08 janvier 2015

Le poids des mots

Aujourd'hui, dans une salle d'attente, une dame a engagé la conversation.

- C'est votre premier enfant ?
- Mon troisième.
J'ai volontairement évité de donner plus de précisions mais elle a enchaîné :
- C'est un garçon ou une fille ?
- C'est un petit garçon.
- Et vous avez déjà ?
- J'ai eu des jumeaux : un garçon et une fille, mais ma fille est décédée.
 
Je crois que c'est la première fois que je parle d'Élise à un(e) inconnu(e) en ces termes.
D'habitude, je n'aime pas le dire comme ça parce que j'ai l'impression non pas de trahir Élise mais de déguiser la vérité. Pourtant, aujourd'hui, c'était la réponse qui me convenait.
 
Quand je dis qu'Élise est décédée, les gens ne sont pas "invités" à se poser des questions, ils n'ont pas d'autre choix que de comprendre, admettre, reconnaître - de façon implicite et sans même en avoir conscience - que cela veut dire qu'Élise a vécu et existe.
Quand je dis qu'Élise est née sans vie, j'ai le sentiment que sa vie - c'est-à-dire le fait qu'elle ait vécu, même si ça n'a été qu'in utero - et son existence sont comme remises en cause, atténuées, dévalorisées - dans le sens où elles auraient moins de valeur que la vie et l'existence de Gaspard, par exemple.
Pourtant, je peux vous le garantir, Élise a vécu, Élise a existé, Élise existe. Je crois que je veux défendre cette réalité, cette vérité d'autant plus farouchement qu'il s'agissait de jumeaux. Jusqu'à ce mercredi 18 septembre 2013 à 12h15, il n'y avait AUCUNE différence entre Élise et Gaspard : ils étaient aussi vivants et présents l'un que l'autre, ils existaient autant l'un que l'autre. Je les ai portés tous les deux. Je les ai nourris tous les deux in utero. Ils avaient chacun leur cordon ombilical : c'est même mon mari qui les a symboliquement coupés tous les deux. Ils avaient chacun leur placenta : je les ai vus tous les deux après la délivrance.
 
Élise est née sans vie.
Cette dénomination en apparence si anodine fait pourtant une distinction loin d'être insignifiante : la naissance, la vie et la mort sont trois choses différentes. Elles ne se produisent pas nécessairement toujours dans le même ordre ; et quand elles se produisent dans un ordre différent de "l'ordre des choses", elles ne portent même pas leur nom.
Il faut dire que même (ou surtout ?) l'acte d'état civil qui concerne Élise reflète la perception erronée que certains peuvent avoir de la réalité que vivent les parents confrontés au décès, quelle qu'en soit la raison, de leur enfant avant sa naissance. Car le seul acte d'état civil qui sera jamais associé à Élise - cet "acte d'enfant sans vie" - ne lui reconnaît pas grand chose : elle n'est pas née, elle n'a pas vraiment vécu et de fait elle n'a pas pu mourir.
Nulle part il n'est fait mention de sa naissance. Pourtant, il a bien fallu qu'elle sorte, qu'elle quitte mon utérus, qu'elle vienne au monde, qu'elle naisse...
Nulle part il n'est fait mention qu'elle a vécu puisque le seul constat relatif à la vie la concernant est négatif : "sans vie".
Nulle part il n'est fait mention qu'elle est morte, puisque cela impliquerait de fait qu'elle a vécu.
Voilà ce que l'administration dit de cet être qui me manque tant et dont je dois, malgré tout, faire le deuil : il n'a pas vécu, il n'a donc pas pu mourir et il n'est même pas né. Alors pourquoi la société comprendrait-elle, appréhenderait-elle les choses différemment ?

Réflexion


03 février 2014

Administrations

Le dédale administratif relatif à la naissance sans vie de son enfant a de quoi en déboussoler plus d'un... Même si je comprends la plupart de ces règles, cette confusion n'aide pas à déterminer la place de son enfant, que ce soit dans sa tête, dans son corps, dans sa famille ou dans la société.

 

Pour le versement de la prime de naissance, Élise compte parce que l'accouchement a eu lieu après le premier jour du mois civil qui suit le cinquième mois de grossesse.

Pour le versement des allocations familiales et l'éligibilité à un congé parental de trois ans, Élise ne compte pas parce qu'elle n'est pas "à notre charge", ce que je comprends parfaitement.

Pour l'inscription à l'état civil, Élise compte à moitié parce qu'elle est née sans vie mais après 15 SA; elle ne figure donc que dans la section "Décès" de notre livret de famille et Gaspard est donc considéré comme notre deuxième enfant.

Pour la sécurité sociale, Élise compte parce qu'elle est née sans vie mais viable, c'est-à-dire après 22 SA et avec un poids supérieur à 500 grammes ; j'ai donc droit à un congé post-natal pour jumeaux et la durée de mon prochain congé maternité sera calculée sur la base de deux premiers enfants viables.

Pour les impôts, Élise compte provisoirement. Elle a le droit de figurer sur notre déclaration de revenus pour l'année 2013. Mais elle ne figurera pas sur notre déclaration de revenus pour l'année 2014, ni pour toutes les années suivantes.

Enfants nés sans vie et impôts

Pour le calcul de la retraite, Élise compte en partie ; j'aurai donc droit à la prise en compte d'un trimestre d'assurance pour la naissance - même sans vie - d'Élise.

 

Et si je dois remplir un jour une feuille de soins pour Gaspard, je mets quoi dans cette case ?

Feuille de soins