Préparatifs
Pour la sécurité sociale, le terme pour la naissance de Hector est prévu le 14 février. Pour beaucoup, c'est une bonne date - rapport à la Saint Valentin.
Premièrement, cette date ne veut rien dire pour mon mari et moi. Nous ne l'avons jamais fêtée, préférant célébrer nos anniversaires de rencontre et de mariage, bien plus significatifs.
Deuxièmement, je ne vois pas le rapport entre la Saint Valentin et la naissance prévue d'un enfant. Ah si, un enfant, c'est le fruit de l'amour de ses parents, tout ça, tout ça.
Pour l'hôpital où je suis suivie, le terme serait plutôt prévu le 10 février, c'est-à-dire dans un moins d'un mois. Le compte-à-rebours ayant commencé et une fausse alerte ayant retenti il y a quelques jours déjà, il est temps de poursuivre les préparatifs de l'arrivée de Hector.
Nous ne savons même pas encore comment nous allons faire, en termes d'organisation et d'aménagement des chambres, notamment par rapport au fait que Gaspard porte encore des couches et que notre commode à langer est dans la chambre de Hector. Mais il y a au moins deux choses que nous avons préparées : les premiers vêtements de Hector et la valise pour la maternité.
Les vêtements
Concrètement, ça a commencé samedi par du tri dans les vêtements de bébé. Heureusement que ma cousine, qui nous avait prêté des vêtements pour Gaspard, est elle aussi enceinte (de quelques semaines de moins que moi) : c'est ce qui m'a motivée à mettre de côté d'une part les vêtements à lui rendre, d'autre part les premiers vêtements que Hector portera.
J'ai voulu commencer ce tri alors que j'étais seule avec Gaspard. Vaquer à ses occupations tout en veillant sur un petit bout de presque 16 mois qui court partout n'est pas chose aisée, surtout à 8 mois de grossesse et quand lesdites occupations ne sont pas neutres émotionnellement.
Je n'en avais pas conscience (mais devais le savoir quand même, quelque part au fond de moi, vu le nombre de fois où j'ai reporté ce tri pourtant inévitable) mais m'occuper de ces vêtements a fait (re)surgir beaucoup d'émotions. De la nostalgie, des regrets, des fantasmes, de la joie, de l'impatience, de la peur.
Parce que la dernière fois que j'ai préparé ces mêmes vêtements, c'était pour Gaspard et Élise était encore là, encore vivante même. Quelle situation cruelle, quand j'y repense : préparer des vêtements pour son fils en faisant comme sa fille n'était pas là !
Parce que la dernière fois que j'ai préparé des vêtements de nouveau-né, j'aurais dû les préparer pour deux nouveaux-nés.
Parce que je suis heureuse de préparer ces vêtements pour Hector mais que tant qu'il ne sera pas là, dans mes bras, vivant, une alarme sera active dans ma tête.
Je n'arrivais pas à me concentrer, à m'organiser ; Gaspard m'énervait pour un oui ou pour un non ; les larmes coulaient. Mon mari est finalement rentré et s'est occupé de Gaspard pour me laisser souffler et terminer aussi tranquillement que possible.
Ces préparatifs, en apparence si banals et si joyeux, ne se sont pas faits sans mal.
Et dire qu'il faudra bientôt remettre ça, puisque je me suis pour l'instant contentée du minimum : mettre de côté les vêtements taille naissance et taille 1 mois.
La valise
Déjà avant la fausse alerte de fin décembre, mon mari et moi avions en tête qu'il ne faudrait pas tarder à préparer la fameuse "valise pour la maternité". Là encore, j'ai repoussé le moment fatidique, plus ou moins consciemment. Ce n'est que dimanche que je me suis décidée à rechercher, sur l'ordinateur, la liste que j'avais faite pour la naissance des grumeaux. Doutant de l'avoir conservée, je n'étais pas sûre de la retrouver. Finalement, elle m'attendait bien sagement. Et quelle ironie en voyant la date de dernier enregistrement de ladite liste : le 7 septembre 2013. Même si j'ai passé deux autres nuits chez moi entre ce 7 septembre et la naissance d'Élise et Gaspard, cette date marque pour moi le début de la fin de la grossesse des grumeaux.
Mon mari s'attend donc à ce que l'histoire se reproduise : le jour où j'aurai bouclé la valise pour Hector marquera la fin de cette grossesse. ;-) Et c'est justement aujourd'hui que je m'y attelle !
Là aussi, beaucoup d'émotions en passant en revue ce que nous avions prévu d'emporter pour Gaspard et Élise : la liste était tellement plus courte et plus lourde de sens d'un côté que de l'autre...
Une preuve de plus, pour ceux qui en auraient besoin, qu'apprendre à vivre avec l'absence de son enfant est un travail de tous les instants...
Le poids des mots
Aujourd'hui, dans une salle d'attente, une dame a engagé la conversation.
Conte de Noël
C'est un conte de Noël que j'ai découvert l'an dernier déjà. Depuis, il "tourne" régulièrement entre les parents endeuillés.
Je ne sais pas s'il m'aurait autant touchée il y a plusieurs mois de cela, je l'aurais peut-être trouvé "gnangnan". Toujours est-il qu'aujourd'hui il me parle et m'émeut. J'y lis l'espoir que mon Élise reçoive, au plus profond et au plus pur de son âme, tout l'amour que j'ai pour elle, particulièrement en ces moments censés être partagés en famille.
Comme souvent sur Internet, les pillages et autres emprunts sont nombreux et loin de moi l'idée de m'approprier ce qui ne m'appartient pas. J'espère simplement honorer le bon auteur de ce texte en citant Céline Claire.
C’est la nuit de Noël… Il est très tard… Si tard que seules quelques lumières oubliées clignotent encore dans la ville. Si tard que tous les yeux sont profondément fermés. Si tard que la ville est entièrement recouverte d’un fin manteau de givre glacé…
Dans le silence flottent neuf carillons qui tintinnabulent à chaque saut des rennes… Le Père Noël n’a pas fini son travail. Il est éreinté mais continue inlassablement à remplir les cheminées des maisons endormies…
Enfin le dernier paquet…
Le Père Noël est heureux pour ses rennes aussi : il les sent épuisés de tant de kilomètres parcourus, tirant un traîneau qui, au lieu de s’alléger, semblait de plus en plus lourd au fur et à mesure de la distribution. Le Père Noël ne comprend pas. Pourquoi tant de fatigue ? Et cette impression de labeur non fini ?
Le Père Noël attrape le dernier cadeau : vraisemblablement un cheval à bascule vu la forme et la grosseur du paquet.
Il le soulève avec peine et court le déposer au pied du sapin. Il remonte dans son traîneau, fait claquer sa langue, et les rennes se remettent péniblement en marche…
Pourquoi tant de mal ? Le traîneau est pourtant vide maintenant.
Comme animé d’un soupçon, le Père Noël se retourne… Et ce qu’il voit le remplit de stupeur : cachés au fond du traîneau, longtemps dissimulés sous le cheval à bascule, une multitude de petits sacs de velours bleu attendent sagement.
Qu’est-ce ?
Le Père Noël n’en croit pas ses yeux. Ce n’est pas lui qui a déposé tout cela… Il se rappelle chaque jouet fabriqué, chaque cadeau emballé, chaque désir d’enfant. Et quel enfant réclamerait un petit sac de velours ?
Le Père Noël ordonne aux rennes de s’arrêter, il descend du traîneau et saisit un de ces sacs.
Stupeur !
Il est gonflé à bloc et lourd comme du plomb ! Le Père Noël le regarde longuement, le tourne et le retourne sans oser l’ouvrir. Il réfléchit, retrace le fil de sa tournée, persuadé que ces cadeaux n’étaient pas là quand il a embarqué.
C’est alors qu’il se rappelle…
Lors de sa tournée, il a vu sortir de quelques-une des maisons un papa ou une maman et s’approcher discrètement du traîneau. Il n’a guère fait attention : le Père Noël se soucie plus des enfants que des adultes… mais il se pourrait fort bien que ces parents aient glissé un petit paquet dans le traîneau…
Cherchant la clé de ce mystère, tournant et retournant le petit sac, il découvre, brodé sur le ruban qui le ferme, un prénom d’enfant…
Chaque sachet serait donc destiné à un petit ?
Une douceur infinie traverse le regard usé du Père Noël…
Il a compris.
Alors il remonte dans son traîneau, fait claquer sa langue, se cambre sous l’allure des rennes repartis au triple galop et les guide à travers la ville et le froid.
Ils montent, dépassent les lumières, glissent sur les nuages pour un pays que tous imaginent sans jamais le connaître.
Une multitude d’enfants impatients l’attendent en file indienne.
Ils ont interrompu leurs jeux à l’écoute des carillons et se tortillent d’aise à l’envie d’avoir leur cadeau…
Ils n’attendent pas de jouets, de poupées ou de camions… Ils attendent un simple petit sac de velours bleu. Des étoiles brillent déjà dans leurs yeux et les regards filent du côté du traîneau.
Le Père Noël prend un des sacs si lourds entre ses mains, soulève le ruban qui le ferme et lit le prénom brodé.
Aussitôt, le visage d’un petit garçon en habit de prince s’éclaire. Il s’avance timidement et tend ses mains. Le sac qui semblait de plomb se fait plume ! L’enfant sourit, défait d’un geste le ruban et surgissent alors une multitude de bisous, chatouilles, câlins et caresses qui retombent comme une pluie de bonheur sur les cheveux, les mains, les joues du garçonnet qui éclate de rire sous cette tendresse attendue.
Autour de lui, comme un écho à sa joie, d’autres sacs se distribuent, d’autres rubans se défont, d’autres rires retentissent…
Le pays imaginaire n’est plus qu’un immense éclat joyeux qui carillonne plus fort encore que les clochettes des rennes…
Car une maman restera toujours une machine à faire les bisous, un papa restera toujours une machine à faire les câlins et l’amour trouvera toujours un messager pour arriver à son destinataire.
Allô Rufo
Émission "Allô Rufo" diffusée sur France 5
Date : 28 novembre 2014
Durée : 0h06
La question que j'avais adressée à l'émission il y a plusieurs mois a été retenue, je suis donc passée à l'antenne - par téléphone - hier, l'émission ayant été enregistrée le 2 octobre dernier.
En dehors de ces rapides conseils, mon passage, même bref, dans cette émission avait le même objectif que toutes mes tentatives (pas toujours fructueuses : certaines n'aboutissent pas, d'autres ne reçoivent même pas de réponse) pour témoigner d'une façon ou d'une autre sur le deuil périnatal en général et le deuil périnatal d'un jumeau en particulier : faire parler de nos bébés, de nos drames.
Mon mot d'ordre est simple : plus on en parle, mieux je me porte et mieux c'est !
La réponse de Marcel Rufo, je l'ai eue en direct par téléphone. Ni scoop, ni révélation au rendez-vous ; juste la confirmation de la voie dans laquelle nous allons devoir nous engager pour accompagner Gaspard dans la découverte de l'existence de sa sœur jumelle Élise, dans la compréhension de son début de vie particulier, dans la construction de son identité de jumeau esseulé.
En revanche, j'ai été un peu déçue par la formulation écrite de ma question, diffusée en bas de l'écran pendant notre échange téléphonique.
"Mon fils de 1 an avait une jumelle qui est née sans vie suite à une interruption médicale de grossesse sélective. Faut-il lui en parler ?"
Ça peut vous paraître anodin mais pour moi, c'est loin de l'être : je ne me demande pas s'il faut lui en parler mais quand et comment lui en parler. Heureusement que l'on m'a laissé poser ma question comme je l'entendais, avec cette nuance qui n'en est pas une pour moi !
La laisser partir...
Je n'arrive pas à laisser partir Élise.
Voilà ce qui est ressorti de mon rendez-vous avec la psychologue plus tôt cette semaine.
Je n'arrive pas à être en lien avec Élise autrement que par la souffrance. Ne plus souffrir de son absence serait la trahir.
Dit comme ça, on croirait que je le fais exprès mais ce n'est pas conscient.
J'irai mieux quand j'aurai dépassé ce stade... un jour... peut-être...
Il faut aussi que j'arrive à accepter l'existence d'Élise telle qu'elle est, telle qu'elle a été.
En plus du deuil d'Élise telle qu'elle est, telle qu'elle a été, il faut aussi que je fasse le deuil de tout ce que j'avais imaginé, espéré, projeté avec elle.
Dans le deuil d'Élise, il y a plusieurs deuils.
Il y a le deuil de mon enfant.
Il y a le deuil de ma fille, parce qu'en tant que femme, on ne projette pas les mêmes choses sur une fille et un fils (comme un homme ne projette pas les mêmes choses sur un fils et une fille).
Il y a le deuil de la sœur jumelle de mon fils.
Il y a le deuil de mon statut de mère de jumeaux.
Il y a le deuil de notre vie à quatre, auquel l'arrivée de Hector ne changera rien. Ce sera une vie à quatre, mais ce ne sera pas la vie à quatre qu'on aurait eue avec Élise et Gaspard. Cette vie à quatre là ne sera ni mieux, ni moins bien ; elle sera différente, elle sera autre.
D'après la psychologue, en moyenne, un deuil dure 2 ans. Ça fait tout juste 14 mois ; je suis encore en plein dedans.
On verra où j'en serai dans un an....
Il m'arrive de souhaiter de n'être jamais tombée enceinte, ni des grumeaux, ni du haricot. Juste pour effacer toute cette souffrance.
Il m'arrive de regretter d'avoir remis en route un bébé si rapidement. Il m'est difficile de le reconnaître, d'une part parce que j'ai ma fierté et qu'il n'est jamais aisé d'admettre qu'on a pu se tromper (alors même que certains nous avaient mis en garde), d'autre part parce que maintenant que Hector est là (ou presque), il n'a pas à subir l'état de sa mère.
Il m'arrive de confondre, brièvement mais quand même, mes deux grossesses. Enfin, plus particulièrement de me surprendre à croire que c'est Élise qui est de nouveau dans mon ventre, qu'on a une deuxième chance, elle et moi, elle et nous. Une deuxième chance pour tout réparer et faire que tout aille bien.
À tout cela, la psy répond que je n'ai pas d'autre choix que d'accepter les choses comme elles sont. Que si nous avons décidé de remettre un bébé en route si tôt, c'est parce que c'est ce que nous avions besoin de faire au moment où nous l'avons fait. Elle me dit aussi que, repasser maintenant, si tôt après le décès d'Élise, par toutes ces émotions si violentes, ravivées par cette nouvelle grossesse, fait peut-être partie de mon chemin, que j'ai peut-être besoin de tout ça pour avancer.
En même temps, je sais au fond de moi que, lorsque Hector sera là, dans nos bras, sous nos yeux, sa présence sera une évidence. En attendant, c'est compliqué à gérer...
On croit tous qu'on est indépendant, qu'on se moque de ce que pensent les autres, qu'on n'a pas besoin de leur avis. Et pourtant, dans ce deuil si intime, si profond, je me sens remise en cause par les autres dans ce que je vis et ce que je ressens.
Pas par tous, parce que - heureusement - certains (beaucoup même, si je compare avec d'autres parents endeuillés bien moins entourés et soutenus) sont à la hauteur.
Mais il y a ceux qui nous font douter.
Il y a ceux qui, en une phrase, annihilent tout le chemin que l'on a parcouru entre le moment où la question de l'ISG s'est posée et le moment où l'on a dû y répondre. Parce que, selon eux, "nous avons fait le bon choix". Sous couvert de nous rassurer et de nous conforter dans notre décision, ils nient tout ce qui se cache derrière. Je ne veux pas qu'on me dise qu'on a pris la bonne décision, je veux juste qu'on reconnaisse la torture mentale qu'impliquait - et qu'implique toujours - cette décision. Et toutes les questions qu'on s'est posées, ils en font quoi ? Toutes les questions qu'on se pose encore, ils en font quoi ? Tous les espoirs qu'on a nourris avant de devoir y renoncer, ils en font quoi ? Tous les regrets qui nous - me - pourrissent la vie, ils en font quoi ?
Il y a ceux qui, par une attitude, une hésitation, un non-dit, un regard, jettent le doute sur la légitimité de notre deuil.
Dernier exemple en date, le 18 novembre dernier, à 12h15, jour et heure des 14 mois du décès d'Élise, je me suis effondrée alors que j'étais au travail. Je suis sortie du bureau quelques minutes pour me calmer mais n'ai pu cacher mes yeux embués en revenant à mon poste. Une collègue s'en est aperçue et m'a prise à part pour tenter de me consoler. Entre deux sanglots, j'ai réussi à lui dire que nous étions aujourd'hui le jour des 14 mois du décès d'Élise. Une autre collègue s'est également inquiétée et nous a rejointes peu après. Ma première collègue a alors pris les devants en expliquant que nous étions le jour des 12 mois du décès d'Élise. Je l'ai corrigée. Et, à ce moment précis, j'ai senti (je ne sais pas comment expliquer autrement) dans son attitude une sorte de recul, que j'ai interprété comme "Ah ! Pour le premier anniversaire, j'aurais compris mais pour les 14 mois, tu n'en rajouterais pas un peu ?".
Ce qui est difficile dans ce deuil, c'est le décalage permanent. Soit avec soi-même, soit avec les autres.
Comment assumer ses émotions quand elles n'ont pas de place aux yeux des autres ? Comment être soi-même sans être regardée avec mépris, incompréhension, indifférence, condescendance ?
Moi je ne demande que ça : aller aussi bien que les autres le pensent ou le voudraient, mais si je m'aligne sur ce que les autres attendent de moi, je fais quoi de toutes ces émotions qui déferlent ?
La psychologue m'a demandé si nous parlions de tout ça avec mon mari. Oui, nous en parlons, dans le sens où ce n'est pas tabou, mais j'ai l'impression qu'il n'y a pas grand-chose à dire ou du moins que je ne vois pas à quoi ça servirait d'en parler entre nous.
Ni moi, ni mon mari, ni ma famille, ni mes amis n'avons la clé. Je ne sais pas de quoi j'ai besoin pour aller mieux. Je sais juste qu'en ce moment, mon deuil prend toute la place chez nous et que mon mari prend beaucoup sur lui et se met en retrait par rapport à ça. La psychologue me dit que, s'il avait besoin de vivre les choses autrement particulièrement en ce moment, il l'exprimerait d'une façon ou d'une autre.
Mais lui, comment va-t-il ? Où est-ce qu'il en est ? Pourquoi serait-ce à lui de s'effacer ?
Mon Éphémère
Il suffisait d'en parler ! Aujourd'hui, jour des 14 mois des grumeaux, nous avons reçu ce courrier.
Notre fille se prénomme donc officiellement Élise Éphémère <3
En revanche, pour qu'elle puisse porter notre nom de famille, il faudra attendre que la loi change...
Malgré moi
En ce moment, le moral n'est pas très haut, c'est le moins que l'on puisse dire. Certains d'entre vous s'en sont aperçus à la lecture des derniers billets. Je n'ai pourtant pas identifié d'élément déclencheur particulier. J'imagine qu'il s'agit "juste" d'un "bas", qui a été précédé et sera probablement suivi d'un "haut".
Toujours est-il que je suis en ce moment hyper sensible et incapable de gérer des émotions qui se rapprochent trop de ce que nous avons vécu avec Élise. J'ai en tête trois exemples précis et récents.
Le premier remonte à vendredi soir, lors de la conférence organisée par Endofrance sur le thème "Endométriose et douleur" avec pour intervenants Isabella Chanavaz-Lacheray, une gynécologue-obstétricien spécialiste de l'endométriose qui a abordé concrètement les caractéristiques de cette maladie protéiforme, deux médecins anesthésistes qui ont parlé de la prise en charge de la douleur et de l'hypnose et, pour finir, Sophie Bonnet, la psychologue qui nous suit, qui a évoqué le soutien psychologique qu'elle peut proposer aux femmes et couples confrontés à l'endométriose, entre autres à travers l'hypnose.
De ces quatre présentations, j'ai surtout retenu le discours sur la "douleur" - qui concerne d'abord le corporel - qui résonnait tellement en moi, pour peu que l'on remplace ce terme par "souffrance" - davantage liée au psychisme. J'ai par ailleurs été spécialement attentive aux discours sur l'hypnose et l'auto-hypnose.
À la fin de la conférence, Mme Bonnet et moi nous sommes saluées. Et pour toute réponse à sa question "Comment allez-vous ?", j'ai fondu en larmes. Elle m'a alors proposé que l'on se voie dans les jours à venir, et non en janvier comme prévu lors de notre dernier rendez-vous début octobre. Je pense évoquer avec elle l'idée de tenter l'hypnose. Je ne suis ni sceptique ni convaincue ; je ne demande qu'à voir et me sens prête à accepter une nouvelle forme d'aide, sans pour autant savoir quels bénéfices je peux en attendre.
Le deuxième exemple remonte à hier soir. Nous avons essayé de nous distraire devant "Braquage à l'anglaise", diffusé sur France 2, mais, après un quart d'heure à ne rien comprendre et à nous ennuyer, nous avons basculé sur M6, qui diffusait un numéro de Zone interdite consacré à l'euthanasie, notamment à l'histoire de Vincent Humbert et de sa famille. Malheureusement, nous sommes tombés précisément au moment où son épouse, favorable à l'arrêt des soins - contrairement aux parents de son mari, lisait un extrait d'une lettre qu'elle a reçue de militants anti-euthanasie. Je n'ai pu retenir mes larmes face à la souffrance qu'elle éprouvait indéniablement en lisant ces mots bien-pensants et accusateurs - une souffrance et des mots qui faisaient douloureusement écho à ce billet publié l'an dernier (et surtout à un certain commentaire) et à la réponse que j'y avais apportée. Je n'ai pas pu aller plus loin dans cette émission.
Le troisième exemple remonte à quelques heures à peine. L'épisode de Plus belle la vie (personne n'est parfait ! :-)) de ce soir s'est ouvert de façon inattendue sur la mort d'une adolescente. S'en sont suivies l'annonce du décès à la maman et la visite de cette dernière auprès de sa fille à la morgue. Je ne suis pourtant pas du genre à me laisser attendrir devant ce feuilleton mais il m'a été impossible de lutter ce soir, d'autant plus que l'adolescente en question s'appelle... Élise ! Une Élise qui décède (même pour de faux) le jour de la Sainte Élise, la veille des 14 mois du décès de mon Élise... Comment rester indifférente ?
Une histoire de prénoms... encore !
Aujourd'hui, c'est la Sainte Élise. Enfin, c'est l'une des Saintes Élise, car il en existe plusieurs mais le 17 novembre est vraisemblablement le jour où les Élise sont le plus fêtées. Alors je souhaite une bonne fête à ma princesse des nuages, à mon étoile filante, même si ça n'a pas de sens. De toutes façons, rien n'a de sens par rapport à Élise.
En ce jour un peu spécial, j'ai envie de vous parler - encore - des prénoms de nos enfants, de leurs prénoms secondaires plus précisément.
Ce n'est plus un mystère : Gaspard a pour deuxième et troisième prénoms Paul et Marceau, les prénoms qui auraient été ceux des jumeaux s'ils avaient été deux petits mecs.
Si le destin d'Élise n'avait pas viré au tragique, nous avions prévu de nous amuser avec les autres prénoms de Gaspard mais, lors des déclarations à l'état civil, le coeur n'y était pas. Nous avions donc laissé tomber l'idée avant de l'envisager à nouveau pour Hector, même si mon mari ne semble pas complètement décidé. Cette idée, c'est de lui donner pour deuxième et troisième prénoms Melchior et Balthazar ;-) A vrai dire, j'aime beaucoup le prénom Balthazar mais avec un petit Gaspard dans la fratrie, c'est définitivement impossible alors autant s'en amuser et devancer les blagues auxquelles nous avons déjà eu droit et aurons encore droit !
Quant à Élise, nous n'avions pas d'idée particulière, même avant que son histoire ne change de trajectoire. Nous souhaitions pourtant ne pas faire de différence entre nos enfants mais l'inspiration ne venait pas. Et puis, il y a quelques semaines, mon mari et moi sommes tombés d'accord sur une suggestion que je lui ai faite. Nous nous sommes donc renseignés auprès du service d'état civil de la ville de naissance des grumeaux sur l'ajout d'un deuxième prénom a posteriori - sans préciser le prénom dans un premier temps, simplement pour connaître la marche à suivre. Notre interlocutrice nous a confirmé l'accord de principe du Procureur de la république, à qui nous avons adressé il y a quelques jours un courrier précisant le prénom choisi afin d'officialiser notre demande. Nous ignorons dans quel délai Élise aura officiellement un deuxième prénom ; pour l'instant, nous espérons surtout que notre choix sera accepté, car, bien que cela ne nous ressemble pas, le prénom que nous avons choisi n'en est pas vraiment un. Mais il nous semble tellement bien lui aller...
Ce "prénom", c'est Éphémère.
Cela vient du grec et signifie "qui ne dure, ne vit qu'une journée". Ce prénom ne lui va-t-il pas à merveille, elle qui n'a qu'une date officielle, celle de sa naissance sans vie ?
Dans la maison
Il reste encore plus de trois mois avant la date prévue d'accouchement ; nous ne sommes pourtant pas du genre à tout préparer dans l'excitation, l'impatience et l'insouciance. Certains diront que c'est normal avec la grossesse que nous avons vécue pour les grumeaux ; disons qu'elle n'a fait que nous rendre plus prudents, plus méfiants mais que nous n'étions déjà pas du genre à repeindre la chambre pendant le premier trimestre. Cette fois-ci, c'est différent : les quelques réaménagements que nous avons prévus dans la maison vont prendre un peu de temps, mon mari souhaitait donc profiter du pont du 11 novembre (puisqu'il ne travaille pas lundi, lui !) pour s'y attaquer et éviter de laisser la maison "en chantier" plusieurs jours ou semaines s'il s'en occupait par intermittence le soir ou le week-end.
Et puis, comme les réaménagements prévus impliquent un changement de chambre pour Gaspard, nous voulons le préparer à l'arrivée de son petit frère suffisamment longtemps à l'avance pour qu'il ne soit pas trop perturbé et qu'il n'associe pas ce chamboulement à l'arrivée de Hector.
Ce soir, nous avons donc commencé à vider les meubles qui vont devoir changer de pièce pour l'arrivée de Hector. J'ai participé comme j'ai pu mais ai rapidement dû me contenter de regarder mon mari faire, mon bidon commençant à peser, surtout en fin de journée. J'aurais préféré pouvoir être plus active, ça m'aurait peut-être évité de cogiter...
Car l'aménagement que l'on entreprend pour accueillir Hector, c'est celui que nous aurions dû faire à notre entrée dans la maison il y a 13 mois, pour Élise et Gaspard. Nous disposons en effet d'une chambre au rez-de-chaussée, qui aurait dû être la nôtre dès le début et qui va désormais la devenir, et de deux chambres à l'étage, qui auraient dû être celles des grumeaux. En même temps, je suis heureuse de préparer tout ça pour Hector mais je ne peux m'empêcher de penser que les choses ne sont pas à leur place.
Et pour couronner le tout, l'angoisse inhérente à cette grossesse trouve dans ces remaniements un terreau fertile. À anticiper autant l'arrivée de Hector, moi qui ne suis pas superstitieuse, j'ai pourtant peur que ça ne nous porte malheur, comme si en rendant sa présence imminente un peu plus concrète, on jouait à provoquer le diable.
Nous préparons l'arrivée de Hector mais si c'est à lui qu'il arrive quelque chose ? Que fera-t-on si Hector n'arrive jamais dans sa chambre, dans son lit ?...
Autopsie
En ce moment, j’ai comme des flashs.
D’ordinaire, quand je pense à Élise, c’est de façon abstraite. Sa réalité n’est que dans ma tête ; quand je pense à elle, elle est immatérielle, chimérique, comme irréelle. Et pourtant, depuis quelques jours, les images les plus crues et les plus triviales de son existence m’apparaissent devant les yeux, par surprise. Pourquoi ? Je ne sais pas vraiment. On a pourtant dépassé, du moins pour cette année, les dates anniversaires qui auraient pu raviver ce genre d'images.
Les images de son tout petit cercueil se refermant sur son tout petit corps.
Les images de la première fois où nous sommes allées la voir à la morgue, le vendredi 20 septembre 2013.
Les images - que je fantasme - de son autopsie…
Pour beaucoup, accepter une autopsie est une évidence quand on ignore la cause de la mort ou que l'on veut comprendre l'origine de malformations qui ont conduit, directement ou non, à la mort. Pour nous aussi - pour moi aussi - ça a été une évidence d'accepter l'autopsie d'Élise - sur le moment, du moins. Comme si j'espérais que l'autopsie nous apporte des réponses définitives, indiscutables. Comme si j'espérais surtout que l'autopsie légitime la décision que nous avons prise, comme pour me sentir moins responsable, moins coupable. Mais plus j'y pense et plus je me dis qu'il y a vraiment un truc qui ne tourne pas rond sur cette terre pour que des parents aient à associer les mots "enfant" et "autopsie" dans une même phrase, dans une même idée, dans une même réalité.
L'autopsie peut apporter des réponses - mais pas toujours. Dans notre cas, on nous a tellement fait comprendre que les malformations d'Élise étaient "la faute à pas de chance" que je crois que je n'attends plus rien des derniers résultats d'autopsie que nous n'avons pas encore. Du coup, je ne vois plus dans son autopsie qu'un acte sacrilège. Car il y a tellement de violence qu'on ne dit pas derrière une autopsie. Avez-vous jamais imaginé concrètement, réellement, physiquement ce qu'est une autopsie, en quoi elle consiste, ce qu'il advient du corps autopsié ? En ce moment, je n'arrête pas d'y penser.
Son petit corps nu, exposé, seul... sans la chaleur de la vie qui l'a quitté, sans la chaleur de nos bras autour de lui...
Son petit corps si innocent, si délicat, si pur... profané par des inconnus pour qui il n'est qu'un corps sans âme, qu'un organisme autrefois vivant, à étudier, examiner, disséquer...
Son petit corps silencieux et inoffensif... abîmé, martyrisé, torturé par des instruments froids, invasifs, étrangers.
Son petit corps sans vie, sans âme... confié - non, abandonné - à la science pour faire semblant de chercher des réponses que nous n’aurons jamais.
Je voudrais me débarrasser de ces images mais elles sont intrinsèquement liées à la relation, si courte et si incomplète, que nous avons eue avec elle. Je voudrais ne penser à elle que comme ma fille, mon enfant, mon bébé. Mais la réalité, froide, insensible et sans pitié, me rattrape sans cesse.