Naissance de Hector
Mon séjour à la maternité a duré moins longtemps pour Hector que pour Élise et Gaspard ; j'ai par ailleurs vécu de plein fouet le fameux baby-blues dès le mercredi soir (Hector étant né un lundi soir), ce qui m'a rendue très émotive et donc peu disponible pour autre chose que Hector ou moi. Ainsi, je n'ai pas eu autant d'occasions que je l'aurais souhaité de coucher sur le papier ce que nous venions de vivre et les émotions qui m'habitaient immédiatement autour de cette naissance.
J'ai commencé à ressentir des contractions de plus en plus intenses et rapprochées le samedi 7 février. Le dimanche soir, j'ai même perdu un peu de sang, ce qui m'a conduite à téléphoner aux urgences maternité du CHU où je suis suivie pour m'entendre dire qu'il s'agissait probablement du col qui commençait à se préparer un peu ou de la perte du bouchon muqueux.
Le lendemain matin, le lundi 9 février donc, les contractions étaient toujours aussi présentes. J'ai passé la matinée allongée alternativement dans le lit, le canapé et un bon bain chaud, histoire d'essayer de me dé-contracter. Mon mari est rentré déjeuner comme tous les midis et m'a trouvée à moitié contorsionnée à chaque contraction. En début d'après-midi, à 14h49 exactement (je le sais, mon appel figure encore dans l'historique de mon téléphone ^^), ayant constaté que les contractions, en plus d'être douloureuses, étaient espacées de moins de cinq minutes, j'ai téléphoné aux urgences maternité où l'on m'a conseillé de venir leur rendre une petite visite.
Le temps de prévenir mon mari, de finaliser les affaires de Gaspard, d'aller le récupérer à la crèche et de le déposer chez ma belle-sœur (qui était par chance en congé ce jour-là), mon mari et moi avons dû arriver au CHU vers 16h30.
Prise en charge aux urgences maternité, monitoring, examen clinique... et finalement, vers 17h30, LA petite phrase tant attendue : "on vous garde". Ouf ! Contrairement à ce que je craignais, il s'agissait bien de contractions d'accouchement et non d'un faux travail.
La sage-femme qui nous prend alors en charge s'appelle Aurélie ; je la connais déjà puisque c'est elle qui s'est occupée de moi en unité kangourou après la naissance d'Élise et Gaspard. Elle est douce, gentille, prévenante et au courant de notre histoire particulière. Que demander de plus ?
Je ne me souviens plus du timing exact mais je me rappelle que l'anesthésiste n'a pas tellement tardé à venir me poser la péridurale. Je me rappelle surtout son humour décalé, pince-sans-rire, qui pourrait même en vexer plus d'un. Heureusement, je suis sur la même longueur d'ondes que lui et rentre dans son jeu.
Petit florilège :
- Selon lui, la péridurale n'est pas nécessaire puisque je ne semble pas souffrir tant que ça. C'est que je sais me tenir, moi, Môssieur ! Rester digne en toutes circonstances, tel est mon credo.
- Il m'interroge sur ma gestité. Je lui résume ma première grossesse en quelques mots. Et lui de s'exclamer : "et à part des enfants, vous faites quoi dans la vie ?"
- D'où la question suivante, quand je lui apprends que je travaille dans la traduction : "vos parents sont étrangers ?". Non, non, mes parents sont franco-français. "Ah oui, des ploucs de base, quoi". "Oui, comme vous et moi."
Bref, une fois la péridurale posée, Aurélie m'examine de temps en temps et se montre à la fois inquiète et rassurante : Hector n'est pas très bien positionné, il regarde vers le haut, mais l'examen clinique laisse penser que je pourrais accoucher assez rapidement, d'ici 21h00.
Peu avant la fin de son service, Aurélie nous informe qu'elle ne pourra pas pas terminer l'accouchement avec nous et qu'elle va devoir passer le relais. À tout hasard, nous lui parlons de Franck. Quelques minutes plus tard, elle revient avec une nouvelle qui nous ravit : Franck est de service ce soir et va pouvoir s'occuper de nous ! L'accouchement touche à sa fin, nous ne passerons que quelques petites heures ensemble mais nous sommes heureux de le retrouver.
Hector continue à faire des siennes en regardant vers le haut. Franck me fait changer de position pour l'aider à se placer naturellement dans la bonne position.
En parallèle, le monitoring révèle que Hector commence à souffrir du travail : son rythme cardiaque ralentit considérablement à chaque contraction. Franck prélève alors sur son crâne de quoi tester ses lactates (et nous informe au passage que "c'est pas la fête du cheveu" ^^) afin de confirmer ou infirmer le manque d'oxygène dont semble souffrir Hector. Le taux se révèle rassurant à ce stade de l'accouchement.
Un peu plus tard, alors que Franck revient m'examiner pour voir où en est la dilatation de mon col,je me fais gentiment rappeler à l'ordre car il semblerait que j'aie légèrement abusé de la péridurale : je n'arrive pas à bouger seule mes jambes et mon bassin. "Va falloir se calmer un peu". Bien, chef ! À ma décharge, quand on me dit de ne pas hésiter à appuyer, eh bien je n'hésite pas à appuyer...! ^^
Franck nous annonce ensuite que c'est pour bientôt. Là encore, je ne me souviens plus du timing exact mais, alors que Franck craignait de devoir recourir aux forceps pour sortir Hector en raison de sa mauvaise position, ce dernier a finalement eu la bonne idée de se retourner de lui-même.
Quelques poussées plus tard, Hector pointe le bout de son crâne et mon mari peut alors, comme Franck le lui avait proposé et comme il le souhaitait, finir de le sortir lui-même, avant de couper son cordon, comme pour Élise et Gaspard. Hector met un peu de temps à réagir, il semble légèrement sonné, l'accouchement a été éprouvant pour lui, ce que nous confirme Franck après avoir à nouveau testé ses lactates : il était temps que Hector sorte car il commençait véritablement à manquer d'oxygène. Comme quoi, tout peut basculer à n'importe quel moment, même quand la grossesse s'est parfaitement déroulée... Petite frayeur a posteriori donc, heureusement vite balayée par la confirmation de Franck : Hector va très bien.
Pendant que je reprends mes esprits, mon mari en profite pour accueillir Hector par une petite séance de peau-à-peau, avant que je ne l'accueille à mon tour par la "tétée de bienvenue".Ensuite, alors que Franck répare la petite déchirure que j'ai paraît-il subie, mon mari habille Hector avec l'aide de l'auxiliaire de puériculture. La taille "naissance" est vite écartée : Hector enfile directement la taille "1 mois", là où Gaspard a porté pendant quelque temps la taille "prématuré" et où Élise n'a porté que du naissance, puisque nous n'avons pas trouvé de vêtement (et non un pyjama) en taille "prématuré" pour elle.
Arrive ensuite le moment pour Hector, mon mari et moi de rejoindre la chambre et de quitter Franck, à regrets mais avec le bonheur d'avoir partagé avec lui tous ces moments si forts.
Psychiatre - Non-épisode 4
Lors du dernier rendez-vous avec la psychiatre, auquel mon mari a assisté, j'ai eu le sentiment de tourner en rond : rien de nouveau n'a été dit ni envisagé. C'est pourquoi je n'y ai pas consacré de billet spécifique, contrairement aux deux premiers.
Je crois que le discours de mon mari l'a rassurée. J'ai pourtant l'impression qu'il n'a fait que répéter ce que je lui avais déjà dit moi-même mais sans doute qu'une nouvelle fenêtre sur ma vie et mon état lui aura permis d'avoir plus de certitudes sur moi.
Elle est toutefois restée sur son idée de traitement, sans chercher à me l'imposer pour autant.
Nous étions convenues de nous revoir la semaine prochaine, elle et moi. Mais depuis deux semaines, j'ai compris que ces rendez-vous me font plus de mal que de bien, ne m'aident pas et auraient plutôt tendance à me faire replonger.
J'ai donc décidé d'une part de ne pas prendre de traitement anti-dépresseur, d'autre part de carrément arrêter de voir cette psychiatre. Je me contenterai de nos rendez-vous avec la psychologue.
Je viens de lui expliquer ma décision par téléphone.
Je me sens soulagée. Comme si mon deuil redevenait normal, comme si je reprenais un semblant de contrôle dessus.
Psychiatre - Épisode 2
Lundi dernier, j'ai à nouveau rencontré le Dr Terranova. Le calendrier a voulu que ce rendez-vous vienne conclure une semaine de dates particulières :
- le 18 mai : l'anniversaire de mon mari, que l'on avait fêté à presque quatre en 2013 en pensant qu'on serait bel et bien quatre un an plus tard, mais aussi les huit mois du décès d'Élise,
- le 19 mai : les huit mois des grumeaux,
- le 23 mai : les huit mois de l'enterrement d'Élise,
- le 24 mai : le premier anniversaire de ce jour où notre vie a basculé,
- le 25 mai : la fête des mères où mon cœur de maman était encore plus coupé en deux.
Alors forcément, dans le cabinet de la psychiatre, on ne peut pas dire que j'étais en pleine forme.
Contrairement à ce que j'avais cru comprendre, je n'ai pas rencontré la psychologue qui devait nous accompagner à domicile ; ce nouvel entretien s'est déroulé en tête-à-tête avec le Dr Terranova.
Elle a rapidement vu et senti que j'allais moins bien que la dernière fois. J'ai essayé de lui donner une explication rationnelle (la succession récente de toutes ces dates) à la dégradation de mon état mais ça ne lui a pas suffi. L'entretien a beaucoup tourné autour de la culpabilité cette fois. Parce que la culpabilité vous dévore, vous ronge de l'intérieur - elle est insidieuse et s'insinue partout.
Je culpabilise d'avoir tué Élise.
Je culpabilise de ne pas toujours penser à Élise.
Je culpabilise par rapport à Gaspard. D'ailleurs, dimanche dernier - jour de la fête des mères, j'étais tellement mal que j'ai fait un énorme câlin à Gaspard au moment de le coucher. Moi-même je sentais bien que je perdais pied à ce moment-là, je l'embrassais et le caressais en repensant à Élise et à ces mêmes gestes que je n'avais pu faire que quelques fois à peine avec elle. Et comme par hasard, alors que Gaspard dort entre 12 et 14 heures, cette nuit-là, il s'est réveillé six fois - comme si je l'avais perturbé, comme si je lui avais communiqué mon mal-être, comme s'il avait absorbé ma détresse. Je sais bien qu'on peut trouver mille explications à la mauvaise nuit d'un bébé mais vous ne m'ôterez pas de la tête que j'y suis nécessairement pour quelque chose.
Je culpabilise de ne visiblement pas réussir à m'en sortir toute seule.
Je culpabilise quand je me dis que rien ne pourrait être pire que l'absence d'Élise et que cette absence est de notre faute. En même temps, peut-on commettre un tel acte sans le payer toute sa vie ?
Je culpabilise quand j'imagine qu'un accident ou une maladie pourrait laisser Gaspard dans l'état végétatif qui aurait été celui d'Élise à la naissance : et pourtant, si ça arrivait, on ne tuerait pas Gaspard alors pourquoi n'avons-nous laissé aucune chance à Élise ?
Et c'est la nature de nos échanges qui lui a fait réviser son jugement quant au traitement médicamenteux, puisqu'elle m'a avoué qu'elle se posait la question, alors qu'elle l'avait exclu lors de notre premier entretien. Je lui ai rappelé que je n'y étais pas favorable a priori, pas plus que mon mari. Elle m'a alors expliqué qu'il s'agirait de toutes façons d'un traitement léger, qui ne m'abrutirait pas et qui ne modifierait pas mon comportement.
Elle a notamment insisté sur l'importance des premiers mois de vie de Gaspard et la nécessité qu'il bénéficie d'un environnement équilibré pendant cette période de sa vie en particulier.
Elle a précisé que c'était la notion de culpabilité qui ressortait de mes propos qui l'incitait à se poser la question. Elle m'a expliqué que la culpabilité est l'un des symptômes de la dépression. Voilà, le mot est lâché - le mot qui fait peur, le mot qui fait fuir. Je lui ai demandé si cette culpabilité n'était pas normale compte tenu de la décision que nous avions prise. Elle m'a alors fait comprendre (je ne me souviens plus de ses termes exacts) que, huit mois après, ce n'était pas tout-à-fait normal.
Je ne demande qu'à la croire et qu'à être aidée. Après tout, il paraît qu'elle s'y connaît, en deuil périnatal, d'un jumeau qui plus est.
Je dois à nouveau la rencontrer dans une dizaine de jours, accompagnée de mon mari cette fois, notamment pour discuter de l'opportunité de ce traitement.
Mais prendre des anti-dépresseurs, cela implique probablement que j'interrompe la relactation (je vous en reparlerai plus tard) et que nous fassions une croix sur notre espoir d'une nouvelle grossesse dans les semaines ou mois à venir.
Toujours est-il que, si elle me propose effectivement un traitement, ce ne sera pas pour moi mais pour Gaspard que je l'accepterai. Parce que je ne veux pas qu'il souffre de mon état. Car au final, le plus difficile à encaisser au sortir de cet entretien, c'est qu'il semble que je ne suis pas tout-à-fait à la hauteur pour m'occuper de Gaspard. Et si c'est comme ça que je suis censée lâcher prise par rapport à la culpabilité, c'est mal parti...
Psychiatre - Épisode 1
Le 13 mai dernier, j'ai eu mon premier rendez-vous avec le Dr Terranova, une psychiatre spécialisée dans toutes les questions autour de la périnatalité. Je n'attendais pas grand-chose de ce rendez-vous, il faut dire que ce n'est pas vraiment moi qui l'avais sollicité.
J'ai donc eu affaire à cette psychiatre et à un étudiant en médecine qui s'est contenté d'assister, sans y participer, à l'entretien.
Le Dr Terranova est sans doute "familière" de ma situation mais j'ose espérer que si, à la faveur de ce rendez-vous, cet étudiant a découvert (rayez les mentions inutiles) le deuil périnatal d'un singleton, le deuil périnatal d'un multiple, l'interruption médicale de grossesse et/ou l'interruption sélective de grossesse, il a compris des choses, s'est posé et se posera des questions et fera preuve d'humanité et de compréhension s'il est de nouveau confronté à ce type de drame au cours de sa carrière.
Le Dr Terranova m'a reçue dans son bureau de l'hôpital psychiatrique à quelques kilomètres de chez moi. L'hôpital en lui-même est "accueillant" (beaucoup d'espace, de la verdure) mais dans le bâtiment où l'on m'attendait, l'ambiance n'était plus à la flânerie. Tandis que le rez-de-chaussée est consacré aux hospitalisations, le service de consultations se situe au premier étage, à première vue accessible au public uniquement par un escalier. Je m'apprêtais donc à porter Gaspard dans sa poussette pour atteindre le premier étage lorsqu'une soignante m'a aperçue à travers la porte vitrée fermée à clef séparant le hall du service d'hospitalisation et m'a proposé d'emprunter leur ascenseur de service.
Pendant le court instant où la soignante a refermé la porte vitrée derrière moi et a attendu l'ascenseur à mes côtés, un patient hospitalisé qui traînait dans le couloir a fixé obstinément Gaspard du regard - un regard qu'il m'a été impossible de déchiffrer : attendrissement, folie ? Rien de tel pour vous mettre dans l'ambiance et pour vous faire douter à la fois - et c'est paradoxal - de la pertinence de votre présence et de votre propre état mental. Pour résumer, cette question n'a cessé de faire des allers-retours dans ma tête : qu'est-ce que je fais là ?
D'ailleurs, à la fin de l'entretien, après avoir hésité un court instant à me laisser redescendre seule, la psychiatre elle-même m'a raccompagnée jusque dans le hall, hors secteur hospitalisation, justifiant sa décision d'une seule phrase : "il y a quand même des malades en bas".
Une fois arrivée dans le bureau de la psychiatre, j'ai à peine eu le temps d'ôter mon manteau et de découvrir un peu Gaspard qu'elle m'a lancé sans préliminaires : "Racontez-nous". Raconter quoi ? La grossesse ? La descente aux enfers depuis le 24 mai 2013 ? L'accouchement ? Le retour à la maison ? Comment j'ai atterri dans ce bureau ? J'ai finalement essayé de lui présenter un résumé de quelques phrases couvrant tous ces évènements.
Quand j'ai eu fini, elle n'a pas enchaîné tout de suite en rebondissant sur ce que je venais de lui dire ou en creusant tel ou tel aspect. Il y a eu un blanc - le premier d'une longue série au cours de cet entretien. Dans l'ensemble, il y a eu moins d'échanges qu'avec la psychologue du CHU mais le contexte est différent : elle est psychiatre et pas psychologue et elle découvre l'histoire "après la bataille" et non au fil de l'eau.
Elle m'a finalement et tant bien que mal interrogée sur différents aspects, dans le désordre :
- Comment avions-nous accueilli l'annonce de la grossesse gémellaire ?
- Comment s'était passé le retour à la maison avec Gaspard ?
- Comment mon mari vivait-il la situation ?
- Comment allais-je ?
- Quelle relation avais-je avec Gaspard et quels sentiments éprouvais-je pour lui ?
- Est-ce que je sortais et est-ce qu'il m'arrivait de rester enfermée plusieurs jours de suite ?
- Avais-je toujours de l'appétit ?
- Comment était mon sommeil ?
- Avais-je toujours le goût pour les choses que j'aimais faire avant ?
Je lui ai également parlé spontanément :
- du manque d'Élise,
- de la culpabilité liée à la décision de l'ISG,
- des difficultés liées au deuil périnatal.
Parmi les exemples qu'elle m'a demandés par rapport à ce dernier point, j'ai évoqué la phrase de la médecin de la PMI mais sans préciser de qui elle venait. J'ai hésité - j'aurais dû mais je n'ai pas osé parce que je ne voulais pas l'incriminer. Pourtant je sais que :
- ce n'est pas à moi de prendre soin des autres en ce moment - en tout cas pas des "étrangers" et pas comme ça ;
- si j'avais été plus précise, elle lui en aurait peut-être parlé et cette médecin aurait peut-être fait moins de gaffes face à d'autres parents ayant perdu un enfant.
Après ces échanges laborieux, et comme je ne savais toujours pas ce qu'elle attendait que je lui dise et ce qu'elle cherchait à comprendre ou à savoir dans mes paroles, j'ai fini par être franche : "je ne sais pas pourquoi je suis venue, je ne sais pas quel est le but de ce rendez-vous". C'est là qu'elle m'a enfin expliqué que son rôle était de déterminer si ma souffrance était normale dans le contexte ou s'il y avait un état pathologique - dépressif, appelons les choses par leur nom - derrière tout ça.
Elle m'a tenu le même discours que la psychologue du CHU lors de notre dernier RDV en février : elle n'est pas favorable aux traitements médicamenteux en cas de deuil (moi non plus, ça tombe bien), elle les juge artificiels et estime qu'un état dépressif n'est pas rare en pareille situation et peut même être nécessaire. Elle a au moins l'air de comprendre que pleurer son bébé est normal, même plusieurs mois après, et ne semble pas encline à me gaver d'anti-dépresseurs.
En lieu et place de ce traitement qui n'était pas à l'ordre du jour, elle m'a proposé un accompagnement à domicile par l'un des membres de son équipe : psychologue, puéricultrice, infirmière psychiatrique, etc. Dans mon cas et compte tenu de ce que je lui ai dit, elle a estimé que la psychologue serait la plus adaptée. Nous sommes alors convenues de nous revoir une quinzaine de jours plus tard pour en rediscuter et - si j'ai bien compris - pour que je rencontre la psychologue avant qu'elle ne vienne chez nous.
Rendez-vous post-natal
Aujourd'hui, nous avions rendez-vous avec le Pr Verspyck pour la consultation post-natale.
Je redoutais autant que j'attendais impatiemment ce rendez-vous.
L'appréhension de revivre ce que nous avons vécu tant de fois avant et après ce fameux 24 mai : la route jusqu'au CHU, le parking, l'enregistrement de notre visite à l'accueil, l'attente du rendez-vous.
L'appréhension de revoir le Pr Verspyck, tellement indissociable de ma fille et de son destin.
L'appréhension de retourner là où nous avons passé tant de temps cette année, là où nous avons appris la plus belle des nouvelles et où on nous a fait la pire des annonces, là où mon fils est né et où ma fille est morte.
Je vous passe les détails de l'examen clinique et de la prescription de séances de rééducation périnéale. Rien de bien intéressant ou différent de toute autre jeune accouchée à ce niveau-là.
Lorsque le Pr Verspyck a abordé la contraception, nous l'avons informé que nous ne souhaitions pas en reprendre, sous-entendant que nous souhaitions remettre en route un bébé rapidement. Nous avons enchaîné en lui demandant quand nous devrions nous inquiéter que ça ne fonctionne pas, entre l'allaitement (même s'il ne protège pas à 100%) et notre parcours d'AMP. À défaut de répondre clairement à la question (mais nous avons l'habitude, à force de le "pratiquer"), il nous a dit que tout était possible : que je retombe enceinte spontanément (d'après lui, 10 à 15% des grossesses post-FIV sont naturelles) ou que l'on doive repasser par l'AMP. Nous l'avons toutefois senti sur la réserve par rapport à notre désir de nouvelle grossesse si rapide, il nous a demandé comment je réagirais si je tombais enceinte dès demain. Je lui ai répondu que ça ne poserait pas problème, ce qui l'a clairement laissé sceptique. J'ai conscience qu'il est encore tôt, que cette nouvelle grossesse serait compliquée émotionnellement mais je sais que mes prochaines grossesses seront inévitablement compliquées, qu'elles arrivent dans un mois, un an ou dix ans. Il n'a pu que nous inciter à prendre notre temps... La nature décidera peut-être de l'écouter puisqu'elle n'en fait qu'à sa tête depuis le début...
Nous avons également parlé d'Élise, évidemment. Je crois même que c'est surtout d'elle que nous voulions parler à l'occasion de ce rendez-vous. Il n'avait malheureusement pas les résultats complets de l'autopsie d'Élise, uniquement la première partie de l'examen macroscopique. Manquaient la deuxième partie de cet examen et l'examen histologique. Le Pr Verspyck a tenté de savoir si ces résultats étaient disponibles, en vain. Nous lui avons dit que nous souhaitions les récupérer lorsqu'ils seraient prêts ; nous l'avons senti réticent, par rapport à l'aspect technique et déshumanisé de ces comptes-rendus, mais nous avons insisté pour obtenir tout ce qui concerne Élise. Il a alors promis de nous envoyer le compte-rendu final.
En réponse à nos questions, le Pr Verspyck nous a informés que l'autopsie n'avait pour l'instant pas permis de déterminer la cause des malformations faciales et cérébrale d'Élise, ajoutant que, dans de tels cas de syndromes polymalformatifs avec caryotype normal, leur origine restait quasiment toujours inconnue. Pour résumer, en l'état actuel des connaissances scientifiques, une seule explication : "la faute à pas de chance". Il faut donc que nous nous fassions à l'idée de ne jamais savoir ce qu'elle avait ni dans quel état, moteur et mental, elle aurait été si nous l'avions laissée vivre. Égoïstement sans doute, j'espérais que le rapport d'autopsie nous "conforte" dans notre décision en nous confirmant qu'elle aurait vécu une vie dont nous ne voulions pas pour elle.
Avant de nous confier une copie du premier résultat à sa disposition, nous avons bien senti que le Pr Verspyck a essayé de nous préparer au type de contenu que nous allions y trouver. Je savais à quoi m'attendre, j'ai parfaitement conscience de ce qu'impliquent une autopsie et un rapport d'autopsie, ne fût-ce qu'à travers le prisme, sans doute déformant, des polars que j'ai lus et vus. Mais entre l'approche rationnelle et distante véhiculée par les romans et la réalité appliquée froidement à son propre enfant, il y a un monde. En lisant moi-même le premier compte-rendu macroscopique, j'ai compris que le Pr Verspyck s'était contenté des données les moins violentes et que nous connaissions déjà plus ou moins : terme, sexe, poids, taille, anomalies faciales. Ce sont les autres éléments (que mon mari et moi souhaitions absolument connaître, ne serait-ce que pour en savoir le plus possible sur elle et sur ce qu'ils lui "ont fait" ensuite) qui ont donné une nouvelle dimension à la réalité d'Élise...
"Nature du prélèvement : foetus."
"Il s'agit d'un foetus de sexe féminin, non macéré. Il est examiné à l'état frais."
"L'encéphale a été prélevé."
"Congélation : poumon."
On a beau savoir à quoi s'attendre, l'émotion est vive...
En un peu plus de deux mois, Élise s'était désincarnée, était devenue irréelle, immatérielle, presque chimérique. Elle avait fini par devenir, jusqu'à ce matin, une image, un souvenir, une pensée, parmi les plus précieux de ma vie. Je croyais, à tort, m'être préparée à ce rendez-vous qui lui a brutalement redonné un corps, qui lui a redonné, de façon éphémère, les traits d'une réalité qui s'était peu à peu éloignée et qui est condamnée à s'éloigner de nouveau, à jamais cette fois.
Retour en arrière - Épisode 5 - Bienvenue sur terre
Précédents épisodes ici, là, ici et là
Une fois le cœur d'Élise arrêté, Franck nous a laissés seuls quelques instants pour "digérer" et est revenu vers 13h00 pour la suite des opérations : commencer à déclencher, progressivement, les contractions. La dilatation du col s'est faite petit à petit dans l'après-midi et jusque dans la soirée.
Pendant ce temps, Franck a pris le temps de recueillir nos souhaits pour l'accouchement (le fameux "projet de naissance" tellement à la mode) et plus particulièrement l'accompagnement d'Élise : voir Élise et passer du temps avec elle avant l'autopsie mais ne pas la voir ni la prendre sur moi dès sa sortie, prendre Gaspard sur moi dès sa sortie, couper les deux cordons pour mon mari, garder le bracelet de naissance d'Élise (Franck en a donc préparé un deuxième exprès pour nous puisqu'elle devait partir avec le sien pour l'autopsie), prendre ses empreintes, l'habiller avec les vêtements que nous avions apportés pour elle. Il a également pris note de l'unique prénom d'Élise et des deux autres prénoms de Gaspard (Paul et Marceau). À partir de ce moment-là, lui et les deux sages-femmes qui l'ont relayé ensuite n'ont appelé Gaspard et Élise que par leurs prénoms ou en disant "votre fils" et "votre fille", et non plus "le petit garçon" ou "la petite fille". L'interne que j'avais vue plusieurs fois en UGP et qui a participé à l'ISG a pris la peine de venir nous souhaiter bon courage à la fin de son service.
Franck avait un petit espoir d'avoir le temps de m'accoucher lui-même avant la fin de sa garde, prévue à 20h30, mais mon col ne s'est pas dilaté assez vite. Il a donc pris soin de passer le relais à deux sages-femmes "au top" selon ses dires, ce qui s'est confirmé par la suite. Lorsqu'elles sont entrées dans la salle de naissance, seule l'étudiante sage-femme (en dernière année d'études) s'est présentée : Adeline. Sur le coup, je pensais tout simplement ne pas avoir entendu la sage-femme se présenter mais, lorsque j'ai appris son prénom quelques jours plus tard quand Franck est venu prendre de nos nouvelles, j'ai compris qu'il ne s'agissait ni d'un oubli de sa part, ni d'une absence de ma part mais bien d'une preuve de délicatesse puisqu'elle s'appelait... Élise ! Qui d'autre qu'une Élise pouvait mettre au monde mon Élise ?... En tout cas, Élise comme Adeline ont réellement été à la hauteur, au regard de l'accouchement en lui-même et du contexte si particulier.
Après plusieurs heures de contractions régulières et de plus en plus intenses, la sage-femme m'a annoncé à 23h00 que l'accouchement aurait lieu une heure plus tard mais, à 23h45, n'y tenant plus, j'ai demandé à "ce qu'on y aille", ce qu'ils ont accepté, mon col étant à dilatation complète depuis un moment et Élise étant engagée convenablement (ce qui n'était pas gagné au départ car elle était certes en présentation céphalique mais avait la tête trop relevée).
Nous savions qu'il y aurait du monde en salle de naissance puisqu'il s'agissait d'une grossesse gémellaire (sage-femme + étudiante sage-femme, gynécologue + interne en gynécologie, anesthésiste + interne en anesthésie, deux pédiatres) mais je n'ai prêté attention qu'aux sages-femmes et aux gynécologues qui m'ont guidée pendant l'accouchement. Mon homme a eu la délicatesse d'être présent, évidemment, mais de rester en retrait, puisqu'il sait que lorsque je fournis un effort, je déteste qu'on me soutienne ou qu'on m'encourage par des paroles ou des gestes. Seules les sages-femmes trouvaient grâce à mes yeux en ces instants douloureux.
Le temps que l'équipe s'installe, j'ai dû commencer à pousser vers 23h55 mais il m'a fallu quelques poussées pour bien comprendre comment faire. Les poussées allaient toujours par trois, que d'efforts à fournir pour enchaîner ces trois poussées à chaque fois ! J'ai dû laisser passer une contraction à trois ou quatre reprises afin de récupérer un peu. À un moment, je me suis relâchée émotionnellement et ai commencé à craquer (larmes, découragement, regret de la césarienne) mais je me suis fait violence pour poursuivre rapidement, de peur de ne pas réussir à terminer si je lâchais totalement prise. Au bout d'un moment, commençant à ressentir des choses au niveau de mon entrejambe sans savoir quoi exactement, j'ai hésité à demander à la sage-femme "si nous en étions encore loin", de peur qu'elle ne m'annonce encore un trop long chemin. Lorsque j'ai finalement posé la question, la sage-femme m'a répondu qu'elle voyait les cheveux d'Élise et qu'elle serait là en quelques poussées. Je crois bien que j'ai senti, dans ma chair, Élise finir de sortir. Il était 00h22. Le temps que les sages-femmes l'attrapent correctement, j'ai su que je voulais la voir immédiatement et non après l'accouchement, contrairement à ce que j'avais dit à Franck dans l'après-midi. La sage-femme a alors voulu poser Élise sur moi mais j'ai refusé : trop d'émotions venaient de me traverser et trop d'émotions m'attendaient encore. En revanche, je l'ai dévorée des yeux, loin d'être choquée par son visage, contrairement à ce que je redoutais. Elle avait un joli corps, fin, délicat, normal... inerte, sans vie, silencieux mais normal. Mon homme a pu couper le cordon comme il le souhaitait. Ils l'ont ensuite emmenée pour la préparer pendant la fin de l'accouchement, qui a été très rapide.
Après la rupture artificielle de la poche des eaux de Gaspard et grâce aux manoeuvres des gynécologues pour le positionner correctement (puisqu'il se présentait en transverse), j'ai senti Gaspard arriver, en à peine quelques poussées, cinq minutes après sa soeur. Après Élise, j'ai eu l'impression que Gaspard sortait "comme une lettre à la Poste". Mon homme a également pu couper le cordon avant qu'ils ne posent Gaspard sur moi pendant quelques minutes. Ils l'ont ensuite emmené pour s'occuper de lui pendant l'expulsion des placentas.
En effet, je sentais bien quelque chose à l'entrejambe : c'étaient les cordons encore reliés aux placentas et auxquels je ne pensais plus. Le premier placenta est sorti relativement facilement et rapidement mais le deuxième a nécessité une délivrance artificielle, dont les pressions répétées sur l'utérus sont réellement douloureuses, autant que les gestes de la révision utérine qui a suivi et pour laquelle l'étudiante sage-femme a dû insister. Elle a également dû appuyer à plusieurs reprises sur l'utérus, jusque tard après l'accouchement, pour en expulser tout le sang.
Une fois l'accouchement en lui-même terminé, ils ont ramené Élise en salle de naissance et nous ont laissés seuls avec elle et son frère. Nous avons ainsi pu faire des photos, plein de photos : d'Élise seule, d'Élise avec moi, d'Élise avec son papa, d'Élise et Gaspard avec moi, d'Élise et Gaspard avec leur papa, de nous quatre, des mains d'Élise, de nos mains avec les siennes, de ses pieds... Je savais que ces photos ne seraient pas toutes "réussies" mais l'essentiel était qu'elles existent et qu'elles viennent combler un minimum l'inévitable vide qui nous attend.
Au bout d'un moment, nous avons "libéré" Gaspard pour qu'ils l'emmènent en unité kangourou : compte tenu de sa prématurité (35 SA), Franck nous avait prévenus, dans l'après-midi, que lui et moi étions "éligibles" à l'unité kangourou, à condition que j'accepte d'être hospitalisée avec lui et aussi longtemps que lui, ce qui me semblait une évidence pourvu que je puisse bénéficier d'une autorisation de sortie pour enterrer Élise, ce dont Franck nous a assuré. Nous sommes restés quelques instants de plus seuls avec Élise, avant de nous résoudre à la quitter, plus de force que de gré puisque j'ai fait un début de malaise, ayant fourni trop d'efforts trop rapidement après l'accouchement.
L'étudiante sage-femme m'a alors préparée pour que nous puissions aller dans la chambre retrouver Gaspard : toilette, derniers contrôles et... suture ! C'est à ce moment-là que j'ai appris que j'avais subi une petite épisiotomie pour laisser sortir Élise. J'ai vraiment apprécié que l'équipe soit restée discrète (même mon mari ne s'est aperçu de rien) car je crois que cela ne m'aurait pas aidée de le savoir sur le moment. En revanche, j'ai bien senti la suture car la péridurale ne faisait plus effet et le spray anesthésique qu'ils ont vaporisé n'a pas complètement fonctionné. Une fois prête, vers 4h, ils m'ont emmenée dans ma chambre où nous avons retrouvé Gaspard pour une petite heure, avant qu'ils ne le reprennent pour nous laisser somnoler deux heures... avant d'affronter de plein fouet notre double réalité de parents heureux et désenfantés à la fois...
Tous les services... ou presque !
Depuis le début des essais bébés jusqu'à la naissance de mes grumeaux, et même si je me serais contentée de deux ou trois services, j'ai réussi à avoir le quinté du pavillon mère-enfant dans le désordre !
Au rez-de-chaussée :
- Consultations : fait
- Echographies : fait
- Urgences : fait
Au premier étage :
- Hospitalisation de jour : fait
- Grossesses pathologiques : fait
- Diagnostic anténatal : fait
- Assistance médicale à la procréation : fait
Au deuxième étage :
- Salles de naissance : fait
- Unité kangourou : fait
Retour en arrière - Épisode 4 - Mourir avant de naître
(Premier épisode ici)
(Deuxième épisode ici)
(Troisième épisode ici)
Nuit du mardi 17 au mercredi 18 septembre
Mon mari venant au CHU en métro, nous sommes piétons pour sortir nous changer les idées et le seul restaurant sympa que nous connaissons à proximité se situe à une vingtaine de minutes à pieds (compte tenu du rythme que m'impose mon bidon). Après une quarantaine de minutes de marche aller-retour, pas étonnant que j'aie eu beaucoup de contractions dans la soirée et en début de nuit. Je n'ai pas réussi à fermer les yeux avant 2h du matin, pour me réveiller vers 3h15, puis me rendormir jusque 4h30, heure à laquelle j'ai été réveillée par une brusque et importante sensation d'humidité qui s'est plus que confirmée le temps que j'arrive à la salle de bains. J'ai immédiatement appelé la sage-femme de garde (à qui j'avais déjà eu affaire à de nombreuses reprises pendant notre parcours d'AMP) qui a confirmé qu'il s'agissait bien cette fois de la rupture de la poche des eaux et non d'une simple suspicion comme le week-end précédent. Elle m'a alors donné de quoi rester à peu près au sec, m'a installé un monitoring pour vérifier que les grumeaux allaient bien, m'a fait une prise de sang et m'a mise sous antibiotiques pour prévenir toute infection. Elle a également prévenu l'interne de garde qui devait avertir le Pr Verspyck à son arrivée quelques heures plus tard. Elle a ajouté que, étant donné le contexte, il était probable que tout soit précipité afin d'éviter toute intervention dans l'urgence au cas où le travail se déclencherait spontanément dans les 48 heures.
Mercredi 18 septembre
Je n'ai bien sûr pas pu me rendormir mais n'ai prévenu mon mari que vers 6h30, histoire de le laisser faire une nuit correcte, même si je me doutais que son sommeil ne devait pas être plus serein que le mien. Il est arrivé au CHU moins d'une heure plus tard, tandis que le Pr Verspyck est passé nous voir dès son arrivée à 9h et nous a alors confirmé qu'il souhaitait "écouter la nature" et tout déclencher aujourd'hui. Une sage-femme nous a alors amenés en salle de naissance vers 9h30 et nous a informés que l'ISG et l'accouchement s'y dérouleraient. Un sage-femme, Franck, a alors pris le relais : c'est lui qui allait s'occuper de nous pour la journée. Il nous a annoncé l'ordre des évènements : pose de la péridurale (vu le tableau assez effrayant qui en est fait dans les médias, j'appréhendais un peu mais elle s'est parfaitement déroulée), ISG, déclenchement artificiel, accouchement.
Nous avons patienté jusqu'à l'arrivée du Pr Verspyck et de l'interne, vers 11h30, pour l'ISG.
Mon mari et moi nous demandions si nous souhaitions voir l'échographie en cours d'ISG pour dire au-revoir à Élise mais nous n'avons finalement pas eu de questions à nous poser car ils nous ont isolés derrière un champ opératoire placé sous ma poitrine, comme pour une césarienne. Par ailleurs, pendant toute l'intervention, le Pr Verspyck, l'interne et Franck ont eu la délicatesse de chuchoter. Nous avons donc été épargnés autant que possible pendant ce moment si particulier, le Pr Verspyck se contentant d'annoncer, ce mercredi 18 septembre 2013 à 12h15 : "le bébé est décédé".
Il nous a ensuite simplement prévenus juste avant de procéder au drainage du cerveau d'Élise.
J'avais peur d'être secouée de sanglots pendant l'acte, au risque de gêner la précision nécessaire des gestes, mais j'ai finalement réussi à prendre à peu près sur moi, ne ressentant que le besoin de prendre quelques grandes inspirations.
A l'annonce du décès d'Élise, j'ai demandé à mon mari s'il avait pu lui dire au-revoir dans sa tête et dans son cœur, il m'a répondu que oui.
C'est seulement une fois l'ISG terminée que j'ai fondu en larmes...
Une fois que nous nous sommes retrouvés seuls à nouveau, j'ai demandé à mon mari s'il pensait que nous avions bien fait, il m'a répondu qu'il ne fallait plus se poser la question.
Retour en arrière - Épisode 3 - Du 16 au 17 septembre 2013
(Premier épisode ici)
(Deuxième épisode ici)
Lundi 16 septembre
On me fait la prise de sang pour le bilan hépatique.
Le Pr Verspyck passe dans la matinée et m'examine : le col est ouvert à 2 doigts mais reste tonique. Il prévoit alors une échographie dans l'après-midi ou le lendemain pour vérifier où en est la dilatation d'Élise.
Dans l'après-midi, j'apprends que mon bilan hépatique est normal, il ne manque plus que les résultats des acides biliaires qui doivent être disponibles le lendemain.
Comme convenu, la psychologue nous rend visite et, même si elle me fait toujours pleurer, elle parvient toujours à trouver les mots et à m'apaiser.
Une sage-femme nous informe que des lits d'appoint sont disponibles pour les accompagnants, nous prévoyons donc d'en demander un pour mon mari pour mercredi et/ou samedi soir.
Mardi 17 septembre
Mes acides biliaires sont normaux, toute pathologie hépatique est donc écartée : tous ces petits dérèglements sont probablement liés à la fin de la grossesse et à la gémellité.
Nous avons attendu le Pr Verspyck toute la journée, il est finalement venu nous chercher en fin d'après-midi pour l'échographie : alors que Gaspard continue à bien grandir (son poids est estimé à 2,4 kg), la dilatation d'Élise a elle aussi continué à évoluer... Le Pr Verspyck ne nous a pas donné de chiffre mais j'ai vu à l'écran que son périmètre crânien était de 35 cm... Il nous a simplement fait remarquer toute l'eau qu'elle avait dans le cerveau et qu'on ne distinguait plus du tout les structures cérébrales...
Après l'échographie, le temps que le Pr Verspcyk aille chercher notre dossier, mon mari m'a dit que, d'après la tête qu'il faisait pendant l'examen, il allait sûrement nous annoncer une date pour l'ISG. Il avait vu juste car, à son retour, après nous avoir résumé l'échographie en trois phrases, le Pr Verspcyk nous a parlé de pratiquer l'ISG le lundi suivant, le 23 septembre. Je lui ai fait préciser "l'ISG et l'accouchement dans la foulée", il a confirmé sans préciser le délai entre les deux.
Le Pr Verspyck m'a demandé quel mode d'accouchement je préférais, la voie naturelle étant encore possible selon lui. Comme j'avais eu le temps d'y penser, je lui ai dit que, même si ce serait probablement plus dur psychologiquement sur le coup, je préférais effectivement la voie basse à la césarienne, afin de me remettre plus facilement et plus rapidement. En plus, cela permettra à mon mari d'être assurément présent pendant l'accouchement, ce qui n'était pas garanti en cas de césarienne, et cela posera moins problème pour les prochaines grossesses.
Quelques minutes après notre retour dans la chambre, une sage-femme est venue nous informer que je pouvais aller dîner à l'extérieur si nous le souhaitions, suite à l'annonce du Pr Verspyck : nous avons accepté immédiatement, histoire d'essayer de nous changer les idées un minimum. Elle a également précisé que, tous mes examens étant redevenus normaux, il n'y avait plus de raison de me faire trois monitorings par jour et qu'un seul suffisait, si cela me convenait. J'ai accepté également, me disant que j'en demanderais un le dimanche soir ou le lundi matin.
En sortant de la chambre, nous avons croisé une autre sage-femme qui nous a dit qu'ils avaient prévenu la psychologue mais qu'elle ne pourrait passer que le surlendemain (ce qui nous allait très bien car cela nous laissait le temps de digérer un peu l'annonce avant d'en parler, de verbaliser).
Nous avons alors compris que le Pr Verspyck avait informé toute l'équipe de l'imminence de l'ISG et que le "réseau d'accompagnement" était déjà en marche, en quelques minutes à peine. Cela ne change rien à la situation ni à notre douleur mais un tel soutien et une telle prévenance font du bien.
Ce n'est pas arrivé souvent depuis le 24 mai mais mon homme a craqué dans la chambre, juste après l'annonce de Verspyck...
Au restaurant, la discussion a évidemment tourné autour de la grossesse et de la fin qui approche. Nous nous sentions abattus, comme si nous avions reçu un coup de massue sur la tête. Depuis que notre décision est prise, on essaie de se préparer à l'ISG, on sait que ce n'est qu'une question de temps, que ça ne va pas tarder mais ça fait forcément quelque chose d'avoir une date précise, de se dire que le compte à rebours a commencé, de comprendre que les projections qu'on se fait depuis un moment vont bientôt devenir réalité...
En vrac, quelques réflexions qui me sont passées par la tête :
- C'était notre dernier restaurant à quatre ce soir, la dernière fois qu'Élise "mangeait" en dehors de l'hôpital...
- Les grumeaux seront Balance finalement, ce qui prouve bien que l'astrologie est vraiment n'importe quoi : à quelques jours ou même heures près, sur simple décision médicale ou peut-être sur notre souhait, ils auraient pu être Vierge. Mais Balance, c'est pas si mal pour des jumeaux.
- Je me pose des questions "techniques" ou "logistiques" sur l'ISG et l'accouchement : où aura lieu l'ISG, est-ce que je changerai de pièce entre l'ISG et l'accouchement, est-ce que je vais sentir la différence entre Élise et Gaspard au niveau vitalité et mobilité des bébés lors de l'expulsion, est-ce qu'ils vont nous laisser au moins quelques minutes pour "accepter" l'ISG avant de déclencher l'accouchement ? Mais je ne veux pas les poser car je ne veux pas trop me projeter.
- Finalement, même si je sais maintenant que je ne veux pas garder Élise morte trop longtemps dans mon ventre, j'aimerais que l'ISG et la naissance n'aient pas lieu le même jour.
Retour en arrière - Épisode 2 - Du 12 au 14 septembre 2013
Jeudi 12 septembre
Après une très mauvaise nuit, mon état psychologique ne s'est pas amélioré et mon inquiétude liée à l'absence de mouvements des grumeaux a empiré. Nous avons donc convenu avec mon mari, avant qu'il ne parte au travail, que j'appellerais l'UGP vers 9h pour avoir leur avis.
Finalement trop inquiet, mon mari est revenu du travail peu avant 9h et a appelé lui-même l'UGP, où on lui a conseillé de m'amener aux urgences maternité.
J'ai été prise en charge immédiatement : analyse d'urine, prise de sang, monitoring, échographie. Les grumeaux sont bien mobiles tous les deux et ont du liquide en quantité satisfaisante : je me demande donc s'ils ne bougeaient vraiment pas, si je "psychotais" et si mon état psychologique ne m'empêchait pas de les sentir, si ma non-percetion de leurs mouvements n'était pas psycho-somatique ou si je ne me suis pas "inventé" une raison valable - à mes yeux - de revenir au CHU. Toujours est-il que la médecin m'a rassurée : quelle qu'en soit l'origine, le fait de ne plus sentir bouger ses bébés est un motif de consultation légitime pour lequel leur procédure est de garder la patiente 24h sous surveillance. En attendant qu'une chambre se libère, quelques heures plus tard, à l'UGP, nous avons "quartier libre" jusqu'en début d'après-midi.
A notre retour dans le service, on m'installe et on me demande de faire un recueil d'urines sur 24h car, en plus d'un problème avec mes enzymes hépatiques, mes analyses du matin ont révélé la présence d'albumine dans mes urines et une tension "subnormale" : on suspecte alors un début de pré-éclampsie, ce qui constitue un motif de plus de me garder en observation et finit de légitimer à mes yeux mon retour en UGP. A ce stade, je n'ai pas envie de rentrer chez moi et préfèrerais pouvoir rester à l'hôpital jusqu'au lundi suivant, jour où je devais faire un bilan complet avec le Pr Verspyck et rediscuter des prochaines étapes.
Vendredi 13 septembre
En début de matinée, alors que mon mari est déjà à mes côtés, nous croisons le Pr Verspyck qui confirme que nous avons bien fait de revenir et qui nous annonce qu'il passera nous voir dans la journée.
Le vendredi, les visites du service sont assurées par le Pr Marpeau, que nous n'avons jamais rencontré mais dont nous avons entendu plutôt du bien : selon lui, il n'y a plus de gros risques pour Gaspard mais il n'y a pas d'urgence pour autant, sauf si la pré-éclampsie se confirme et s'aggrave. Il préfère donc "ne pas se prononcer" sur la conduite à tenir pour nous laisser voir cela avec le Pr Verpsyck qui nous connaît mieux.
Le monitoring suivant est normal mais mes tensions restent au-dessus de la moyenne et on suspecte une cytolyse hépatique.
En début d'après-midi, une sage-femme nous informe que le Pr Verspyck est parti voir si une salle de naissance est libre pour pouvoir pratiquer l'interruption de grossesse rapidement et qu'il doit venir nous voir. Cette annonce nous prend plus qu'au dépourvu, mon mari et moi restons sans voix : nous savons que l'échéance se rapproche inéxorablement mais nous ne sommes pas prêts, en tout cas pas avec si peu de temps pour nous préparer.
En attendant de voir le Pr Verspyck, nous recevons la visite de la pyschologue, qui ne pouvait pas mieux tomber. Nous lui parlons de l'annonce que la sage-femme vient de nous faire et nous lui disons que, en plus d'être pris au dépourvu, nous jugeons que ce n'est pas le bon moment puisque nous sommes la veille de l'anniversaire de la mère de mon mari. Nous sommes soulagés d'avoir dépassé le 6 septembre, date d'anniversaire de mon frère, et nous préférons éviter de faire coïncider l'interruption de grossesse et/ou l'accouchement avec toute autre "date familiale", même si nous ne maîtrisons pas tout. La psy nous encourage à le dire clairement au Pr Verspyck afin que cet élément soit pris en compte, sauf urgence médicale évidemment.
Le Pr Verspyck finit par nous rendre visite en début de soirée et infirme ce que nous avait dit la sage-femme : l'ISG n'est pas imminente. Pour lui, il n'y a toujours pas d'urgence, d'autant que je me rends finalement compte, maintenant que tout se concrétise dans mon esprit, que je préfèrerais "enchaîner" l'ISG et l'accouchement, pour ne pas garder Élise morte trop longtemps dans mon ventre. Il voudrait ainsi temporiser jusqu'à 36 ou 37 SA (j'en suis alors à 34 SA + 2 jours), soit jusqu'au 25/09 ou 02/10 si j'en suis capable, physiquement et psychologiquement.
Je lui avoue que je ne pourrai tenir qu'en restant hospitalisée : soit ils peuvent me garder deux ou trois semaines de plus jusqu'à la fin de la grossesse, soit je préfèrerais qu'on anticipe l'ISG et l'accouchement.
Je lui confie également que je culpabilise un peu d'être en UGP sans réelle justification médicale (même s'il y a cette histoire de pré-éclampsie à surveiller), ce à quoi il répond que j'y ai ma place et que ma grossesse est "on-ne-peut-plus pathologique".
Même si je ne veux pas quitter ma fille, je reconnais avoir hâte que "tout ça" soit derrière nous mais je ne veux pas précipiter les choses et faire courir un risque à Gaspard simplement par faiblesse psychologique ponctuelle si c'est pour le regretter ensuite mais le Pr Verspyck se montre rassurant et confiant par rapport à ça.
Samedi 14 septembre
Evidemment, je dors mal, me réveille sans cesse. Et alors que je dors mieux sur le matin, le personnel me réveille tous les jours de bonne heure : pour une prise de température ou un monitoring, passe encore, mais pour me dire qu'on ne me donnera pas de petit-déjeuner parce que je dois passer une échographie du foie à jeun en fin de matinée, je trouve ça moins intéressant !
La cytolyse hépatique détectée jeudi n'étant pas encore normalisée, cette échographie doit servir à rechercher une éventuelle lithiase vésiculaire. L'échographiste ne voit finalement rien de spécial, tout semble fonctionner normalement de ce côté-là mais, mon foie restant fainéant, un bilan hépatique complet est prévu le lundi suivant.
Pour l'instant, il n'y a rien d'inquiétant, il s'agit juste d'un diagnostic d'élimination car mon foie ne se comporte pas normalement donc ils en cherchent l'origine. En plus, mon ventre me démange depuis hier, ils suspectent donc une cholestase gravidique même si je n'ai pas de démangeaisons ailleurs, comme c'est le cas avec cette pathologie.