L'enfant qui n'est pas né
Je suis tombée par "hasard" sur cette sculpture, réalisée par Martin Hudáčeka, un jeune artiste slovaque, et inaugurée en Slovaquie en octobre 2011.
Elle symbolise l'enfant qui ne naît pas suite à un avortement.
Sans même parler de son nom, le symbolisme de cette sculpture m'a évidemment fait penser à Élise : une mère éplorée, en pierre, consolée par son enfant, aussi transparent que le cristal...
J'y lis ma culpabilité et Élise qui me pardonne.
J'y lis mes regrets et Élise qui m'attend quelque part.
J'y lis ma souffrance et Élise qui cherche à m'apaiser.
Il y a...
Dans sa boîte à souvenirs, sur un morceau du même tissu qui a servi à l'étagère de Gaspard, il y a...
- une photo d'elle avec la grenouille que ma maman lui a tricotée et les chaussons que je lui avais tricotés
- un doudou-ours brodé à son prénom et offert par des amis de mes beaux-parents
- un doudou-lapin brodé à son prénom et sa date de naissance offert par le parrain de mon mari et son épouse
- un kaléidoscope rempli d'étoiles offert par la cousine de mon mari et son époux
- le papillon décoratif qu'il y avait parmi les premières fleurs posées sur sa tombe
- le petit écriteau décoratif avec son prénom qu'il y avait parmi les premières fleurs posées sur sa tombe
- le double de son bracelet de naissance
- la même étoile que nous avons posée tout en haut de notre sapin de Noël et que nous avons offerte à nos parents, frères et belle-sœur pour leurs sapins de Noël
- une branche de bruyère et un caillou de la première composition florale que nous lui avons déposée
- l'enveloppe avec ses empreintes prises peu après sa naissance
- l'album Starmyname à son prénom - le même que son frère
- les cartes qui lui sont adressées : mon frère et ma belle-sœur, une amie de mes beaux-parents, une amie et son époux, le cousin de ma mère, son épouse et sa fille
- un exemplaire du faire-part
- le journal municipal de notre ville où elle et son frère figurent dans la rubrique Naissances
- le body que la tante de mon mari avait acheté pour elle avant que l'on ne sache qu'elle ne viendrait pas au monde vivante
- la pochette dans laquelle se trouvait le bracelet-étoile que mon mari m'a offert à Noël "au nom d'Élise"
- la boule à neige-ange que des amis nous ont offerte
- une rose séchée du jour de son enterrement
- le coffret des pompes funèbres avec ce qui me relie au jour de son enterrement, ce 23 septembre : les cartes qui accompagnaient les fleurs, mon autorisation de sortie provisoire de l'hôpital, les tickets de péage, le texte qui a été lu
- ses petites Converse - les mêmes que son frère
- le courrier que nous avons reçu de la part du PDG de l'entreprise de mon mari et qui mentionne aussi bien Élise que Gaspard
- le DVD des photos d'Élise en salle de naissance
- le sac plastique rayé blanc et bleu dans lequel sa grenouille a patienté cet été en attendant de la rejoindre et que je n'ai pu me résoudre à jeter
- le double des vêtements qu'elle porte : un body blanc, une robe gris clair avec de petites étoiles blanches brodées, une culotte assortie à sa robe, des soquettes blanches, les chaussons roses apportés par ses grands-parents paternels et le bonnet rose tricoté par sa grand-mère maternelle
- le bonnet rayé blanc et gris tricoté par ma mère, qu'elle portait à sa naissance, qu'elle portait lors de l'autopsie, qui porte des traces de son sang et que je ne laverai jamais
Et toute ma vie je continuerai à remplir sa boîte, avec tout ce qui me fera penser à elle...
"Joyeux Noël et bonne année !"
"Joyeux Noël !" - "Bonne année !"... Quatre mots, deux vœux que j'appréhendais... Les fêtes ont été compliquées, mon cœur était lourd, les larmes ont coulé et, même si j'ai été heureuse de les passer avec les personnes qui comptent le plus pour moi, je suis soulagée qu'elles soient maintenant derrière nous.
Pour 2013, nous espérions devenir parents. Nous le sommes... à quel prix ! Alors pour 2014, je ne nous souhaite rien. Rien d'autre que de trouver la force de donner à Gaspard la chance de s'épanouir. Rien d'autre que de perpétuer, inlassablement, la chimérique existence d'Élise. Rien d'autre que de continuer à être les parents "à part" que nous sommes devenus, puisque mon vœu le plus cher ne sera jamais exaucé.
Aujourd'hui, pour fêter la nouvelle année, la newsletter d'Etam m'a proposé de "revivre tous les moments forts de 2013". Si ça ne les ennuie pas, je vais passer mon tour.
Aujourd'hui, quelqu'un de notre famille qui connaît notre histoire nous a souhaité une année 2014 "aussi bonne que 2013". C'était un de ces sms standard envoyés à tout le monde pour faire court, efficace et impersonnel. Dans la plupart des cas, ça passe. Dans la plupart des cas...
2013
Je me revois le 31 décembre 2008, à nous souhaiter, avec enthousiasme, un bébé pour l'année à venir.
Je me revois le 31 décembre 2009, à nous souhaiter, avec impatience, un bébé pour l'année à venir.
Je me revois le 31 décembre 2010, à nous souhaiter, avec désillusion, un bébé pour l'année à venir.
Je me revois le 31 décembre 2011, à nous souhaiter, avec résignation, un bébé pour l'année à venir.
Je me revois le 31 décembre 2012, à nous souhaiter, avec lassitude, un bébé pour l'année à venir.
Il y a 365 jours, je croyais que notre parcours d'AMP serait l'épreuve la plus difficile sur notre chemin de la parentalité.
Il y a 365 jours, je faisais confiance à la vie.
Il y a 365 jours, je croyais que seul le meilleur, aussi peu pressé fût-il, nous attendait.
Je ne veux pas changer d'année.
Comme si quitter 2013, c'était quitter encore un peu plus Élise, la laisser sur le bord du chemin.
Comme si je laissais Élise dans un autre espace-temps.
Comme si être en 2013, c'était être avec Élise et qu'être en 2014, ce sera s'éloigner d'elle.
Comme si changer d'année me forçait à tourner une page que je ne suis pas prête à tourner.
St Gaspard
Samedi, nous étions le 28 décembre, jour de la Saint-Gaspard. Pour fêter cela, nous sommes allés boire un verre dans le salon cosy d'un hôtel quatre étoiles que nous aimons particulièrement, près de là où est enterrée Élise. Nous verrons où nous nous trouverons les prochains 28 décembre mais j'aimerais instaurer ce rituel de passer un moment privilégié dans un endroit agréable...
Alors que j'avais Gaspard dans les bras, une dame s'est approchée de nous avec sa petite fille pour lui montrer qu'elle aussi avait été si petite. Lorsqu'elles ont finalement passé leur chemin, nous l'avons entendue appeler sa petite fille qui s'éloignait un peu trop : "Élise ! Élise !". Un signe de plus, sans doute.
Le premier
Le premier Noël depuis que vous êtes arrivés sur terre.
Le premier Noël de Gaspard et Élise.
Le premier Noël avec Gaspard.
Le premier Noël sans Élise.
Un jour qui cristallise mon bonheur autant que ma détresse.
Je t'aime Gaspard.
Je t'aime Élise.
Évidemment - France Gall

Y a comme un goût amer en nous
Comme un goût de poussière dans tout
Et la colère qui nous suit partout
Y a des silences qui disent beaucoup
Plus que tous les mots qu'on avoue
Et toutes ces questions qui ne tiennent pas debout
Évidemment
Évidemment
On danse encore
Sur les accords
Qu'on aimait tant
Évidemment
Évidemment
On rit encore
Pour des bêtises
Comme des enfants
Mais pas comme avant
Et ces batailles dont on se fout
C'est comme une fatigue, un dégoût
À quoi ça sert de courir partout
On garde cette blessure en nous
Comme une éclaboussure de boue
Qui ne change rien et qui change tout
Évidemment
Évidemment
On rit encore
Pour des bêtises
Comme des enfants
Mais pas comme avant
Pas comme avant
Toutes ces choses que je ne dirai pas...
... parce que ce n'est pas vrai
Tout va bien, Papa Maman te protègent.
Lorsque Gaspard pleure "sans raison" (au chaud, le ventre plein, les fesses propres, etc.) et a besoin d'être rassuré, je n'arrive pas à lui dire qu'il n'a rien à craindre parce que je sais que ce n'est pas vrai. Je sais qu'être parent et aimer son enfant au-delà de tout ne suffit pas. Je ne peux m'empêcher de penser que je n'ai pas su protéger Élise alors pourquoi y arriverais-je davantage avec Gaspard ?...
Mercredi dernier, j'ai été prise de vertiges et de maux de tête soudains et durables. Le médecin qui m'a examinée en fin de matinée a préféré m'envoyer aux urgences pour un bilan complet et une prise en charge adaptée : analyse de sang, perfusion, scanner, consultation en neurologie et en ORL. Les possibles causes les plus fréquentes et les plus graves ont été écartées, on m'a laissée rentrer chez moi en toute fin de soirée en m'assurant que les symptômes disparaitraient très probablement d'eux-mêmes en quelques jours, ce qui s'est confirmé puisque depuis dimanche je suis en aussi "bonne" forme qu'avant mercredi.
Mais ces quelques jours où je n'ai pas pu m'occuper de Gaspard, par manque de force et en raison de l'incompatibilité entre l'allaitement et la perfusion, m'ont un peu ébranlée. Pour presque rien, je ne pouvais plus, sans prendre de risques, tenir Gaspard dans mes bras et le nourrir. Cette frustration m'a un peu plus rappelé que devenir parent, c'est devenir impuissant.
... parce que je n'y crois pas
On me souhaite souvent du courage pour traverser cette épreuve.
Peut-être un jour verrai-je les choses ainsi mais pour l'instant il me paraît inconcevable que je puisse un jour traverser l'épreuve de la perte d'Élise, comme s'il devait y avoir une fin. La fin de cette épreuve ne pourra coïncider qu'avec ma propre fin.
... parce que je n'en aurai pas l'occasion
Extrait du livre "Bébé est mort". Le livre en lui-même est difficile à lire, non par le contenu, mais par l'approche, le style, le niveau d'abstraction et de distanciation. Cet extrait m'a en revanche bouleversée jusqu'aux larmes en verbalisant ce que j'avais au fond de moi sans l'avoir encore exprimé.
La petite fille est morte. Jamais sa mère ne lui dira ce que c'est que d'être enceinte et que d'attendre un bébé. Il n'y eut pas le temps de ces paroles. Voilà ce dont est privée une maman au décès de sa si petite fille : elles ne parleront pas, entre femmes, des choses de la vie des femmes en leur corps. À toutes deux cela aura manqué.
Ce lien si riche, si précieux que ma mère et moi avons créé, jamais je ne pourrai le créer avec Élise.
3 mois
Hier, cela a fait trois mois que ton cœur s'est arrêté...
Ironie du sort, coïncidence, masochisme ? C'est également hier que j'ai trouvé le temps de ranger et classer tous les documents de la grossesse : analyses de sang, échographies, caryotype, étude pangénomique, accouchement, autopsie...
Comme une façon de reprendre l'histoire depuis le début pour un jour tourner cette page, sans jamais refermer le livre, je me suis replongée dans ces documents, un à un.
J'ai à nouveau ressenti chaque émotion, une à une.
J'ai revécu chaque étape, une à une.
L'excitation.
L'inquiétude.
La confiance.
La claque.
L'espoir qui se transforme en peau de chagrin.
L'électrochoc.
La prise de décision.
L'attente, mêlée d'impatience, d'angoisse et d'envie d'arrêter le temps.
La préparation de ton arrivée.
Ton départ.
Ton arrivée et celle de ton frère.
L'adieu.
La réalité en pleine face.