28 novembre 2013

Retour en arrière - Épisode 6 - Un pont entre deux rives

C'est comme ça que je me suis sentie entre l'accouchement et l'enterrement : comme sur un pont entre deux rives...

Jeudi 19 septembre
L'une des premières pensées qui me sont venues à l'esprit est que je suis "contente" que l'ISG et les naissances n'aient pas eu lieu le même jour. Pour nous qui pouvons distinguer naissance et mort, pour Élise qui n'est pas qu'une date, pour Gaspard dont la naissance est associée à la naissance et non à la mort de sa soeur. De toutes petites choses qui aident à apprivoiser la réalité.

Le Dr Clavier, le Dr Brasseur et le Pr Marret ont eu la délicatesse de passer nous voir. Mais pas le Pr Verspyck. N'a-t-il pas eu le temps ou tout simplement pas l'envie ?

La psychologue est passée elle aussi. Elle nous a confié qu'elle n'arrêtait pas d'entendre parler de moi depuis le matin. Mon mari m'a aussi dit que j'avais assuré pendant l'accouchement et les sages-femmes n'arrêtaient pas de me dire que c'était "génial" ce que je faisais mais j'imagine que c'est leur façon d'encourager toutes les mamans en plein travail.

J'ai essayé de regarder les photos que nous avions faites d'Élise mais il était encore trop tôt, je n'ai pas pu. En plus, du peu que j'ai vu, je l'ai (déjà) trouvée moins belle que dans mes souvenirs tout récents. Mais j'étais sûre que j'aurais le besoin et le courage de les regarder plus tard, quand mes images deviendront floues.

Du vendredi 20 au dimanche 22 septembre
Ce vendredi matin, en attendant l'arrivée de notre famille proche, mon mari et moi avons pris notre courage à deux mains pour aller voir Élise à la chambre mortuaire de l'hôpital. Comme j'étais encore incapable de marcher longtemps et que la chambre mortuaire est située à quelques dizaines de mètres de l'unité kangourou, mon mari m'y a conduite en fauteuil roulant.

L'employé que nous avons vu a été très discret et respectueux et est allé chercher Élise dès notre arrivée pour l'installer dans une pièce dédiée au receuillement, puis il nous a permis d'entrer. J'ai fondu en larmes en la voyant. Je crois que mes jambes ne m'auraient pas soutenue si je n'avais pas été assise. Après la déception que j'ai ressentie en voyant nos photos d'elle en salle de naissance, j'appréhendais de la revoir mais j'ai été soulagée de la voir, de constater qu'elle n'avait pas "bougé", qu'elle était toujours mon petit bébé, inerte, sans vie mais pas morbide.

En la voyant, je n'ai pu m'empêcher de me demander si nous avions fait le bon choix. Je crois que je me le demanderai toute ma vie. C'était tellement insupportable de la voir morte, par notre faute en plus... Je me demande même si j'ai le droit de l'aimer et de la pleurer après ce que nous lui avons fait.

Les parents et le frère de mon mari ont pu aller voir Élise dès le matin mais mes parents et mon frère sont arrivés alors qu'elle venait de partir pour l'autopsie, en début d'après-midi. Il leur a donc fallu patienter encore pour la voir. Alors que, pendant la grossesse, nos frères et belle-soeur n'étaient pas sûrs de vouloir la voir, arrivés au moment fatidique, ils ont tous les trois souhaité la voir. J'en suis heureuse car je suis intimement persuadée que, dans le cas contraire, ils auraient regretté de n'avoir pu lui donner corps et de n'avoir pu lui dire au-revoir.

À son retour de l'autopsie, Élise n'avait toujours pas "bougé". Nous craignions qu'elle ne soit abîmée mais ce n'était pas le cas. Il faut dire qu'elle était habillée et que seuls son visage, ses mains et ses jambes étaient à nu. Depuis l'accouchement, elle portait le même bonnet que Gaspard, gris et blanc à rayures, mais ce n'était pas celui que nous lui destinions pour partir définitivement. À son retour de l'autopsie, nous avons remarqué des tâches de sang à l'arrière de son bonnet, là où elle avait probablement été ouverte. Nous avons "profité de l'occasion" pour demander aux employés de la chambre mortuaire de remplacer ce bonnet, que nous allons garder précieusement sans le laver, par le bonnet rose tricoté par ma mère et qui lui était destiné depuis plusieurs mois.

Le dimanche, la grand-mère de mon mari, qui vit en banlieue dans l'est parisien, a subitement eu envie de voir Élise avant qu'il ne soit trop tard. Elle a donc eu le courage de faire plus de cinq heures de taxi aller-retour pour venir voir ses arrières-petits-enfants. Je suis heureuse qu'elle ait pu voir Élise, elle qui ne parlait que de Gaspard pendant la grossesse. Seul mon mari était avec elle à la chambre mortuaire et il m'a rapporté les paroles qu'elle a dites à son arrière-petite-fille : "Ce n'est pas moi qui devrais être là, c'est toi qui devrais être à mon enterrement." Tellement simple, tellement vrai.

Ma fille, mon amour, ma princesse, ma poupée, mon étoile filante, pardonne-nous, pardonne-moi...

Quelques unes des réflexions qui me sont passées par la tête pendant ces quelques jours
C'était une immense douleur de la voir mais une nécessité absolue. Avec Gaspard, nous avons signé un CDI. Avec Élise, nous avons signé un très court CDD alors il nous fallait en profiter tant qu'il était encore temps.

On parlait toujours d'Élise en tant que petite soeur de Gaspard, comme une petite chose fragile, mais finalement c'est elle la grande soeur. C'est elle l'aînée, c'est elle notre premier enfant.

On avait vu Élise et Gaspard près de huit mois auparavant, au moment du replacement d'embryons dans le cadre de notre troisième FIV, alors qu'ils n'étaient chacun encore qu'un amas de quatre cellules et à présent ils étaient tous les deux là en chair et en os.

Comme c'est compliqué de vivre le deuil et la naissance en même temps. Comme ce grand écart psychologique est difficile à vivre. Et pourtant je n'ose imaginer ce que vivent les parents qui n'ont que le deuil, l'absence, le vide. Gaspard ne peut pas empêcher nos larmes de couler mais il est là pour les sécher : quel bonheur et quel réconfort quand nous le retrouvions après nos moments avec Élise à la chambre mortuaire. 


22 août 2013

Le jeudi, c'est neuro-pédiatrie - Épisode 3

Nous avons à nouveau rencontré le Professeur Marret, histoire d'entendre une dernière fois son avis de neuro-pédiatre sur l'état d'Élise et d'essayer d'assurer notre décision autant que possible.

Comme nous nous y attendions, il n'a pas pu nous en dire beaucoup plus que ce que nous savions déjà : les malformations d'Élise sont graves mais il ne peut nous donner un pronostic certain à 100% sur son état à sa naissance et sur l'évolution possible de son état en grandissant. Le Pr Marret a été honnête : si Élise ne présentait "que" la dilatation (qui conduit désormais à ce qu'ils appellent à une hydrocéphalie), bien qu'elle soit apparue précocément et qu'elle soit sévère et évolutive, il serait un peu moins inquiet mais c'est, encore une fois, l'association de ses deux malformations qui le rend si pessimiste. Cette association laisse en effet à penser qu'une maladie plus générale, qu'ils n'auraient pas réussi à identifier malgré les différents examens réalisés, pourrait être à l'origine de ce qui ne serait alors que deux symptômes parmi d'autres encore inconnus.

Le Pr Marret a également évoqué une troisième "solution" dont j'avais déjà entendu parler dans certains cas mais qu'aucun médecin n'avait encore envisagée pour nous : accueillir Élise en unité de soins palliatifs, c'est-à-dire la laisser venir au monde vivante et la prendre en charge comme "n'importe quel patient" en fin de vie, même si sa vie à elle vient à peine de commencer, avec traitements anti-douleurs de plus en plus intensifs au fur et à mesure. Dans l'absolu, c'est la "solution" que j'aurais préférée si les médecins avaient pu nous assurer que son agonie n'aurait duré que quelques jours. Malheureusement, le Pr Marret a avoué son ignorance : Élise pourrait mettre quelques jours, quelques semaines ou plusieurs mois à s'éteindre d'elle-même en fonction de l'évolution de son hydrocéphalie qu'ils ne peuvent ni prédire ni maîtriser, sans parler de sa défiguration qui ne ferait qu'empirer, avec sa tête qui grossirait indéfiniment jusqu'à sa mort... Si ma fille doit de toutes façons mourir, je ne veux pas faire d'elle un monstre !
Pour les parents qui en ont la force, les soins palliatifs sont probablement le moins pire des compromis. Mais je ne me sens pas capable d'assumer ça, d'attendre, impuissante, démunie, la mort de notre fille... avec notre fils du même âge qui aura besoin de toute notre attention.
Quel sens ça aurait de prolonger son calvaire et le nôtre si l'issue est la même ?!
Les situations ne sont peut-être pas comparables mais je ne peux m'empêcher de penser au décès de mes grands-parents maternels : mon grand-père est décédé de façon inattendue (le jour de mes 14 ans, saleté de Papi !) tandis que ma grand-mère est décédée au terme d'une agonie de plusieurs mois (j'avais alors 22 ans - peut-être l'âge que j'avais lors de ces décès participe-t-il de mon impression différente mais je crois vraiment que ça ne joue pas tant que ça). J'ai beaucoup moins bien vécu la mort de ma grand-mère (et je ne pense pas me tromper en disant que mes proches ont le même ressenti), la voir dépérir progressivement en sachant la fin inéluctable a été une souffrance de tous les jours. Alors je ne veux pas de ça, ni pour ma fille ni pour nous, et mon mari est sur la même longueur d'ondes.
Puisque l'issue sera la même et la situation déjà suffisamment compliquée, je crois qu'il faut aussi qu'on essaie de se préserver un minimum, même si cela peut sembler égoïste... Je ne me vois pas regarder mon fils grandir et regarder ma fille mourir en même temps ; depuis ce 24 mai, nous avons sans cesse repoussé les limites de ce que nous pouvions accepter et supporter mais il arrive un moment où ces limites sont atteintes...

Neuropédiatrie

19 août 2013

Douzième échographie

Aujourd'hui, c'est avec le Dr Diguet que nous avons passé notre douzième échographie, le Dr Brasseur étant en congés.

L'examen a débuté par une "vue d'ensemble" des deux bébés, histoire que le médecin prenne ses repères, puisque c'était la première (et normalement la dernière) fois que nous le voyions. Élise est pour l'instant en pole position pour l'accouchement, Gaspard étant encore bien haut. Mais cette fois, les grumeaux avaient tous les deux la tête en bas, Élise étant à gauche avec le dos à gauche et Gaspard étant à droite avec le dos à droite : la position idéale pour papoter tranquillement ! :-)

Gaspard continue à bien pousser. Toutes les mesures réalisées et images visionnées sont normales. Notre petit loup est dans la moyenne haute des courbes, son poids avoisinerait 1,7 kg.

Quant à Élise, rien de nouveau ou d'inattendu : ses ventricules font désormais 33 et 36 mm (contre 33 mm le 1er août). En toute logique, ses mesures crâniennes continuent, elles aussi, à grossir : avec un diamètre bipariétal de 91,6 mm et un périmètre crânien de 306 mm à 31 SA, Élise dépasse largement les valeurs de référence tandis qu'elle reste dans la moyenne basse pour les autres mesures. Son poids est évalué à 1,5 kg, à ceci près que l'estimation est faussée en raison de la taille disproportionnée de sa tête.
Comme on nous en avait parlé à Necker, en raison de l'hydrocéphalie dont Élise est atteinte (et que le Professeur Marret avait évoquée mais seulement comme conséquence possible à l'époque), la taille de son crâne pourrait poser problème à l'accouchement si elle continue à augmenter. Il serait alors envisageable de pratiquer, en même temps que l'interruption sélective de grossesse, un drainage de son liquide cérébral afin de prévenir et limiter les complications pouvant survenir lors de l'accouchement. Nous en saurons probablement plus lors de notre rendez-vous avec le Professeur Verpsyck dans deux semaines.

En attendant, notre cas devait à nouveau passer au staff ce soir afin que soit évoquée l'éventualité d'une IRM (même si elle n'apporterait, a priori, pas grand-chose) et que nous soit proposé un nouvel entretien avec le Professeur Marret pour que nous puissions discuter avec lui, d'un point-de-vue neuro-pédiatrique, des récentes évolutions, notre dernière entrevue remontant maintenant à plus de six semaines.

Echographe

08 juillet 2013

Le vendredi, c'est neuro-pédiatrie - Épisode 2

Suite à l'échograhie de mercredi, nous avons à nouveau rencontré le Professeur Marret, spécialisé en neuro-pédiatrie.

Comme nous nous y attendions, il n'a pas pu nous donner beaucoup plus d'infos ou de réponses. L'évolutivité de la dilatation n'est pas bon signe mais il est de toutes façons trop tôt pour entreprendre quoi que ce soit. La seule chose à faire est de surveiller cette dilatation avec une échographie toutes les deux semaines.

Il est incapable d'annoncer un quelconque pronostic. Son expérience lui a donné à voir tous les cas de figure : régression, stabilisation et évolution, que ce soit in utero ou ex utero, avec des séquelles et handicaps plus ou moins lourds.

Contrairement à ce que nous a dit le Dr Brasseur mercredi (mais nous avions peut-être mal interprété ses propos...), l'explication mécanique n'exclut en rien la cause génétique et ne permet en rien d'être rassurés, d'autant plus que l'association des deux anomalies reste un sujet majeur d'inquiétude.

Le Professeur Marret a de nouveau abordé le sujet de l'interruption de grossesse pour Élise. Sans chercher à nous influencer dans un sens ou dans l'autre, il a rappelé à plusieurs reprises que Gaspard allait bien et que toute décision en faveur d'Élise pouvait être défavorable à son frère. Comprenant qu'il faisait allusion aux risques liés à la prématurité, nous lui avons demandé si, dans le cas où nous déciderions de donner toutes ses chances à Élise et de déclencher un accouchement précoce, il était possible de limiter les risques liés à la prématurité. Sans rentrer dans les détails, il nous a confirmé qu'il existait certaines solutions, notamment par rapport à l'autonomie des poumons, etc.

À la fin de notre entretien, le Professeur Marret nous a recommandé de rencontrer à nouveau le Professeur Verspyck, gynécologue obstétricien spécialisé en médecine foetale. Comme notre gynécologue "classique" n'avait pas l'air disposée à évoquer l'interruption de grossesse lors de notre dernière consultation il y a une semaine, nous avons effectivement sollicité un nouveau rendez-vous avec le Professeur Verspyck pour obtenir toutes les informations concrètes autour de l'accouchement, quelle qu'en soit la tournure, afin de pouvoir prendre notre décision en toute connaissance de cause et par rapport à tous les aspects.

Cette semaine (et pour la première fois depuis un moment et sans doute pour la dernière fois avant un moment !), nous n'avons aucun rendez-vous au CHU, nous rencontrerons à nouveau le Professeur Verspyck et repasserons une échographie avec le Dr Brasseur la semaine prochaine. En attendant, nous soufflons autant que possible loin du CHU, dans la maison de vacances de mes parents au bord de la mer !

Neuropédiatrie