Comme par surprise
Grâce à une certaine rencontre fin 2016, qui a peut-être éveillé des choses en toi, ou eu un simple effet placebo, ou purement coïncidé avec le bon moment au fond de toi.
Grâce au sport, auquel tu t'es enfin mise, depuis plusieurs mois, assidûment, et qui te fait du bien physiquement et mentalement.
Grâce au temps qui passe, aussi, certainement.
Et puis tu la vois arriver, l'air de rien. Tu te dis que ça va aller, que ton moral est suffisamment solide par ailleurs pour réussir à l'affronter, que tu ne vas pas poser un genou à terre juste à cause d'elle.
À mesure qu'elle se rapproche, tu l'observes, la toises, la guettes, comme pour la défier, et te rassurer un peu, aussi.
Tu ne parles pas d'elle, comme pour lui donner moins d'emprise sur toi.
Et finalement, elle est là. Tu te retrouves au pied du mur, tu ne peux plus l'éviter ni faire semblant et tu te la prends en pleine face, comme sans t'y attendre, comme si tu ne l'avais pas vue arriver, comme si tu croyais pouvoir la rayer, chaque année, de ta vie, de tes souvenirs et de tes pensées.
Cette putain de date anniversaire.
Cette putain de date qui a fait basculer ta vie, il y a quatre ans.
Celle qui n'arrive pas qu'aux autres, finalement.
Celle qui a donné un sexe, un prénom... et des malformations à ta fille.
Celle qui a rendu ta fille malade.
Celle qui a rendu ta fille mortelle.
Beaucoup de questions, quelques réponses
Suite à notre dernier rendez-vous avec le Professeur Marret avant notre semaine de répit, nous avions demandé à rencontrer à nouveau le Professeur Verspyck afin de discuter de l'interruption de grossesse, sans que cette demande d'entretien n'ait valeur de décision de notre part. Lors de notre rendez-vous d'hier, nous avons pu lui poser nos questions et obtenir quelques réponses.
Quand aura lieu l'IMG, dans notre cas ?
Comme le Professeur Marret nous l'a déjà expliqué et comme nous l'avons déjà bien compris : le plus tard possible, pour préserver Gaspard au maximum. Le Professeur Verspyck a été plutôt explicite concernant les risques liés à la prématurité, qu'avait évoqués le Professeur Marret : immaturité des organes, retard mental, retard moteur.
Cela veut dire que l'IMG puis l'accouchement auraient lieu, a priori, vers la deuxième quinzaine de septembre.
Si l'IMG est envisagée vers la mi-septembre, combien de temps avant devrons-nous communiquer notre décision ?
Quand nous le voudrons, quand nous serons prêts.
Combien de temps est-ce que je vais garder Élise morte dans mon ventre ?
Le Professeur Verspyck a parlé d'une quinzaine de jours entre l'IMG et l'accouchement mais nous n'avons pas bien compris pourquoi. À choisir, je préfèrerais que l'IMG et l'accouchement s'enchaînent le plus rapidement possible, quitte à retarder l'IMG.
Comment se passe l'IMG en elle-même ?
Comme pour une amniocentèse, ils introduisent une aiguille dans le ventre de la maman pour atteindre le bébé, lui injecter d'abord un produit anesthésiant puis un produit destiné à arrêter son cœur.
Lors de l'amniocentèse, j'avais réussi à rester calme et immobile mais je ne sais pas si je serai aussi forte pour un tel geste...
Est-ce que le papa pourra être présent à mes côtés lors de l'IMG ?
Le Professeur Verspyck nous a assuré que oui, ce qui nous a rassurés, la présence du papa n'étant pas possible dans certains hôpitaux, d'après les témoignages que j'ai déjà lus.
Est-ce que nous pourrons voir notre fille après l'accouchement ?
Le Professeur Verspyck nous l'a confirmé, précisant même qu'ils conseillaient aux parents de voir leur enfant, pour l'accueillir en tant qu'enfant et pour faciliter (si tant est que cela soit possible) le travail de deuil.
Est-ce qu'Élise sera autopsiée ?
Ils le proposent, c'est aux parents d'accepter ou non.
Nous savons déjà que nous souhaitons cette autopsie.
D'abord pour Élise et pour nous : pour essayer de déterminer ce qu'elle a et éventuellement écarter tout risque, s'il existe et s'il est décelable, de récidive lors d'une prochaine grossesse.
Ensuite pour les autres : pour qu'Élise puisse aider, dans une infime mesure, la recherche.
Est-ce que nous pourrons passer une échographie 3D avant l'accouchement pour nous préparer à l'apparence physique d'Élise ?
Le Professeur Verspyck n'a répondu ni par la négative ni par l'affirmative (comme à son habitude) mais nous avons bien compris qu'il n'y voyait pas forcément d'intérêt. Selon lui, même en cas d'anomalies physiques aussi marquées et visibles que celle(s) d'Élise, les parents ne sont pas traumatisés par l'apparence de leur enfant.
Est-ce que l'on peut déjà savoir quel bébé viendra en premier ?
Il est trop tôt pour le savoir.
Est-ce que l'on peut déjà savoir si l'accouchement se fera par voie basse ou par césarienne ?
Là encore, il est trop tôt pour le savoir.
Sans le dire explicitement, le Professeur Verspyck nous a fait comprendre qu'une des indications possibles de la césarienne serait que la dilatation ventriculaire d'Élise évolue à un point tel que sa tête ne passerait pas par voie basse, pour parler trivialement.
Au cours de l'entretien, j'ai exprimé à voix haute une réflexion que mon mari et moi nous faisons depuis le début et depuis qu'ils nous disent qu'ils ne savent pas (et ne sauront probablement pas avant l'accouchement, si tant est qu'ils parviennent à savoir un jour) de quoi souffre Élise : si les médecins étaient capables de nous dire "il s'agit de telle pathologie, avec telles difficultés et tels handicaps attendus", ce serait "plus facile" puisqu'il nous "suffirait" alors de décider si nous sommes capables d'assumer la situation exposée, alors que les incertitudes qui entourent sa pathologie et les difficultés et handicaps à venir nous conduisent à considérer la situation comme un pari. C'est alors que le Professeur Verspyck a rectifié les choses : pour lui, il est certain qu'Élise souffrira d'un handicap impossible à évaluer précisément certes mais qui sera au mieux modéré, au pire sévère, qu'elle ne pourra probablement pas suivre une scolarité classique même en maternelle, qu'elle sera incapable de marcher. Je crois que je n'avais pas encore pris (ou pas encore voulu prendre) conscience de la gravité du handicap dont elle pourrait être atteinte. Sans se transformer en déclic, ses propos m'ont fait un électrochoc.
Au détour de ces questions, le Professeur Verspyck nous a informés que l'étude pangénomique qui avait été lancée 3 semaines plus tôt n'avait rien donné : aucune anomalie n'a été détectée, suite au "zoom" sur les chromosomes d'Élise. Cela ne veut pas dire que l'origine génétique ou chromosomique des malformations d'Élise est définitivement écartée ; cela veut simplement dire qu'ils n'ont rien trouvé, en l'état actuel de leurs recherches et possibilités. Peut-être que l'autopsie permettra de rechercher ailleurs ou autrement et d'identifier quelque chose.
Le Professeur Verspyck nous a par ailleurs rappelé que, si nous sollicitions l'interruption de la grossesse d'Élise, notre demande serait acceptée. En effet, ce n'est pas aux médecins de proposer l'IMG mais aux parents d'en faire la demande - demande qui doit ensuite être examinée et acceptée ou refusée par un centre de diagnostic prénatal pluridisciplinaire, structure qui existe au sein de l'hôpital où nous sommes suivis.
Chromosomes et gènes
Comme nous n'avions toujours pas de nouvelles du CHU suite à notre échographie de lundi dernier, j'ai appelé vendredi midi le service de diagnostic prénatal qui, après avoir contacté le service génétique, nous a donné rendez-vous avec une généticienne cet après-midi. Nous ne savions absolument pas à quoi nous attendre et quoi attendre de ce rendez-vous - la meilleure façon de ne pas être déçus, au final.
Arbre généalogique
La généticienne a commencé par établir un mini-arbre généalogique (nos fratries, nos parents et leurs fratries, nos grands-parents) et nous (re)demander s'il existait des antécédents de malformations cérébrales ou de fentes labiales et/ou palatines dans nos familles. Comme nous nous y attendions, cette première approche s'est avérée vaine puisque, "de mémoire d'homme", aucun problème de ce type n'existe de mon côté ou du côté de mon mari.
Caryotype
La généticienne nous a ensuite appris que le caryotype d'Élise était désormais connu : il ne montre pas d'anomalies de structure ou de nombre, il est "normal". Toutefois, comme nous l'avions compris au gré de nos recherches sur Internet et comme cela nous a été confirmé aujourd'hui par la généticienne, un caryotype normal n'est pas synonyme de bonnes nouvelles pour la simple et bonne raison que le caryotype n'est qu'une étape dans le processus de diagnostic prénatal.
Analyse pangénomique
Dans notre cas, la prochaine étape est une étude pangénomique par puce à ADN. Pour schématiser, le caryotype est une "photographie" des chromosomes à une échelle donnée ; l'analyse pangénomique consiste à "zoomer" sur les chromosomes à la recherche d'anomalies trop petites pour être visibles au niveau du caryotype. Dans le cadre de cette étude pangénomique, en cas de "bizarreries" détectées sur certaines portions des chromosomes d'Élise, ils étudieront les mêmes portions de nos chromosomes afin de déterminer si les problèmes identifiés viennent de nous et (d'essayer) d'affiner à la fois le diagnostic et le pronostic. A cette fin, nous avons tous les deux fait une prise de sang dans la foulée de la consultation. Les résultats de ce nouvel examen devraient être connus d'ici 3 semaines...
La généticienne devait également présenter (encore !) notre cas au staff ce soir pour qu'un rendez-vous avec un neuro-pédiatre nous soit proposé dans les jours prochains.
Drôle d'impression ce soir : à chaque fois que nous faisons un pas en avant, ce que nous cherchons, attendons ou espérons fait un pas en arrière...
Une étape de plus
La semaine dernière, nous avons rencontré le Professeur du CHU spécialisé en médecine fœtale afin d'envisager la réalisation d'une amniocentèse, suite aux problèmes détectés chez Élise. On ne peut pas dire que la communication soit sa qualité première !
Pour démarrer l'entretien, il nous a demandé ce que nous savions de la raison qui nous amenait chez lui. Après notre réponse, silence - le premier d'une longue série ! Alors que c'est le CHU qui nous a "convoqués" à ce rendez-vous, nous avions l'impression que le Professeur, comme la médecin et la sage-femme qui l'accompagnaient, attendait que nous nous exprimions alors que nous nous attendions plutôt à ce qu'il nous donne des informations et nous parle de l'amniocentèse, du déroulement, des risques, etc.
Entre son manque de loquacité et le caractère évasif de ses propos, nous n'étions pas vraiment à l'aise et lorsque nous posions des questions fermées, après ses réponses, nous ne savions pas s'il avait répondu par l'affirmative ou la négative. Bien sûr, nous ne nous attentions à aucune nouvelle information concernant l'état d'Élise puisqu'aucun examen supplémentaire n'avait été réalisé entre-temps mais même à propos de l'amniocentèse, le peu que l'on sait, c'est grâce à ce qu'on avait lu avant de venir et pas à ce qu'il nous en a dit... Bref, nous savons bien qu'il reste un technicien (et au final, s'il est compétent dans ce domaine, c'est l'essentiel) et nous ne nous attendions pas à ce qu'il déploie des trésors de psychologie mais nous espérions une démarche un peu plus tournée vers nous. Comme mon mari et moi étions déjà décidés à réaliser l'amniocentèse avant même l'entretien et qu'ils pouvaient me la faire passer dans la foulée, nous nous sommes dit que repousser l'échéance ferait plus de mal que de bien.
L'amniocentèse en elle-même ne dure que quelques minutes, préparation et nettoyage du ventre de la maman inclus : sous contrôle échographique, on introduit une aiguille (pas petite !) à travers la paroi abdominale, préalablement désinfectée, afin de prélever du liquide amniotique dans lequel baigne le bébé et qui contient les cellules fœtales à analyser. Le geste est plus proche du douloureux que du désagréable mais reste tout-à-fait supportable. Dans les heures qui ont suivi, j'avais l'impression d'avoir le ventre tendu et lourd mais cette sensation a disparu dès le lendemain.
A court terme, ce sont les risques liés à cet acte (mort in utero, fausse couche, pertes de sang ou de liquide amniotique, rupture des membranes) qui m'inquiètent : d'après le Professeur (qui a réalisé lui-même l'amniocentèse, assisté d'une médecin), si quelque chose se passe d'ici trois semaines, ce sera probablement lié à l'amniocentèse - d'où la petite inquiétude qui se promène au fond de ma tête et de mon cœur.
Pendant l'échographie de repérage préalable à l'amniocentèse en elle-même, nous avons eu le plaisir de voir Élise réagir quand les médecins tapotaient mon ventre pour voir où elle était, comment elle se comportait, etc. C'était trop mignon ! :-)
En revanche, pendant l'amniocentèse, j'ai évité de regarder l'écran, les médecins ou les ustensiles, et j'ai fixé le plafond pour pouvoir rester concentrée, me détendre et éviter ainsi de respirer trop fort, de bouger ou de sursauter. Mais mon homme a continué à regarder l'écran et a pu voir qu'Élise était très curieuse et n'arrêtait pas d'aller voir ce qui venait l'embêter ! :-)
Comme nous ne savons pas encore ce que la vie a décidé de nous réserver, nous nous raccrochons à ces petits bonheurs, aussi furtifs et insignifiants soient-ils...
(Pour cette amniocentèse, j'ai même eu le droit de servir de cobaye pour l'utilisation d'un nouvel appareil d'échographie, entourée du Professeur, de la médecin, de la sage-femme et du commercial venu faire la démonstration de son nouveau joujou, en plus de mon homme : pour l'intimité, on repassera !)
Nous avons reçu le premier résultat de cette amnioncentèse : la conclusion est qu'il n'y a pas d'anomalies sur les chromosomes 13, 18, 21, X et Y. Élise n'a donc aucune de ces 3 trisomies a priori (le risque 0 n'existe pas mais, par rapport à ces pathologies-là, Élise redevient un bébé comme les autres). Mais il est encore trop tôt pour se réjouir : il s'agit simplement de pistes écartées et rien ne dit qu'elle n'a pas une autre pathologie grave. Nous devrions connaître le résultat complet début ou mi-juillet.
Encore une étape de passée, mais qui reste difficile à gérer entre d'une part le mini-soulagement, d'autre part l'attente et l'angoisse qui sont devant nous pour encore plusieurs semaines...
Quand la grossesse prend le mauvais chemin...
Ce billet vous paraîtra peut-être impudique, déplacé, dérangeant mais ma détresse est telle que je ne peux garder ça pour moi, même si (et heureusement) j'en parle beaucoup avec mon homme, mes parents, mon frère... Bien que, comme je le dis plus bas, la réaction de certaines personnes plus ou moins proches nous blesse parfois, j'ai besoin de partager ce que je ressens, non pas pour me faire plaindre ou pour déclencher une vague de messages ou de coups de fil, mais pour que vous sachiez, pour que vous compreniez, pour que vous essayiez de vous mettre à notre place, pour que vous mesuriez la douleur, la détresse, les questions, l'angoisse qu'entraîne cette situation...
Contrairement à mon mari, je ne voulais pas connaître les sexes et ils ne devaient donc pas être révélés avant la naissance mais les nouvelles que nous avons apprises lors de la dernière échographie, passée vendredi dernier, enlèvent tout le charme et tout le sens de ce secret. Nous attendons donc un garçon et une fille. Dès que nous l'avons su, mon mari et moi nous sommes, naturellement et sans nous concerter, mis à les appeler par leurs prénoms, ceux que nous avions déjà choisis : Élise et Gaspard.
Gaspard va bien.
Élise a deux problèmes : une double fente labio-palatine et un problème au cerveau. La fente, si elle est isolée, ne nous inquiète pas outre-mesure ; c'est l'anomalie cérébrale à laquelle elle pourrait être associée qui est plus inquiétante. Malheureusement, à ce stade de la grossesse, le cerveau est encore trop peu formé pour que l'échographie permette d'en voir davantage.
Nous sommes donc ressortis de l'échographie avec ces quelques informations et une tonne de questions et d'angoisses.
Notre dossier a été soumis au "staff" (commission pluridisciplinaire qui discute des grossesses à risques) lundi.
La sage-femme du service de diagnostic anténatal nous a appelés hier après-midi pour nous donner un rendez-vous, la semaine prochaine, avec un Professeur du CHU spécialisé en grossesses à risques et en médecine fœtale : nous devons discuter avec lui de la possibilité de pratiquer une amniocentèse, dont l'objectif est d'obtenir le caryotype d'Élise, c'est-à-dire sa "carte chromosomique", pour détecter toute anomalie chromosomique et en évaluer la gravité, les risques, les conséquences.
Dans le meilleur des cas, nous n'aurons d'autres nouvelles que début juillet (à condition que l'amniocentèse puisse être pratiquée rapidement) puisque le premier résultat, partiel, est disponible sous 2-3 jours mais que le résultat complet n'est disponible que sous 4 semaines.
Dans ma tête…
- J'y pense tout le temps. C'est ma première pensée et ma dernière pensée de la journée, ça ne me quitte pas.
- Quand j'arrive à m'évader un instant, ça me rattrape subitement.
- La vie est injuste : après le mal que j'ai eu à tomber enceinte et les montagnes russes du début (épisodes 1, 2, 3, 4 et 5), nous espérions (et pensions avoir le "droit" de) vivre cette grossesse sereinement et voilà que nous nous prenons une énorme claque en pleine figure.
- Nous ne sommes pas encore tout-à-fait des parents mais ils sont déjà nos enfants.
- Nous avons immédiatement ressenti l'envie et le besoin de les appeler par leurs prénoms pour nous dépêcher de créer un lien que nous ne sommes pas sûrs de pouvoir créer avec Élise.
- Pour l'instant, Gaspard va bien et seule Élise nous inquiète mais il ne faut pas croire que tout est gagné pour Gaspard, ni même que tout est perdu pour Élise.
- Nous sommes rassurés pour la double fente labio-palatine car elle se traite apparemment avec succès mais nous ne voulons pas nourrir trop d'espoirs au cas où elle "cacherait" quelque chose de plus grave.
- L'attente et l'impuissance sont insupportables.
- C'est bien sûr plus facile à dire qu'à faire mais nous ne devons pas nous faire de reproches, nous ne devons pas culpabiliser d'essayer de penser à autre chose, de rire, de dédramatiser, de plaisanter.
- Le temps passe trop lentement.
- Mon homme et moi, nous ne parlons que de ça ; quand nous nous disons "allez, on parle d'autre chose", nous n'avons pratiquement rien à nous dire.
- Entre vendredi et hier, nous attendions avec impatience autant que nous redoutions l'appel du CHU.
- Comment me réjouir des petits bonheurs (sentir les premières "bulles" des bébés, recevoir de nouveaux vêtements de grossesse commandés avant l'échographie) alors que nous ne savons pas si les nuages qui sont venus assombrir cette grossesse vont se dissiper ?
- Avant, j'étais fière de montrer mon bidon ; je l'aime toujours autant mais je redoute que l'on vienne m'en parler et me demander si tout se passe bien.
- Nous essayons de parler normalement des bébés, comme si la grossesse se passait bien, mais au fond de nous, nous savons que c'est superficiel.
- Je n'étais déjà pas franchement sereine par rapport à cette grossesse mais maintenant, le peu de légèreté et d'insouciance que j'avais s'est complètement envolé.
- Double fente labio-palatine : personne n'a envie de ça pour son enfant mais vu l'angoisse actuelle, s'il n'y a finalement que ça, nous serons soulagés.
- Si nous avions attendu deux garçons, nous n'aurions pas pu décider quel prénom, entre Paul et Marceau, donner au bébé "anormal", nous aurions choisi d'autres prénoms.
- En parler, c'est essayer d'évacuer, c'est ne pas rester seuls avec notre douleur et notre angoisse, mais c'est aussi s'exposer à la maladresse, l'indélicatesse, l'incompréhension, la froideur, le malaise, l'indifférence - jamais mal intentionnés mais souvent blessants.
- Dans cet article du Monde concernant l'euthanasie :
Question : Approuvez-vous le fait que la décision revienne aux médecins, et pas à la famille ?
Réponse : Dans ce genre de situation, c'est important. C'est une sécurité d'un point de vue psychologique de ne pas avoir à porter le poids d'une telle décision. La culpabilité qui pourrait en découler est bien trop importante. C'est aussi une sécurité quand il y a désaccord au sein de la famille et que cela devient une affaire récupérée à des fins idéologiques.
Alors pourquoi est-ce que la décision revient aux parents dans le cas d'une IMG ou d'une ISG ? Pourquoi est-ce qu'on laisse aux parents le poids, la responsabilité, la culpabilité d'une telle décision ?! - Dans quelques jours, nous rencontrerons un Professeur spécialisé en médecine fœtale pour évoquer la possibilité de l'amniocentèse. Maintenant que nous avons une première échéance, je me sens un peu mieux même si je sais très bien qu'il ne nous apportera aucune réponse, aucune solution par rapport à Élise, et qu'il s'agit juste d'une étape supplémentaire vers le diagnostic.
Il est encore trop tôt pour savoir si nous aurons à nous interroger sur l'éventualité de l'interruption de la grossesse, mais nous ne pouvons nous empêcher de nous poser des questions...
Garder Élise ou non ?...
- Comment fait-on pour savoir si une vie vaut la peine d'être vécue ?
- Comment fait-on pour savoir si on aura la force physique et mentale d'accueillir un enfant malade ou handicapé ?
- L'IMG (interruption médicale de grossesse), ou plutôt l'ISG (interruption sélective de grossesse) dans notre cas (puisqu'il s'agit d'une grossesse gémellaire et que seul l'un des bébés est atteint et que l'autre est sain), n'est rien d'autre qu'un cadeau empoisonné, un choix inhumain, la boîte de Pandore.
- En plus d'être un choix impossible, l'ISG a pour effet de tuer le bébé atteint mais aussi de faire courir un risque de mort in utero ou de séquelles graves au bébé sain.
- Si nous étions sûrs de garder Élise quel que soit son handicap, nous ne pratiquerions pas l'amniocentèse et éviterions ainsi tous les risques - aussi faibles soient-ils - qu'elle implique : fausse couche (3 à 5% de risques en cas de grossesse gémellaire), infection, mort fœtale in utero, fuite de liquide amniotique, etc. Mais nous n'avons pas la chance (?) d'avoir de telles convictions - personnelles, éthiques ou religieuses.
- Si la question de garder Élise se pose, comment gérer un éventuel désaccord sans mettre le couple en péril ? Comment éviter les reproches, les rancœurs, le ressentiment, les menaces que cela représenterait pour notre couple ?
- Est-ce que c'est plus facile à vivre quand il n'y a qu'un bébé ?
- Et la morale, l'éthique, la philosophie, l'eugénisme dans tout ça ?
- Par moments (souvent après avoir longuement pleuré), je me sens apaisée, sereine et j'ai l'impression de savoir avec évidence ce qu'il faut faire. Et puis, le reste du temps - la majorité du temps - je replonge dans le flou le plus complet.
- Qu'est-ce qui est le pire : accueillir un enfant dont on ne veut pas vraiment pour avoir la chance d'accueillir un enfant sain ou prendre le risque de sacrifier un enfant sain pour ne pas prendre le risque d'accueillir un enfant dont on ne veut pas vraiment ?
- Qu'on ne garde pas Élise ou qu'on la garde avec un handicap lourd, au bout de combien de temps serons-nous capables de penser à faire un autre enfant, en sachant que ça pourrait reprendre des années avant de marcher ?
- Une IMG n'est jamais une situation facile à vivre mais quand elle concerne une grossesse tant désirée et si chèrement obtenue et qu'en plus elle se transforme en ISG, comment expliquer la douleur et la détresse ?
- Est-ce que la situation serait moins difficile à vivre s'il ne nous avait pas fallu 4 ans 1/2 et 3 FIV pour que je tombe enceinte ?
- Est-ce que la situation serait moins difficile à vivre si je savais que je pourrais retomber enceinte en quelques semaines ?
- Et si on jugeait la situation moins difficile en cas de grossesse arrivée facilement et rapidement, est-ce que ça voudrait dire que ma grossesse actuelle est plus précieuse qu'une autre, que les vies d'Élise et de Gaspard sont plus précieuses que d'autres ?
Si on ne garde pas Élise…
- Comment gérer la grossesse avec un bébé en bonne santé et un bébé que l'on sait condamné, que l'on va euthanasier, que je vais devoir porter mort plusieurs jours ou semaines et que je vais devoir mettre au monde ?
- Comment vivre l'accouchement simultané d'un bébé en bonne santé et d'un bébé mort ?
- Gaspard sera quand même un jumeau sans sa jumelle toute sa vie.
- L'une des pires choses que l'on pourrait entendre : "il vous en reste toujours un".
Pour vous, Élise et Gaspard n'existent pas. Pour nous, ils sont bien réels.
Est-ce que vous diriez ça à des parents qui perdent un enfant mais dont l'aîné ou le cadet est toujours là ?
Supporteriez-vous d'entendre que votre aîné ou votre cadet compense la perte de votre autre enfant ? - Est-ce que l'on peut accepter une IMG "juste" parce qu'on ne se sent pas capable d'assumer un enfant différent ou handicapé ?
- Comment et quand faudra-t-il en parler à Gaspard ?
- Est-ce qu'on a le droit de prendre le risque de "sacrifier" Gaspard juste parce qu'on ne veut pas d'Élise ?
- Où l'enterrer ? En Normandie ? Dans le Nord-Pas-de-Calais, d'où nous venons tous les deux ? Mais où, pour nous qui sommes originaires d'endroits éloignés de plus de 100 km ?
- Ça se passe comment, administrativement, pour un bébé "mort-né" ?
Si on garde Élise…
- Il ne faudra pas oublier Gaspard au profit d'Élise.
- Si nous pouvons faire quoi que ce soit pour améliorer sa vie, la question ne se pose même pas : quels que soient les sacrifices à faire, nous les ferons.
- Est-ce que je pourrai allaiter Élise quand même ?
- Est-ce que l'on peut refuser une IMG "juste" parce qu'on ne se sent pas capable d'assumer le "court-terme" de cette décision, physiquement et mentalement, même si cela implique d'en assumer le "long-terme" ?
- Est-ce que je saurai l'aimer et la regarder autant et aussi "bien" que si elle était en bonne santé ?