Troisième, bordel !
Je savais que mon directeur brillerait à nouveau par son intelligence avant mon départ en congé maternité, prévu à la fin de la semaine. Cette fois encore, il ne m'a pas déçue !
Hier midi, à l'occasion du repas de fin d'année de l'entreprise, nous étions réunis au restaurant. Pour seul représentant du groupe auquel notre société appartient, un dirigeant qui ne connaissait pour ainsi dire quasiment personne de notre entité. Alors que je posais une question rapide à une collègue assise à une autre table, autour de laquelle siégeaient également ma chef, mon directeur et ce dirigeant, ce dernier a remarqué mon bidon quelque peu proéminent :-) Il s'est alors demandé, plus auprès de ses voisins de table que de moi, s'il s'agissait de mon premier enfant. Juste au moment où je rejoignais ma table, j'ai entendu mon directeur répondre, pour faire comme s'il était proche de ses employés et très au courant de leurs situations personnelles : "Deuxième". J'ai corrigé, pourtant à voix haute, "Troisième" mais je n'ai pas été entendue. J'ai toutefois été agréablement surprise d'entendre ma chef commencer à rectifier : "Deuxième grossesse mais...". Je n'ai pas entendu la suite, je n'ai pas voulu m'attarder alors que la conversation, bien que me concernant on-ne-peut-plus directement, ne m'impliquait pas. Je ne sais donc pas ce qu'elle a dit à propos de ma première grossesse ou d'Élise, mais je sais qu'elle a au moins nuancé la contre-vérité assénée par mon directeur.
Ça peut paraître anodin, on peut me reprocher de faire tout un plat de ce qui passerait aux yeux de beaucoup pour une simple anecdote, mais ça m'a vraiment affectée. Je sais qu'il est irrécupérable mais je ne peux me résoudre à ce que l'existence de ma fille soit bafouée à ce point.
Je lui en veux de ne rien comprendre, de ne rien vouloir comprendre.
Je lui en veux de ne pas reconnaître l'existence d'Élise.
Je lui en veux de ne pas me reconnaître en tant que mère d'Élise.
Je lui en veux de réussir - en un rien de temps, en un seul mot lâché négligemment - à me miner.
Je sais que cette colère et cette rancoeur sont négatives et viennent me polluer à un moment où je n'en ai vraiment pas besoin mais je n'arrive pas à "lâcher prise" par rapport à ça. C'est d'ailleurs pour cela que j'en parle sur le blog, même si ce billet peut paraître "inconsistant" : pour me libérer un minimum. Tout ce que j'écris, ici ou ailleurs, c'est toujours ça qui tourne un peu moins en boucle dans ma tête.
A-t-il besoin que je lui impose des photos de ma fille ? (Je reviendrai d'ailleurs sur ce sujet un jour prochain...)
A-t-il besoin que je lui raconte mon accouchement de deux bébés ?
A-t-il besoin que je lui montre le rapport d'autopsie ?
A-t-il besoin que je l'emmène sur sa tombe ?
De quoi a-t-il besoin, à part d'un cerveau et d'un coeur, pour comprendre qu'Élise a été et qu'elle existe ?!
Pourtant, il est l'une des personnes les mieux placées pour savoir, de façon très concrète, que Hector est mon troisième enfant : s'il était mon deuxième enfant, comme il se borne à le penser, mon congé maternité durerait 16 semaines et non 26, une différence pourtant conséquente quand il faut remplacer sa salariée absente !
Oui, mais non
Pour connaître le numéro de sécurité sociale de Gaspard (je vous donne un indice : il commence par "1" ^^), j'ai téléchargé la semaine dernière son attestation de droits à l'assurance maladie, où j'ai découvert ceci : "rang de naissance = 1" alors qu'il est né précisément cinq minutes après Élise.
Je me suis donc demandé si c'est parce qu'Élise est née sans vie - et pas née avant de décéder - que Gaspard est de fait considéré comme le seul - et donc le premier - enfant de ma première grossesse. Pour en avoir le cœur net, j'ai écrit à la sécu qui m'a répondu ceci :
"Je fais suite à votre message en date du 10 septembre 2014, concernant le rang de naissance de votre enfant Gaspard.
Cette notion de rang de naissance sert uniquement pour permettre de rattacher 2 enfants ayant la même date de naissance au dossier d'un même assuré.
Notre système informatique ne peut créer de rang 2 dans le cas où un seul enfant figure au dossier.
Je suis donc dans l'impossibilité de répondre favorablement à votre requête."
En l'occurrence, si je résume : ma fille n'existe pas pour des raisons informatiques !
Je pensais que l'informatique était au service de l'humain. Visiblement, c'est l'inverse...
Pourtant, j'avais mis les formes dans mon mail.
Pourtant, la sécurité sociale reconnaît ma fille pour d'autres aspects : j'ai eu droit à un congé maternité pour jumeaux et aurai droit, pour le haricot, à un congé maternité pour troisième enfant.
C'est "drôle" d'ailleurs : dans ce billet, je me demandais quel rang de naissance je devrais indiquer pour Gaspard si la question se posait un jour. J'ai maintenant la réponse...
Pourtant, c'est pour Élise que le travail a été le plus long et le plus douloureux.
Pourtant, c'est bien Élise que j'ai rencontrée avant Gaspard.
Pourtant, c'est bien Élise que j'ai dû m'empresser "d'oublier" temporairement pour donner naissance à son frère au prix d'un dernier effort.
Pourtant, c'est bien Élise qui née à 00h22, et non à 00h27.
Pourtant, c'est bien Élise qui a fait de moi une mère.
Pourtant, c'est bien Élise notre premier enfant sur notre livret de famille.
Non mais franchement !
Puisque je suis lancée sur l'administration française, autant continuer... avec la Caisse d'allocations familiales, cette fois-ci !
Début avril, pour 30 jours de congé maternité et 1 jour de congé parental en mars, j'avais touché quasiment un mois de salaire complet (déduction faite du 31 mars, donc)... ainsi qu'un mois de CLCA complet (= complément de libre choix d'activité, l'indemnité que l'on touche quand on prend un congé parental) de la part de la CAF !
Dans la foulée du versement de cette indemnité, j'avais même envoyé un mail à la CAF pour m'assurer que ce n'était pas une erreur et qu'on ne me réclamerait pas le trop-perçu plus tard - ce qu'on m'a confirmé, le plus naturellement du monde...
Aujourd'hui, en ce début du mois d'août, pour 15 jours de congé parental puis 16 jours de congés payés en juillet, je vous le donne en mille : j'ai touché un mois de CLCA complet !
Bon, j'ai aussi touché un mois de salaire complet au lieu d'une bonne moitié mais, pour le coup, ce doit être une erreur ! ^^
En avril comme aujourd'hui, je m'attendais à toucher un CLCA proportionnel au nombre de jours de congé parental dans le mois précédent. Alors, évidemment, je ne crache pas sur cette petite rentrée d'argent inattendue mais je ne trouve vraiment pas ça logique ! Je ne sais pas combien de milliers d'euros on pourrait économiser avec des versements au pro rata mais ce serait toujours ça, non ?!
Du coup, vous l'avez compris : si vous le pouvez et si votre salaire est supérieur au CLCA (ce que je vous souhaite !), vous avez intérêt à démarrer votre congé parental le plus tard possible dans le mois et à l'arrêter le plus tôt possible !
Assurance maladie
Je ne suis pas du genre à tomber dans les clichés sur les administrations françaises et sur les fonctionnaires mais je dois avouer que mes récents échanges avec l'assurance maladie entachent un peu mon objectivité !
- Le 25 juin dernier, j'ai envoyé un message via mon compte personnel du site ameli.fr pour savoir si je serais considérée comme étant déjà "maman d'un ou deux enfants" pour le calcul de la durée de mon prochain congé maternité.
- Le 26 juin, on m'a répondu, avec quelques explications et précisions annexes, que l'indemnité journalière maternité était égale à mon gain journalier moyen net calculé d'après les trois derniers mois de salaire précédant le congé prénatal.
- Le 26 juin, j'ai répondu en la jouant "profil bas", au cas où je me serais mal exprimée (!) dans ma demande initiale, et en reformulant ma question. J'ai ainsi demandé si j'étais "considérée comme ayant mis au monde un ou deux enfants nés viables".
- Le 27 juin, on m'a répondu que ma question avait été "transmise au service expert".
- Le 11 juillet, on m'a répondu que, pour avoir droit à l'allongement du congé maternité pour un troisième enfant, il fallait avoir mis au monde deux enfants viables et que je n'avais fourni, pour Élise, qu'un acte d'enfant sans vie (sous-entendu : qui ne précise pas si elle est née viable ou non).
- Le 12 juillet, j'ai demandé s'il suffisait que je fournisse un certificat attestant que ma fille est née à plus de 22 SA et pesait plus de 500 grammes à la naissance pour que la situation soit régularisée.
Le site de Petite Émilie distingue en effet les certificats d'accouchement d'un mort-né viable et d'un mort-né non viable, en précisant ceci : "Viabilité non définie dans la loi ; la sécurité sociale et la plupart des maternités ont gardé le seuil de 22 SA et 500g de poids de naissance en attendant de nouvelles directives ministérielles".
- Le 16 juillet, on m'a répondu que ma question avait été "transmise au service concerné".
- Le 17 juillet, on m'a expliqué ceci (la réponse est trop belle pour que je ne vous la reproduise pas texto et in extenso) :
"Suite à votre courriel du 16/07/2014, je vous informe que nous avons indemnisé (1) votre repos maternité sur la base d'une grossesse gémellaire avec un enfant à charge (2). Les indemnités journalières du 05/08/2013 au 30/03/2014 (3) ont été versées à votre employeur, soit 34 semaines qui correspondent bien au repos maternité dû pour 3 enfants à votre charge (4).
J'espère avoir répondu à votre demande."
1) Je vous parlais de mon congé maternité à venir ; j'ai donc été surprise de trouver du passé composé dans votre réponse.
2) Je ne sais pas d'où sort l'enfant que j'avais déjà à charge pendant ma grossesse gémellaire mais je vous assure que, si j'avais déjà été enceinte au point d'accoucher d'un enfant vraisemblablement vivant et vraisemblablement déjà âgé d'au moins quelques mois (puisque toujours à charge pendant la grossesse de mes jumeaux), je m'en serais certainement aperçue.
3) Ces dates correspondent au congé maternité de ma première grossesse. Vous me direz, ça colle avec le passé composé et l'évocation de la grossesse gémellaire de la première phrase.
4) Je suis ravie de voir que, en plus de m'avoir inventé un aîné, vous avez également pu ressusciter ma fille puisque, selon vous, j'ai désormais trois enfants à charge. Je vous saurai donc immensément gré de m'indiquer où se trouve ma fille.
Bien sûr, ce n'est pas ce que j'ai répondu mais simplement ce que j'ai pensé.
- Le 17 juillet, j'ai donc répondu que je n'avais pas compris cette réponse et réitéré, avec une certaine dose d'insistance polie, ma question.
J'ai parlé de "la (dernière) réponse (...), que je n'ai pas comprise".
J'ai rappelé que "ma question port(ait) sur ma nouvelle grossesse" et, un peu plus loin, sur "ma nouvelle grossesse qui vient de démarrer".
J'ai répété que je souhaitais "connaître la durée de mon FUTUR congé maternité".
J'ai redonné les informations concernant "ma première grossesse" et "mes premiers enfants".
Je leur ai même donné mon numéro de téléphone, leur suggérant que ce serait peut-être plus simple de voir tout ça en direct.
- Et le 21 juillet, j'ai enfin reçu une réponse adaptée et exhaustive : il suffit que je leur envoie le certificat de viabilité d'Élise pour que je puisse bénéficier de ce congé maternité pour troisième enfant, qui durera bien 26 semaines !
Et que celui ou celle qui trouve mesquin que je "réclame" ou "me batte" pour ce congé maternité allongé se pose la question : à son avis, entre "ma fille morte et un congé maternité plus long" ou "ma fille vivante et un congé maternité plus court", qu'est-ce que je choisirais si je pouvais ?!
Et puis, de toutes façons, la loi est ainsi faite : je ne vole personne, je ne contourne aucune législation, je me contente de faire valoir mes droits et de faire reconnaître ma fille !
Congé maternité, congé paternité
Aujourd'hui, nous sommes le 5 août : c'est le premier jour de mon congé maternité, qui doit prendre fin le 30 mars prochain.
Je sais bien que, pour l'instant, Élise et Gaspard sont encore là tous les deux mais je culpabilise parfois d'avoir droit à ce si long congé maternité alors qu'Élise ne verra jamais la lumière du jour. C'est surtout la période post-natale qui me pose problème. D'un côté, je trouve étrange qu'on m'octroie la même période que si mes deux grumeaux étaient là ; de l'autre, je suis soulagée d'y avoir droit.
Il en va de même pour le papa : il aura droit à ses 18 jours de congé paternité, même si Élise ne naît pas vivante.
Mais nous accorder les mêmes droits que si nos deux enfants étaient en vie, c'est aussi reconnaître notre statut de parents de jumeaux et c'est déjà ça.
Le pire, c'est qu'à la naissance, mon mari va probablement cumuler les 3 jours du congé naissance, les 18 jours du congé paternité et les 3 jours prévus par sa convention collective pour le décès d'un enfant. Quel drôle d'enchaînement...
22 SA
22 SA, c'est-à-dire :
- 22 semaines d'aménorrhée,
- 22 semaines depuis le premier jour de mes dernières règles,
- 20 semaines de grossesse,
- le seuil de viabilité déterminé par l'OMS,
- le terme au-delà duquel nous pourrons inscrire Élise à l'état civil, qu'elle vienne au monde vivante ou sans vie,
- le terme au-delà duquel nous pourrons inscrire Élise sur notre livret de famille, qu'elle vienne au monde vivante ou sans vie,
- le terme au-delà duquel nous pourrons officiellement prénommer Élise, sans lui donner notre nom de famille, si elle vient au monde sans vie,
- le terme au-delà duquel on nous remettra, si Élise vient au monde sans vie, un "acte d'enfant sans vie" qui nous permettra d'organiser nous-mêmes ses funérailles,
- le terme au-delà duquel nous aurons droit, si Élise vient au monde sans vie, aux mêmes congés maternité et paternité que si Élise et Gaspard venaient au monde vivants tous les deux.
J'en suis à 22 SA et dans ma tête, c'est une étape de plus.