Deujans !
Dans moins d'une heure, tu seras né depuis 2 ans. 2 ans ! "Deujans", comme tu dirais !
Je me souviens si bien des heures qui ont précédé ta naissance, ce lundi soir. J'étais tellement impatiente ! Je m'étais mis en tête que tu arriverais en avance - pas trop bien sûr, mais suffisamment pour abréger raisonnablement l'angoisse que mon ventre devienne à nouveau tombeau. Et puis, coquin que tu étais déjà, tu nous as fait mariner jusqu'aux dernières heures de la veille du terme officiel !
Je me souviens de tout. Le bain que j'ai pris le lundi matin pour apaiser les contractions, leur chronométrage, l'appel à la maternité pour me faire confirmer la conduite à tenir, l'excitation en entendant ce "venez nous voir, on va contrôler", l'appel à mon mari, l'appel à ma belle-soeur pour la prévenir qu'on allait déposer Gaspard sous peu, mon mari qui récupère Gaspard à la crèche en rentrant précipitamment du travail, Gaspard que l'on jette chez Tonton et Tata, l'examen à la maternité et ce sésame qu'on nous accorde enfin : "on vous garde".
Quelques heures et quelques frayeurs plus tard, tu étais parmi nous, grâce à Franck - encore lui ! Depuis, après un démarrage compliqué, tu illumines toi aussi notre vie, avec tes habitudes, tes plaisirs et tes clowneries !
Tu adores les tracteurs et les camions, et tu es aux anges quand on voit le camion-toupie garé presque quotidiennement près de la crèche.
Mais ce que tu préfères, ce sont les trains ! Les trains en bois, les trains en plastique, les trains en métal ; les trains qu'il faut faire avancer, les trains motorisés ; les petits trains, les grands trains. Alors que dire du circuit de train électrique de ton Papi ! La première chose à laquelle tu penses quand tu vas là-bas, c'est aller à l'étage pour le faire rouler et le regarder tourner en boucle ! Tu es même devenu expert en manœuvre ferroviaire et en commande de transfo.
Ton langage progresse de jour en jour, tu t'amuses de plus en plus à essayer de prononcer les mots. Ton onomatopée préférée du moment, ce sont deux syllables répétées à l'envi et à toute vitesse : "légâ-légâ-légâ-légâ-légâ" ! Tu sais que ça nous fait rire, mais nous n'en avons pas encore décodé la signification...
Ce que j'aime chez toi, parmi des milliers de choses, c'est :
- quand tu reviens en courant et les mains sur les yeux en t'exclamant "-umer !" lorsque la pièce où tu voulais te rendre n'est pas éclairée,
- quand tu marches sur la pointe des pieds en te trémoussant,
- quand tu repousses systématiquement la couette quand je veux te border, toi qui as toujours trop chaud,
- quand tu essaies d'imiter le geste de la main des métalleux en courant et sautant dès que tu entends du Metallica ou du Rammstein,
- quand tu ris à gorge déployée, de ton rire si contagieux - l'un des plus communicatifs que je connaisse,
- quand tu plisses les yeux et avances le menton lorsque l'on te demande simplement de sourire,
- quand tu cours à travers la crèche en riant, le soir, pour que je ne puisse pas t'attraper,
- quand tu réclames "tap tap" pour que je t'aide à enfiler ton pantalon en mode "sac à patate", c'est-à-dire que tu te suspends à mon cou, les jambes dans le vide, et que je remonte ledit pantalon en te secouant les fesses,
- quand tu te blottis contre moi lorsque ton papa te taquine en t'appelant "le bébé à sa maman",
- quand tu réfléchis longuement à une question que l'on te pose pour finalement nous donner sempiternellement la même réponse "hmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmm... non !",
- quand tu enlèves ton chausson droit en mangeant - toujours le droit, à chaque repas.
Mais le geste qui me fait fondre, c'est quand je te couche.
Après l'histoire et le câlin, tu t'installes dans ton lit, avec la tétine dans la bouche et Banane, ton doudou-âne, dans les bras.
Je te demande si tu veux faire chanter Lison, une peluche musicale. Tu me réponds invariablement "non".
Je te demande si tu veux mettre la musique du hibou accroché aux barreaux de ton lit. Tu me réponds immanquablement "non".
Je te demande si on se fait un dernier bisou. C'est alors que tu poses la tétine, attrapes ma main et l'embrasses, tantôt sur le dessus, tantôt sur la paume, pour que je dépose ensuite ton bisou sur ma joue...
À ton arrivée, j'ai douté. Aujourd'hui, tu es l'évidence. Je t'aime mon Koala.
24
Mon "bébé de droite" devenait un petit garçon.
Mon "bébé de gauche" devenait une petite fille.
Seul mon mari devait connaître le sexe des grumeaux avant leur naissance. Mais l'échographiste, après avoir commencé par le bébé de droite et après en avoir révélé le sexe à mon mari à l'abri de mes yeux et de mes oreilles, avait pensé à voix haute, toute concentrée qu'elle était sur ce qu'elle était en train de découvrir et de comprendre : "Pour la petite fille, c'est plus compliqué", avait-elle gaffé, d'un air sérieux. Une phrase, quatre informations : ce bébé est une petite fille, l'autre bébé est un petit garçon, ce bébé ne semble pas aller bien, l'autre bébé semble aller bien.
Mon "bébé de droite" devenait Gaspard.
Mon "bébé de gauche" devenait Élise.
Les prénoms de nos bébés étaient déjà choisis en fonction des trois "combinaisons" de sexes possibles. Mais nous ne devions les appeler par leurs prénoms qu'à leur naissance.
Mon "bébé de droite" restait un bébé a priori en bonne santé.
Mon "bébé de gauche" devenait effectivement un bébé malade, malformé, anormal.
Dans tous ces qualificatifs devenus indissociables d'Élise, il y a le mot "mal". Ne pas être en bonne santé, c'est mal. Ne pas être correctement formé, c'est mal. Ne pas être dans les normes, c'est mal. De là à dire qu'Élise était l'incarnation du Mal, que le Mal était en elle...
Tout cela s'est passé un 24 mai. Le 24 mai 2013. Il y a 24 mois.