Anniverciel
À la fin de cette journée en famille en l'honneur de Gaspard, nous sommes allés sur la tombe d'Élise, pour son "anniverciel".
Il faisait beau et doux, exactement comme il y a deux ans.
Et le soir, à la nuit tombée, mon mari et moi avons pu faire ce que nous n'avions pas réussi la veille, malgré notre patience et trois tentatives : envoyer une lanterne pour Élise, comme l'an dernier, depuis la plage de la petite ville où elle est enterrée.
Il faut croire qu'Élise ne voulait pas que l'on célébre sa mort mais sa naissance...
Cherchez l'erreur
Aujourd'hui, comme tous les jours, Gaspard a pris son goûter.
Aujourd'hui, c’était au grand air.
Après un bon week-end en famille dans le Nord.
Sous le soleil.
Pendant que Hector faisait la sieste à côté de lui.
En jouant à ramasser les cailloux et à les mettre dans les mains de Papi-Mamie.
À l'occasion d'une halte sur le chemin du retour.
Et surtout, aujourd'hui, c'était sur la tombe de sa sœur.
Un cœur en automne
Tu es morte en été.
Tu es née en été.
Tu as été enterrée en automne.
Vacances... terminées !
Cet été, nous ne sommes pas partis en vacances, congé parental oblige : c'est pas payé bien lourd, ce truc-là ! ;-)
Cela dit, nous le savions avant que je ne le prenne. Et puis il n'aura duré que 15 semaines et nous avions quelques économies qui nous ont permis de voir venir pendant cette période-là.
Depuis le 16 juillet, je ne suis donc plus en congé parental mais en congés payés - jusqu'au 23 septembre inclus. J'avais fait un calcul (trèèèès) savant entre mes congés 2012-2013 restants et mes congés 2013-2014 acquis pour reprendre le travail quelques jours après l'entrée à la crèche de Gaspard et pour ne surtout pas reprendre le 18, le 19 ou le 23 septembre.
Aux destinations lointaines et/ou exotiques, nous avons donc préféré un terrain connu, composé :
- de longues plages de sable fin,
- d'une météo toujours agréable pour peu qu'on sache voir à travers les nuages (c'est une qualité que l'on acquiert forcément quand on a un enfant au ciel),
- d'autochtones accueillants,
- d'une gastronomie locale gourmande et
- d'un envahissement touristique raisonnable.
À travers cette carte postale invitant au voyage, vous avez évidemment tous reconnu... la Côte d'Opale ! :-)
Même si nous ne sommes partis ni loin ni longtemps, nous avons vécu ces quelques jours à un autre rythme et ensemble - à quatre, presque.
Lundi, nous avons fêté notre anniversaire de mariage. Il y a eu des larmes, forcément. Parce que la famille que nous avions imaginée il y a 7 ans ne ressemblait vraiment pas à ça.
Mardi, nous sommes allés au cimetière pour planter deux petits arbustes persistants dans la jardinière permanente de la tombe d'Élise, dont le monument et la stèle avaient été terminés deux mois plus tôt.
Je n'aurais jamais pensé dire ça un jour mais ce que "j'aime" dans la tombe d'Élise, c'est qu'on croirait qu'elle a croqué un bout de nuage.
Jeudi, nous sommes allés à la plage avec Gaspard. C'était un vrai bonheur de le voir gambader à quatre pattes dans la rivière d'eau de mer tracée par la marée descendante.
Combien ça coûte ?
Jeudi, aux Maternelles sur France 5, il était question du coût financier que représente l'arrivée d'un bébé et du système D que l'on peut déployer pour la préparer.
Nathalie Lebreton a parlé des résultats du sondage auquel ont répondu les téléspectateurs (on fera d'ailleurs semblant de ne pas avoir remarqué la faute de conjugaison !) :
Pour la grande majorité des parents, l'arrivée du premier enfant coûte au moins 4000€. Alors, quand j'entends ces questions plutôt anodines, je ne peux m'empêcher de me poser la question : "et chez nous, ça donne quoi ?".
Pour Gaspard, on nous a donné/prêté/offert beaucoup de choses alors nous en sommes très loin.
Pour Élise, c'est une autre histoire. Je vais peut-être choquer en évoquant ce sujet mais cela fait aussi partie de notre réalité de parents désenfantés.
Entre l'achat de la concession au cimetière, ses obsèques, la plaque provisoire en attendant l'érection du monument et le monument en question, nous avons dépensé pour Élise plus de 7000€ en moins de 8 mois. Il est certain que Gaspard aura besoin de plusieurs mois voire années pour rattraper cette somme.
Cela étant, je ne recherche pas l'apitoiement sur notre sort financier : ces dépenses, nous les avons "choisies".
Dans le cas d'Élise, puisqu'elle est née sans vie, nous aurions pu décider de ne pas nous occuper de ses obsèques mais cela était inconcevable pour nous.
Nous aurions pu préférer l'incinération mais cela ne nous correspond pas, à mon mari et à moi.
Nous aurions pu choisir une pierre plus courante mais nous ne voulions pas du gris moucheté que l'on retrouve partout.
Et si nous avons engagé ces dépenses, c'est que nous pouvons les assumer.
Je voulais juste vous en parler parce que c'est aussi ça, la réalité du deuil périnatal, aussi matérielle et triviale soit-elle.
Coquillages
Et voilà, nous avons trouvé le vase qu'il fallait pour rassembler et poser sur sa tombe les cailloux et coquillages que nous avons ramassés pour Élise, avec un couvercle pour éviter que l'eau et les saletés ne s'y accumulent, du sable de la commune où elle est enterrée et des gravillons aux couleurs des grumeaux.
Retour en arrière - Épisode 7 - Une journée belle à pleurer
Dernier billet de retour en arrière pour clôturer cette drôle d'aventure, qui continue... différemment...
Comme mon mari et moi ne sommes Normands que d'adoption et que nous avons l'intention de remonter dans le Nord-Pas-de-Calais d'ici quelques années, nous avons décidé d'y enterrer Élise, pour qu'elle soit chez nous et que nous n'ayons pas à la faire exhumer quand nous déménagerons.
Nous avons choisi un lieu symbolique pour nous - celui où nous nous sommes rencontrés - et facile d'accès à la fois pour nous, pour ses grands-parents et pour ses oncles et tante.
Depuis l'accouchement, Élise reposait à la chambre mortuaire de l'hôpital. Pendant ces quelques jours, nous avons pu y aller aussi souvent que nous l'avons souhaité ; nous avons pu la toucher, la caresser, l'embrasser, la regarder, la prendre en photo. Mais, à chaque fois, nous avons dû limiter notre visite à quelques minutes car la trivialité de la réalité s'imposait rapidement à nous : de la condensation apparaissait sur sa peau, son visage, ses lèvres. Une façon cruelle de nous rappeler qu'elle n'était pas simplement endormie mais que, lorsque nous n'étions pas à ses côtés, elle reposait dans un frigo...
Ce lundi 23 septembre est la dernière fois où nous l'avons vue et prise en photo. Détail aussi précieux qu'insignifiant : j'ai une photo de ses cheveux aussi foncés que les miens, alors que son frère a les cheveux clairs du papa.
Ce lundi 23 septembre est la dernière fois où j'ai pu la regarder, la toucher, la caresser, poser ma main sur la sienne et lui dire que je l'aime en la regardant...
Elle était belle, elle portait un body blanc, une robe gris clair avec de petites étoiles blanches brodées, une culotte assortie à sa robe, des soquettes blanches, les chaussons roses apportés par ses grands-parents paternels et le bonnet rose tricoté par sa grand-mère maternelle. Elle était accompagnée par sa grenouille et les chaussons que je lui avais tricotés. Son bracelet de naissance était posé à côté d'elle (d'ailleurs, si nous avions su qu'ils le lui retireraient du poignet, nous aurions emporté son bracelet pour le remplacer par le double que Franck nous avait préparé). Mon mari aurait voulu déposer une photo de Gaspard à côté d'elle mais nous n'en avons pas eu la présence d'esprit suffisamment tôt.
L'officier des pompes funèbres est arrivé du Pas-de-Calais en début de matinée. La mise en bière a eu lieu à 11h15. Mon mari et moi avons pu assister à la fermeture du cercueil - un joli cercueil blanc, minuscule, avec son prénom et son nom et un petit nounours doré. Nous ignorions ce dernier détail mais nous l'avons préféré à un ange, une symbolique souvent associée aux bébés décédés mais qui ne nous parle pas vraiment.
Les scellés ont été posés à 11h30. Nous avons pris la route vers le Pas-de-Calais à 11h45. Nous avons suivi le corbillard toute la route. Arrivés à destination, nous avons laissé les pompes funèbres préparer l'inhumation loin de nos regards. Nous nous sommes retrouvés avec mes parents, mon frère et ma belle-soeur, les parents et le frère de mon mari pour déjeuner tous ensemble avant de retourner au cimetière à 15h30. Nous n'avions pas prévenu grand-monde que l'enterrement se déroulait ce jour-là mais Élise a quand même reçu des fleurs : ses grands-parents, nos amis proches, les parents d'une amie proche eux-mêmes touchés par la perte d'un bébé, les collègues de sa grand-mère maternelle, son arrière-grand-mère paternelle, mon oncle et sa famille, les oncles/tantes/cousines de mon mari. Parmi ces personnes, la plupart n'ont connu et ne connaîtront Élise qu'à travers nous, et pourtant...
Le soleil brillait de mille feux ; nous l'avons interprété comme la présence de son frère. Nous n'avions pas su choisir de texte, c'est donc l'officier des pompes funèbres qui en a choisi un pour nous, qu'il a lui-même lu sur une musique que mon mari et moi avions choisie, l'Adagio pour cordes de Samuel Barber.
Me glissant au creux du ventre de celle qui m'a tant desirée
Je ressens déjà son amour, le bonheur que je lui ai procuré
J'entends son coeur qui bat, cette douce mélodie qui me berce
Je sens la chaleur de ses mains, la douceur de ses caresses
Elle me parle, me dit combien elle m'aime
Moi aussi, Maman, tu ne peux imaginer à quel point je t'aime
Me voilà simplement qu'un infime petit être
Un petit être qui grandit de jour en jour et qui n'attend qu'à naître
Mais que se passe-t-il ? Que m'arrive-t-il ?
Moi qui étais tellement bien, en sécurité, enveloppée
Pourquoi me retire-t-on de ce nid qui m'était offert ?
Pourquoi m'enlève-t-on la chance de vivre sur cette terre ?
Je ne sais pas où je me dirige, où je m'en vais
Je ne comprends ce qui m'arrive, ce que j'ai fait
Maman, je voulais tellement vivre et dans tes bras me retrouver
Je ne t'ai que trop peu connue mais tellement aimée
Défilant devant la lune et les étoiles, je survole maintenant cette terre
Côtoyant les nuages, je suis un petit ange dans cet immence univers
Regrettant de tout cœur le malheur que vit ma mère
Je ne cesse d'entendre sa voix qui m'appelle et qui m'espère
Arrêtant devant ma maison, je regarde à la fenêtre
C'est elle, qu'elle est belle, qu'elle est douce, elle était parfaite
Je l'entends qui m'appelle, je ressens tellement son amour maternel
J'entends ses prières, je l'entends supplier le ciel
Maman, j'aimerais terriblement mettre un baume sur ton cœur
Le soulager car il est tellement meurtri par la douleur
Je désirerais sécher tes larmes et ne pas t'incomber ce malheur
Revoir seulement ton sourire, celui qui était rempli de bonheur
Je ne suis qu'un ange qui a seulement envie de se retrouver
Dans les bras de celle qui lui était destinée
Mais la vie, contre mon gré, en a décidé autrement
N'oublie jamais à quel point je t'ai aimée, Maman
Je serai toujours là et toujours je veillerai sur toi
Ne t'en fais pas, je suis bien, ne pleure pas
Au fil des jours, je serai à tes côtés je t'épaulerai
Car n'oublie pas, Maman, un jour je te retrouverai
En substance, c'est ce moment que nous avons vécu, devant le cercueil de notre fille, prêt à être déposé au fond de son caveau :
Nous nous sommes ensuite recueillis devant son cercueil, avec mon mari. Puis ce fut au tour de nos frères et belle-soeur. Enfin, ce sont les quatre grands-parents, se tenant par la main, qui ont pris quelques instants pour lui dire adieu. L'officier a ensuite proposé à mon mari de l'aider à porter son cercueil jusqu'à la tombe : j'ai porté ma fille dans mon ventre, mon mari l'a portée dans son cercueil... Tous ces moments se sont déroulés avec, pour fond sonore, la chanson Sois tranquille d'Emmanuel Moire, que nous avions également choisie :
Avant de lui dire adieu, je lui ai promis de parler d'elle à son frère, de la faire vivre à travers nous. Elle fait partie de notre famille, de notre histoire, de nous. Je n'oublierai jamais le moment où je l'ai vue pour la première fois, où je l'ai mise au monde...
Aujourd'hui, je revois sans cesse cette image : son tout petit cercueil reposant au fond de ce si grand caveau... Et j'imagine ma fille toute seule, loin de nous, dans le froid, dans le noir... et mon coeur se brise en mille morceaux à chaque fois...
Si loin...
Ce week-end, à moins de 5 km de là où tu reposes, j'avais l'impression d'être avec toi...
Ce soir, de retour en Normandie, je me sens tellement loin de toi...
Demain, dès l'aube
Ce n'est pas parce que c'est la Toussaint mais parce que ce week-end est notre première occasion de retourner sur la tombe d'Élise depuis son enterrement, chez nous, à 150 km de là où nous vivons.
Demain, dès l'aube
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo
Conjuguer le futur au passé
Hier, profitant de notre séjour dans notre région natale, nous sommes allés sur la tombe des grands-parents paternels de mon mari, enterrés - par hasard - à quelques kilomètres de la maison de vacances de mes parents.
Nous essayions déjà d'avoir des enfants alors qu'ils étaient encore là mais ils sont partis trop tôt pour me voir enceinte. Nous nous étions alors promis d'aller annoncer la bonne nouvelle lorsqu'elle se présenterait à tous nos grands-parents qui ne sont plus de ce monde. Malheureusement, le début de grossesse m'a forcée à rester à domicile et cette semaine dans le Pas-de-Calais est ma première sortie depuis que je suis enceinte : nous n'avions donc pour l'instant pas pu honorer notre promesse.
Lorsque je me recueillais sur la tombe de mes "beaux-grands-parents" hier, plusieurs choses m'ont traversé l'esprit :
- Nous vous avions promis de venir vous voir lorsque je serais enceinte : nous sommes là.
- Je n'aurai certainement pas l'occasion de venir sur la tombe de mes grands-parents maternels avant la fin de la grossesse et ça me déchire le coeur.
- Si Élise ne vient pas, elle sera enterrée loin de notre Normandie d'adoption et nous ne pourrons pas lui rendre visite souvent.
- La prochaine fois que je me rendrai dans un cimetière, ce sera peut-être pour ma propre fille...