as existé ; ils auraient peut-être même compris que tu as vécu, uniquement dans mon ventre mais quand même.

Si c'était à refaire, je ferais les choses autrement.
Pour que les gens voient ton cercueil, ton tout petit cercueil, ton minuscule cercueil.
Pour que les gens voient notre chagrin.
Pour que les gens sachent. Pas pour qu'ils comprennent, mais pour qu'ils sachent, au moins.

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23 juin 2015

21 mois

21 mois que nous t'avons dit adieu.
21 mois que nous ne pouvons plus caresser ton visage immobile.
21 mois que nous ne pouvons plus te regarder qu'en photos.
21 mois que nous ne pouvons plus faire semblant de réchauffer tes petites mains glacées.

"Mais toute vie achevée est une vie accomplie : de même qu'une goutte d'eau contient déjà l'océan, les vies minuscules, avec leur début si bref, leur infime zénith, leur fin rapide, n'ont pas moins de sens que les longs parcours. Il faut seulement se pencher un peu pour les voir, et les agrandir pour les raconter."
Françoise Chandernagor - La chambre

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23 septembre 2014

Un cœur en automne

Tu es morte en été.
Tu es née en été.

Tu as été enterrée en automne.

C'était il y a un an.

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23 mai 2014

24 mai

Aujourd'hui, nous sommes le 23 mai.

Il y a 8 mois, c'était presque la première fois que nous voyions ton visage, que nous prenions ta main, que nous t'embrassions. Et pourtant c'était aussi et surtout la dernière fois.

Demain, nous serons le 24 mai.

Il y a un an, j'avais passé une belle après-midi avec des amis venus égayer mes journées en solitaire.
Nous nous étions amusés de mon statut temporaire de "personne à mobilité réduite", en raison de l'hématome qui m'obligeait à limiter mes déplacements.
Nous avions parlé des sexes qui devaient rester secrets jusqu'à la naissance.
Nous avions évoqué les trois couples de prénoms que nous avions choisis.

Il y a un an, mon mari et moi étions sur le point de découvrir que la vie peut se comporter en traîtresse.
Il y a un an, mon mari et moi étions sur le point de recevoir un message de ces amis désireux, en toute bienveillance et en toute innocence, de savoir si mon statut de PMR était prolongé ou non.
Il y a un an, mon mari et moi étions sur le point d'apprendre les sexes de nos jumeaux de façon un peu fortuite.
Il y a un an, mon mari et moi étions sur le point de commencer à appeler, un peu plus tôt que prévu, nos jumeaux par leurs prénoms.

Il y a un an, notre vie a commencé à basculer. Lentement, progressivement, inexorablement.

Ce 24 mai 2013, la plus grosse inquiétude que nous a laissée l'échographie était liée à la fente labio-palatine d'Élise.
C'était l'anomalie la plus visible.
C'était l'anomalie la plus grave.
C'était l'anomalie qui avait bien voulu dire son nom immédiatement.
C'était l'anomalie définitive, celle qui ne pourrait de toutes façons pas disparaître d'elle-même in utero.
C'était l'anomalie qu'il faudrait traiter et opérer dès les premiers mois de vie d'Élise.
C'était l'anomalie qui nous "parlait" le plus, à nous, les profanes.
C'était l'anomalie qui nous laissait entrevoir que nous avions des moyens d'action.
C'était l'anomalie qui ne nous interdisait pas de nous projeter.

Ce 24 mai 2013, nous avons occulté la deuxième anomalie d'Élise : la dilatation des ventricules de son cerveau.
C'était l'anomalie la moins visible.
C'était l'anomalie la moins grave.
C'était l'anomalie qui pouvait n'être qu'une fausse alerte, celle qui pouvait stagner, voire régresser ou même se résorber d'elle-même in utero.
C'était aussi l'anomalie qui faisait peur, celle-dont-il-ne-fallait-pas-prononcer-le-nom.
C'était surtout l'anomalie qui pouvait faire basculer notre vie.


10 mai 2014

Combien ça coûte ?

Jeudi, aux Maternelles sur France 5, il était question du coût financier que représente l'arrivée d'un bébé et du système D que l'on peut déployer pour la préparer.

Nathalie Lebreton a parlé des résultats du sondage auquel ont répondu les téléspectateurs (on fera d'ailleurs semblant de ne pas avoir remarqué la faute de conjugaison !) :

Coût arrivée bébé

Pour la grande majorité des parents, l'arrivée du premier enfant coûte au moins 4000€. Alors, quand j'entends ces questions plutôt anodines, je ne peux m'empêcher de me poser la question : "et chez nous, ça donne quoi ?".

Pour Gaspard, on nous a donné/prêté/offert beaucoup de choses alors nous en sommes très loin.

Pour Élise, c'est une autre histoire. Je vais peut-être choquer en évoquant ce sujet mais cela fait aussi partie de notre réalité de parents désenfantés.

Entre l'achat de la concession au cimetière, ses obsèques, la plaque provisoire en attendant l'érection du monument et le monument en question, nous avons dépensé pour Élise plus de 7000€ en moins de 8 mois. Il est certain que Gaspard aura besoin de plusieurs mois voire années pour rattraper cette somme.

Cela étant, je ne recherche pas l'apitoiement sur notre sort financier : ces dépenses, nous les avons "choisies".
Dans le cas d'Élise, puisqu'elle est née sans vie, nous aurions pu décider de ne pas nous occuper de ses obsèques mais cela était inconcevable pour nous.
Nous aurions pu préférer l'incinération mais cela ne nous correspond pas, à mon mari et à moi.
Nous aurions pu choisir une pierre plus courante mais nous ne voulions pas du gris moucheté que l'on retrouve partout.
Et si nous avons engagé ces dépenses, c'est que nous pouvons les assumer.

Je voulais juste vous en parler parce que c'est aussi ça, la réalité du deuil périnatal, aussi matérielle et triviale soit-elle.

23 janvier 2014

Quatre mois

Samedi, ça a fait quatre mois que le cœur d'Élise s'est arrêté.

Dimanche, ça a fait quatre mois qu'Élise et Gaspard sont arrivés sur terre.

Aujourd'hui, ça fait quatre mois qu'Élise s'amuse avec ses copines les taupes.

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Je n'en parlerai pas tous les mois. Je n'en parlerai pas le 18, le 19 et le 23 de chaque mois. Mais ça ne veut pas dire que je n'y pense pas.

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03 janvier 2014

Il y a...

Dans sa boîte à souvenirs, sur un morceau du même tissu qui a servi à l'étagère de Gaspard, il y a...

  • une photo d'elle avec la grenouille que ma maman lui a tricotée et les chaussons que je lui avais tricotés
  • un doudou-ours brodé à son prénom et offert par des amis de mes beaux-parents
  • un doudou-lapin brodé à son prénom et sa date de naissance offert par le parrain de mon mari et son épouse
  • un kaléidoscope rempli d'étoiles offert par la cousine de mon mari et son époux
  • le papillon décoratif qu'il y avait parmi les premières fleurs posées sur sa tombe
  • le petit écriteau décoratif avec son prénom qu'il y avait parmi les premières fleurs posées sur sa tombe
  • le double de son bracelet de naissance
  • la même étoile que nous avons posée tout en haut de notre sapin de Noël et que nous avons offerte à nos parents, frères et belle-sœur pour leurs sapins de Noël
  • une branche de bruyère et un caillou de la première composition florale que nous lui avons déposée
  • l'enveloppe avec ses empreintes prises peu après sa naissance
  • l'album Starmyname à son prénom - le même que son frère
  • les cartes qui lui sont adressées : mon frère et ma belle-sœur, une amie de mes beaux-parents, une amie et son époux, le cousin de ma mère, son épouse et sa fille
  • un exemplaire du faire-part
  • le journal municipal de notre ville où elle et son frère figurent dans la rubrique Naissances
  • le body que la tante de mon mari avait acheté pour elle avant que l'on ne sache qu'elle ne viendrait pas au monde vivante
  • la pochette dans laquelle se trouvait le bracelet-étoile que mon mari m'a offert à Noël "au nom d'Élise"
  • la boule à neige-ange que des amis nous ont offerte
  • une rose séchée du jour de son enterrement
  • le coffret des pompes funèbres avec ce qui me relie au jour de son enterrement, ce 23 septembre : les cartes qui accompagnaient les fleurs, mon autorisation de sortie provisoire de l'hôpital, les tickets de péage, le texte qui a été lu
  • ses petites Converse - les mêmes que son frère
  • le courrier que nous avons reçu de la part du PDG de l'entreprise de mon mari et qui mentionne aussi bien Élise que Gaspard
  • le DVD des photos d'Élise en salle de naissance
  • le sac plastique rayé blanc et bleu dans lequel sa grenouille a patienté cet été en attendant de la rejoindre et que je n'ai pu me résoudre à jeter
  • le double des vêtements qu'elle porte : un body blanc, une robe gris clair avec de petites étoiles blanches brodées, une culotte assortie à sa robe, des soquettes blanches, les chaussons roses apportés par ses grands-parents paternels et le bonnet rose tricoté par sa grand-mère maternelle
  • le bonnet rayé blanc et gris tricoté par ma mère, qu'elle portait à sa naissance, qu'elle portait lors de l'autopsie, qui porte des traces de son sang et que je ne laverai jamais

Et toute ma vie je continuerai à remplir sa boîte, avec tout ce qui me fera penser à elle...

boîte à souvenirs

28 novembre 2013

Retour en arrière - Épisode 7 - Une journée belle à pleurer

Dernier billet de retour en arrière pour clôturer cette drôle d'aventure, qui continue... différemment...

Comme mon mari et moi ne sommes Normands que d'adoption et que nous avons l'intention de remonter dans le Nord-Pas-de-Calais d'ici quelques années, nous avons décidé d'y enterrer Élise, pour qu'elle soit chez nous et que nous n'ayons pas à la faire exhumer quand nous déménagerons.
Nous avons choisi un lieu symbolique pour nous - celui où nous nous sommes rencontrés - et facile d'accès à la fois pour nous, pour ses grands-parents et pour ses oncles et tante.

Depuis l'accouchement, Élise reposait à la chambre mortuaire de l'hôpital. Pendant ces quelques jours, nous avons pu y aller aussi souvent que nous l'avons souhaité ; nous avons pu la toucher, la caresser, l'embrasser, la regarder, la prendre en photo. Mais, à chaque fois, nous avons dû limiter notre visite à quelques minutes car la trivialité de la réalité s'imposait rapidement à nous : de la condensation apparaissait sur sa peau, son visage, ses lèvres. Une façon cruelle de nous rappeler qu'elle n'était pas simplement endormie mais que, lorsque nous n'étions pas à ses côtés, elle reposait dans un frigo...

Ce lundi 23 septembre est la dernière fois où nous l'avons vue et prise en photo. Détail aussi précieux qu'insignifiant : j'ai une photo de ses cheveux aussi foncés que les miens, alors que son frère a les cheveux clairs du papa.
Ce lundi 23 septembre est la dernière fois où j'ai pu la regarder, la toucher, la caresser, poser ma main sur la sienne et lui dire que je l'aime en la regardant...

Elle était belle, elle portait un body blanc, une robe gris clair avec de petites étoiles blanches brodées, une culotte assortie à sa robe, des soquettes blanches, les chaussons roses apportés par ses grands-parents paternels et le bonnet rose tricoté par sa grand-mère maternelle. Elle était accompagnée par sa grenouille et les chaussons que je lui avais tricotés. Son bracelet de naissance était posé à côté d'elle (d'ailleurs, si nous avions su qu'ils le lui retireraient du poignet, nous aurions emporté son bracelet pour le remplacer par le double que Franck nous avait préparé). Mon mari aurait voulu déposer une photo de Gaspard à côté d'elle mais nous n'en avons pas eu la présence d'esprit suffisamment tôt.

L'officier des pompes funèbres est arrivé du Pas-de-Calais en début de matinée. La mise en bière a eu lieu à 11h15. Mon mari et moi avons pu assister à la fermeture du cercueil - un joli cercueil blanc, minuscule, avec son prénom et son nom et un petit nounours doré. Nous ignorions ce dernier détail mais nous l'avons préféré à un ange, une symbolique souvent associée aux bébés décédés mais qui ne nous parle pas vraiment.

Les scellés ont été posés à 11h30. Nous avons pris la route vers le Pas-de-Calais à 11h45. Nous avons suivi le corbillard toute la route. Arrivés à destination, nous avons laissé les pompes funèbres préparer l'inhumation loin de nos regards. Nous nous sommes retrouvés avec mes parents, mon frère et ma belle-soeur, les parents et le frère de mon mari pour déjeuner tous ensemble avant de retourner au cimetière à 15h30. Nous n'avions pas prévenu grand-monde que l'enterrement se déroulait ce jour-là mais Élise a quand même reçu des fleurs : ses grands-parents, nos amis proches, les parents d'une amie proche eux-mêmes touchés par la perte d'un bébé, les collègues de sa grand-mère maternelle, son arrière-grand-mère paternelle, mon oncle et sa famille, les oncles/tantes/cousines de mon mari. Parmi ces personnes, la plupart n'ont connu et ne connaîtront Élise qu'à travers nous, et pourtant...

Le soleil brillait de mille feux ; nous l'avons interprété comme la présence de son frère. Nous n'avions pas su choisir de texte, c'est donc l'officier des pompes funèbres qui en a choisi un pour nous, qu'il a lui-même lu sur une musique que mon mari et moi avions choisie, l'Adagio pour cordes de Samuel Barber.

Me glissant au creux du ventre de celle qui m'a tant desirée
Je ressens déjà son amour, le bonheur que je lui ai procuré

J'entends son coeur qui bat, cette douce mélodie qui me berce
Je sens la chaleur de ses mains, la douceur de ses caresses

Elle me parle, me dit combien elle m'aime
Moi aussi, Maman, tu ne peux imaginer à quel point je t'aime

Me voilà simplement qu'un infime petit être
Un petit être qui grandit de jour en jour et qui n'attend qu'à naître

Mais que se passe-t-il ? Que m'arrive-t-il ?
Moi qui étais tellement bien, en sécurité, enveloppée

Pourquoi me retire-t-on de ce nid qui m'était offert ?
Pourquoi m'enlève-t-on la chance de vivre sur cette terre ?

Je ne sais pas où je me dirige, où je m'en vais
Je ne comprends ce qui m'arrive, ce que j'ai fait

Maman, je voulais tellement vivre et dans tes bras me retrouver
Je ne t'ai que trop peu connue mais tellement aimée

Défilant devant la lune et les étoiles, je survole maintenant cette terre
Côtoyant les nuages, je suis un petit ange dans cet immence univers

Regrettant de tout cœur le malheur que vit ma mère 
Je ne cesse d'entendre sa voix qui m'appelle et qui m'espère

Arrêtant devant ma maison, je regarde à la fenêtre
C'est elle, qu'elle est belle, qu'elle est douce, elle était parfaite

Je l'entends qui m'appelle, je ressens tellement son amour maternel
J'entends ses prières, je l'entends supplier le ciel

Maman, j'aimerais terriblement mettre un baume sur ton cœur
Le soulager car il est tellement meurtri par la douleur

Je désirerais sécher tes larmes et ne pas t'incomber ce malheur
Revoir seulement ton sourire, celui qui était rempli de bonheur

Je ne suis qu'un ange qui a seulement envie de se retrouver
Dans les bras de celle qui lui était destinée

Mais la vie, contre mon gré, en a décidé autrement
N'oublie jamais à quel point je t'ai aimée, Maman

Je serai toujours là et toujours je veillerai sur toi
Ne t'en fais pas, je suis bien, ne pleure pas

Au fil des jours, je serai à tes côtés je t'épaulerai
Car n'oublie pas, Maman, un jour je te retrouverai

En substance, c'est ce moment que nous avons vécu, devant le cercueil de notre fille, prêt à être déposé au fond de son caveau :

 Nous nous sommes ensuite recueillis devant son cercueil, avec mon mari. Puis ce fut au tour de nos frères et belle-soeur. Enfin, ce sont les quatre grands-parents, se tenant par la main, qui ont pris quelques instants pour lui dire adieu. L'officier a ensuite proposé à mon mari de l'aider à porter son cercueil jusqu'à la tombe : j'ai porté ma fille dans mon ventre, mon mari l'a portée dans son cercueil... Tous ces moments se sont déroulés avec, pour fond sonore, la chanson Sois tranquille d'Emmanuel Moire, que nous avions également choisie :

Avant de lui dire adieu, je lui ai promis de parler d'elle à son frère, de la faire vivre à travers nous. Elle fait partie de notre famille, de notre histoire, de nous. Je n'oublierai jamais le moment où je l'ai vue pour la première fois, où je l'ai mise au monde...

 

Aujourd'hui, je revois sans cesse cette image : son tout petit cercueil reposant au fond de ce si grand caveau... Et j'imagine ma fille toute seule, loin de nous, dans le froid, dans le noir... et mon coeur se brise en mille morceaux à chaque fois...

Retour en arrière - Épisode 6 - Un pont entre deux rives

C'est comme ça que je me suis sentie entre l'accouchement et l'enterrement : comme sur un pont entre deux rives...

Jeudi 19 septembre
L'une des premières pensées qui me sont venues à l'esprit est que je suis "contente" que l'ISG et les naissances n'aient pas eu lieu le même jour. Pour nous qui pouvons distinguer naissance et mort, pour Élise qui n'est pas qu'une date, pour Gaspard dont la naissance est associée à la naissance et non à la mort de sa soeur. De toutes petites choses qui aident à apprivoiser la réalité.

Le Dr Clavier, le Dr Brasseur et le Pr Marret ont eu la délicatesse de passer nous voir. Mais pas le Pr Verspyck. N'a-t-il pas eu le temps ou tout simplement pas l'envie ?

La psychologue est passée elle aussi. Elle nous a confié qu'elle n'arrêtait pas d'entendre parler de moi depuis le matin. Mon mari m'a aussi dit que j'avais assuré pendant l'accouchement et les sages-femmes n'arrêtaient pas de me dire que c'était "génial" ce que je faisais mais j'imagine que c'est leur façon d'encourager toutes les mamans en plein travail.

J'ai essayé de regarder les photos que nous avions faites d'Élise mais il était encore trop tôt, je n'ai pas pu. En plus, du peu que j'ai vu, je l'ai (déjà) trouvée moins belle que dans mes souvenirs tout récents. Mais j'étais sûre que j'aurais le besoin et le courage de les regarder plus tard, quand mes images deviendront floues.

Du vendredi 20 au dimanche 22 septembre
Ce vendredi matin, en attendant l'arrivée de notre famille proche, mon mari et moi avons pris notre courage à deux mains pour aller voir Élise à la chambre mortuaire de l'hôpital. Comme j'étais encore incapable de marcher longtemps et que la chambre mortuaire est située à quelques dizaines de mètres de l'unité kangourou, mon mari m'y a conduite en fauteuil roulant.

L'employé que nous avons vu a été très discret et respectueux et est allé chercher Élise dès notre arrivée pour l'installer dans une pièce dédiée au receuillement, puis il nous a permis d'entrer. J'ai fondu en larmes en la voyant. Je crois que mes jambes ne m'auraient pas soutenue si je n'avais pas été assise. Après la déception que j'ai ressentie en voyant nos photos d'elle en salle de naissance, j'appréhendais de la revoir mais j'ai été soulagée de la voir, de constater qu'elle n'avait pas "bougé", qu'elle était toujours mon petit bébé, inerte, sans vie mais pas morbide.

En la voyant, je n'ai pu m'empêcher de me demander si nous avions fait le bon choix. Je crois que je me le demanderai toute ma vie. C'était tellement insupportable de la voir morte, par notre faute en plus... Je me demande même si j'ai le droit de l'aimer et de la pleurer après ce que nous lui avons fait.

Les parents et le frère de mon mari ont pu aller voir Élise dès le matin mais mes parents et mon frère sont arrivés alors qu'elle venait de partir pour l'autopsie, en début d'après-midi. Il leur a donc fallu patienter encore pour la voir. Alors que, pendant la grossesse, nos frères et belle-soeur n'étaient pas sûrs de vouloir la voir, arrivés au moment fatidique, ils ont tous les trois souhaité la voir. J'en suis heureuse car je suis intimement persuadée que, dans le cas contraire, ils auraient regretté de n'avoir pu lui donner corps et de n'avoir pu lui dire au-revoir.

À son retour de l'autopsie, Élise n'avait toujours pas "bougé". Nous craignions qu'elle ne soit abîmée mais ce n'était pas le cas. Il faut dire qu'elle était habillée et que seuls son visage, ses mains et ses jambes étaient à nu. Depuis l'accouchement, elle portait le même bonnet que Gaspard, gris et blanc à rayures, mais ce n'était pas celui que nous lui destinions pour partir définitivement. À son retour de l'autopsie, nous avons remarqué des tâches de sang à l'arrière de son bonnet, là où elle avait probablement été ouverte. Nous avons "profité de l'occasion" pour demander aux employés de la chambre mortuaire de remplacer ce bonnet, que nous allons garder précieusement sans le laver, par le bonnet rose tricoté par ma mère et qui lui était destiné depuis plusieurs mois.

Le dimanche, la grand-mère de mon mari, qui vit en banlieue dans l'est parisien, a subitement eu envie de voir Élise avant qu'il ne soit trop tard. Elle a donc eu le courage de faire plus de cinq heures de taxi aller-retour pour venir voir ses arrières-petits-enfants. Je suis heureuse qu'elle ait pu voir Élise, elle qui ne parlait que de Gaspard pendant la grossesse. Seul mon mari était avec elle à la chambre mortuaire et il m'a rapporté les paroles qu'elle a dites à son arrière-petite-fille : "Ce n'est pas moi qui devrais être là, c'est toi qui devrais être à mon enterrement." Tellement simple, tellement vrai.

Ma fille, mon amour, ma princesse, ma poupée, mon étoile filante, pardonne-nous, pardonne-moi...

Quelques unes des réflexions qui me sont passées par la tête pendant ces quelques jours
C'était une immense douleur de la voir mais une nécessité absolue. Avec Gaspard, nous avons signé un CDI. Avec Élise, nous avons signé un très court CDD alors il nous fallait en profiter tant qu'il était encore temps.

On parlait toujours d'Élise en tant que petite soeur de Gaspard, comme une petite chose fragile, mais finalement c'est elle la grande soeur. C'est elle l'aînée, c'est elle notre premier enfant.

On avait vu Élise et Gaspard près de huit mois auparavant, au moment du replacement d'embryons dans le cadre de notre troisième FIV, alors qu'ils n'étaient chacun encore qu'un amas de quatre cellules et à présent ils étaient tous les deux là en chair et en os.

Comme c'est compliqué de vivre le deuil et la naissance en même temps. Comme ce grand écart psychologique est difficile à vivre. Et pourtant je n'ose imaginer ce que vivent les parents qui n'ont que le deuil, l'absence, le vide. Gaspard ne peut pas empêcher nos larmes de couler mais il est là pour les sécher : quel bonheur et quel réconfort quand nous le retrouvions après nos moments avec Élise à la chambre mortuaire.