Le petit garçon qui n'aimait pas le coiffeur
... on pourrait croire que je vous dévoile en avant-première le titre du dernier roman de Jonas Jonasson. Que nenni ! Je vais plutôt vous raconter une anecdote-pas-si-anecdotique-à-mes-yeux qui concerne Hector et son dernier passage chez le coiffeur.
Cela fait des mois que Hector a une peur bleue du coiffeur (et de tout ce qui touche de près ou de loin à ses cheveux). Pourquoi ? Bonne question ! J'ai l'impression que cela coïncide avec son hospitalisation de 24 heures il y a un an pour déshydratation suite à une gastro sévère, qui a par ailleurs marqué le début de sa peur des médecins. J'ai beau me triturer les méninges, je n'arrive pas à faire le lien entre les médecins et ses cheveux. Toujours est-il que nous en avons bien conscience à la maison et que nous repoussons toujours au maximum le passage chez le coiffeur, pour lui éviter ces désagréments.
Hier, voyant depuis quelque temps ses cheveux recouvrir inexorablement ses oreilles (tout comme son frère, d'ailleurs), je les ai emmenés tous les deux chez une coiffeuse que nous n'avions encore jamais testée.
Pour Gaspard, tout s'est passé comme prévu. RAS.
Pour Hector, tout s'est passé comme prévu également : l'inquiétude qui se lit dans son regard et son attitude dès que nous franchissons la porte, la main portée à ses cheveux à coups de "non non non", le soulagement quand il voit son frère passer en premier, la panique quand il comprend que son tour est arrivé, les pleurs intarissables et les efforts désespérés pour s'échapper pendant toute la (tentative de) coupe.
Je sais que ça se passe mal pour l'instant, mais je me dis que ça finira par rentrer dans l'ordre. En attendant, j'aimerais bien trouver un coiffeur qui sache vraiment s'y prendre avec les enfants apeurés. Car, outre le résultat médiocre (mais pouvait-elle vraiment faire mieux sur un modèle aussi agité ?) de la coupe, l'attitude de la coiffeuse m'a dérangée du début à la fin !
Pour commencer, sachez que je suis de celles qui croient (enfin, plus qu'une croyance, c'est carrément une conviction et une certitude !) que les enfants ne font pas de caprices. Alors quand j'ai entendu la coiffeuse répéter à l'envi qu'il faisait "une colère" et "de la comédie", que ce n'était "pas joli de pleurer", je peux vous dire que je me suis retenue de prendre mon "comédien colérique" sous le bras, avec sa coupe à moitié achevée !
Elle a même cru bon de rajouter que "[son] frère n'avait pas pleuré, lui". Cela ne me semble pourtant pas difficile de comprendre qu'il est plus âgé donc plus mature, qu'il n'a manifestement pas les mêmes expériences, les mêmes ressentis, les mêmes appréhensions, les mêmes traumatismes et que la comparaison s'arrête là sans conclusion à en tirer.
Par-dessus le marché, elle s'est occupée d'eux sans avertir ni expliquer. Et pour le coup, même mon docile Gaspard a moyennement apprécié l'histoire de l'eau froide pulvérisée sans aucune précaution ! Alors qu'il paraît que prévenir et expliquer permettent de tuer dans l'oeuf (et je sais de quoi je parle... humour noir, quand tu nous tiens !) tout ce qui est habituellement (et à tort, dirais-je) qualifié de "crise". Enfin, ce n'est pas "il paraît" : on le pratique à la maison et ça marche plutôt bien... elle devrait essayer !
Le clou du spectacle, c'est au moment de payer que nous y avons eu droit. Comme souvent, un bol de bonbons attendait bien sagement et bien en évidence sur le comptoir. Mes deux loustics les ont repérés et en ont réclamé, mais j'ai refusé. Et là, cette fichue coiffeuse a cru opportun de préciser à l'attention de Hector : "ah bah non, tu as trop pleuré, Maman elle veut pas". J'aurais vraiment dû remettre quelques points sur ses "i", à celle-là !
Premièrement, chez nous, les bonbons c'est en quantité très limitée. En réalité, nous n'en achetons pas et les seuls qu'ils consomment sont ceux qu'ils reçoivent à différentes occasions (rapportés de l'école lors de l'anniversaire d'un(e) camarade de Gapard par exemple).
Deuxièmement, à une demi-heure du repas, il était évident qu'ils n'auraient pas à droit à ce genre d'apéritif !
Troisièmement, chez nous, les bonbons et autres friandises ne servent certainement pas de moyens de pression, chantage ou récompense (systèmes plutôt inusités à la maison d'ailleurs).
Et quatrièmement, si j'avais été dans cette absurde logique, j'en aurais donné à Gaspard mais pas à Hector.
Bref, tout ça pour dire que, aussi futile que cela puisse paraître, nous recherchons toujours un coiffeur qui connaisse son métier et sache s'y prendre avec les enfants !
Vous me direz qu'on pourrait aussi prendre le parti de laisser pousser ses cheveux le temps qu'il s'y fasse, mais le problème, c'est qu'avec sa blondeur et son manque de volume, il risque de ressembler... à ça !
On refait le match
Dans le désordre, en près de 3 ans de traitement, à quelques heures de la 3e FIV :
- 25 échographies
- 1 IRM
- 1 ponction de kystes
- 29 prises de sang
- 2 suppositoires
- 1 hystérographie
- 190 comprimés
- 2 ponctions d'ovocytes
- 1 replacement
- 78 piqûres
- 2 embryons non viables
- 1 embryon viable
- 0 bébé
- 1 grossesse provoquée
- 1 grossesse spontanée
- 2 bébés vivants
- 1 bébé mort
De l'autre côté
Depuis Élise, beaucoup de choses prennent une autre dimension. Comme cette conversation fantasmée entre des jumeaux in utero, que j'ai lue à plusieurs reprises ici et là et que j'ai quelque peu réécrite :
- Tu y crois, toi, à la vie après l’accouchement ?
- Bien sûr ! La vie après l’accouchement existe, c'est une évidence. Nous sommes dans ce ventre pour devenir forts et nous préparer à ce qui nous attend après.
- Pfff, ça n'a pas de sens. Il n’y a rien après l’accouchement ! À quoi ressemblerait une vie hors du ventre ?!
- On raconte beaucoup de choses à propos de "l’autre côté"… On dit que, là-bas, il y a beaucoup de lumière et de joie, des centaines d’émotions, des milliers de choses à vivre… Par exemple, il paraît que "de l’autre côté" on va manger avec notre bouche.
- Mais c’est n’importe quoi ! Tout le monde sait que c'est notre cordon ombilical qui nous nourrit, pas notre bouche ! Et puis il n’y a jamais eu de revenant de cette autre vie… Tout ça, ce sont des histoires de personnes bien naïves. La vie se termine à l’accouchement, c’est comme ça, il faut l’accepter.
- Permets-moi de penser autrement, si tu veux bien. C’est sûr, je ne sais pas exactement à quoi ressemblera cette vie après l’accouchement et je ne pourrai rien te prouver. Mais j’aime à croire que, dans la vie qui nous attend, nous verrons notre maman et qu'elle prendra soin de nous.
- "Maman" ?! Tu veux dire que tu crois en « maman » ?! Et où se trouve-t-elle alors ?!
- Mais partout ! Elle est partout autour de nous ! Nous sommes faits d’elle et c’est grâce à elle que nous vivons. Sans elle, nous ne serions pas là.
- C’est absurde ! Je n’ai jamais vu aucune maman : il est donc évident qu’elle n’existe pas.
- Je ne suis pas d’accord avec toi. Je suis même convaincu qu'elle existe, car parfois, lorsque tout devient calme, on l'entend chanter et on la sent caresser notre monde… Je suis certain que notre vraie vie va commencer après l’accouchement !
Le poids des mots - Bis
L'an dernier, à peu près à la même époque, j'avais déjà publié un billet sur les mots que l'on utilise pour désigner la réalité. Cette fois-ci, ce sont d'autres mots qui m'interpellent.
Perdre et disparaître
Avec les décès de personnalités survenus en ce début d'année, nous avons régulièrement entendu dans les médias "untel a disparu", "nous venons de perdre untel". En tant que traductrice amoureuse des langues en général et de sa langue en particulier, je connais par cœur les rouages de la langue française, ses pièges, ses doubles sens, ses homonymes, mais je ne peux m'empêcher de m'insurger intérieurement contre ces deux termes employés de manière euphémique pour désigner la mort.
Et puis dans la "vraie vie", qui parle de cette manière ?!
Honnêtement, le 2 janvier, j'ai été émue d'apprendre que Michel Delpech était décédé mais pas que la France avait perdu l'un de ses chanteurs les plus populaires.
Et sérieusement, quand vous avez croisé vos collègues le 10 janvier, vous leur avez demandé s'ils savaient que David Bowie avait disparu ou qu'il était mort ?
En tout cas, dans notre vie, nous ne parlons pas comme ça, mon mari et moi.
Élise n'a pas disparu : elle est morte, derrière un champ opératoire mais pour ainsi dire sous nos yeux et dans mon ventre, par notre décision - par notre faute.
Nous n'avons pas perdu Élise : nous savons où elle est, elle est décomposée au fond d'une boîte en bois six pieds sous terre, entre les vers et les taupes.
Retard
Avec le virus Zika qui sévit en Amérique du sud et est apparemment arrivé en Europe, les médias nous parlent régulièrement des risques encourus en particulier par les femmes enceintes et leurs foetus, notamment des risques de retard mental pour ces derniers.
Mais d'où sort ce terme de retard pour désigner une déficience, une défaillance, une anomalie ?!
Être en retard, c'est juste une question de timing : quand on arrive en retard, on met plus de temps que prévu à arriver mais on arrive quand même.
Ces "bébés Zika" ne seront pas en retard mentalement, ils seront déficients mentaux !
Si nous l'avions laissée vivre, Élise aussi aurait souffert d'une déficience mais pas d'un retard !
Pour clore ce billet, je rappellerai seulement cette citation attribuée à Albert Camus :
Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde.
Différente ?
Une petite fille.
Une mère.
Une autre petite fille.
Une autre mère.
Cette petite fille. Qui est lourdement handicapée. Qui ne peut ni parler ni marcher.
Cette mère. Qui tue sa fille.
Cette autre petite fille. Qui sera lourdement handicapée. Qui ne pourra ni parler ni marcher.
Cette autre mère. Qui tue sa fille.
Cette mère. Qui risque la réclusion criminelle à perpétuité.
Cette autre mère. Qui vit en toute impunité - si ce n'est les démons qui me rongent.
Quelle différence ?!
Demain
Scène (presque) ordinaire de la vie de bureau un vendredi soir.
Mon mari : Bon week-end !
Sa collègue (parfaitement au courant de notre histoire) : Bon week-end ! Et n'oublie pas Annabelle dimanche !
Mon mari : Non non.
Sa collègue : En plus, elle est doublement mère !
Mon mari : Non, triplement.
Sa collègue : ... Ah...
À force de taper sur le clou, il finira bien par rentrer !
C'est sûr, Élise ne pourra jamais me souhaiter "Bonne fête Maman !" mais je serai toujours sa mère.
C'est même elle, avant Gaspard puis Hector, qui a fait de moi une mère alors c'est dire !
Entre déception et raison
N'ayant pas encore eu de nouvelles suite à mon inscription au don d'ovocytes en ligne mi-avril, je doutais qu'elle eût été (bonjour la concordance des temps et l'imparfait du subjonctif !) prise en compte ou qu'elle fût (rebonjour !) parvenue aux bonnes personnes. J'ai donc téléphoné avant-hier au CECOS du CHU de Rouen pour aller aux nouvelles. La dame qui m'a répondu m'a alors informée que l'activité "don de gamètes" n'était plus gérée par leur centre mais par le service du Dr Chanavaz-Lacheray (LA spécialiste régionale (voire plus) de l'endométriose et, par extension, de l'infertilité), à qui elle allait transmettre mes coordonnées pour qu'elle me recontacte.
Elle a visiblement et rapidement tenu sa promesse puisque le Dr Chanavaz-Lacheray m'a effectivement appelée hier. Après quelques questions banales (adresse, âge, etc.) en guise de prélude avant une éventuelle rencontre de visu, je lui dis que je la connais déjà pour avoir assisté à l'une de ses conférences en fin d'année dernière pour la simple raison que je suis atteinte d'endométriose. Sa réaction ne s'est pas fait attendre : ma démarche s'arrête là.
Les traitements de stimulation inhérents au don d'ovocytes (qui est ni plus ni moins qu'une FIVETE - fécondation in vitro et transfert embryonnaire - à la différence près que la ponction d'ovocytes et le replacement d'embryons ne se font pas chez la même femme) risquant de favoriser le développement de ma maladie, il est inenvisageable que je puisse faire don de mes gamètes. Elle m'a bien demandé si je savais de quoi il retournait, je lui ai donc raconté la version ultra-résumée de mon histoire (AMP, FIV, Élise) pour lui faire comprendre en quoi mon rapport à la fertilité et à la maternité me poussait à vouloir donner. Je lui ai également confié que, maintenant que je connais d'autres femmes atteintes de formes d'endométriose plus graves que la mienne, je crois que je ne souffre pas tant que ça au final. Sa réponse m'a interpellée, mais dans le bon sens : c'est peut-être à cause de l'endométriose et du "c'est normal d'avoir mal pendant ses règles" que l'on m'a rabâché À TORT pendant des années que je me suis endurcie et suis devenue plus résistante à la douleur. Elle s'est en tout cas montrée "impressionnée" par mon courage, ma détermination et ma générosité mais se refuse, en tant que spécialiste de l'endométriose, à prendre le risque de réactiver chez moi la maladie qu'elle combat ardemment par ailleurs.
Je suis donc obligée de renoncer à donner mes ovocytes et j'en suis vraiment déçue. J'étais prête à subir les traitements, les piqûres, les ponctions. J'ai failli insister mais je préfère écouter le Dr Chanavaz : si elle, l'experte en endométriose et en infertilité, ne veut pas que je donne mes ovocytes, je n'irai pas contre son avis (je ne sais même pas si je pourrais insister si je le voulais vraiment, de toutes façons).
Les couples en attente d'ovocytes ne pourront donc pas compter sur moi et j'en suis désolée. En revanche, j'y ai gagné quelque chose : elle m'a dit qu'elle était prête à me suivre pour mon endométriose, alors que je pensais ne pas être légitime pour être suivie par elle, comparée aux autres femmes bien plus atteintes. Je n'ai pas tardé à saisir la perche qu'elle m'a tendue : j'ai appelé son secrétariat ce matin et ai obtenu un rendez-vous avec elle au mois d'août.
Cet échec a un petit arrière-goût de soulagement, malgré tout.
Petites violences ordinaires
Je sais que j'ai la chance qu'Élise compte pour ceux qui comptent pour moi mais ça ne me suffit pas. Je ne veux pas qu'elle existe à moitié, selon le contexte ou l'interlocuteur. Je veux qu'elle existe partout, tout le temps, avec tout le monde.
Pas comme avec ce couple rencontré au mariage d'amis communs, auquel nous avons assisté avec Gaspard et Hector. Alors que nous discutions de banalités (vous faites quoi dans la vie, vous venez d'où, etc.), mon mari résume notre couple en quelques chiffres : "Dix ans d'amour, huit ans de mariage et ...". Devinant de quoi mon mari allait alors parler, cette jeune femme a jugé bon de compléter elle-même : "et deux enfants". Alors même que nous venions de parler d'Élise. J'ai corrigé immédiatement mais elle n'a pas réagi.
Pas comme avec cette bénévole associative rencontrée à l'occasion d'un atelier de portage. Alors qu'elle remplissait une fiche de renseignements me concernant en vue de mon adhésion à l'association (dont la mission principale est le soutien de l'allaitement maternel), elle me demande combien j'ai d'enfants : "Trois dont un décédé". Et elle de me répondre sans vergogne : "Je note deux alors". Ma fille ne peut pas être allaitée ni portée alors elle ne compte pas pour ta p..... d'association, c'est ça ?! Mais je n'ai rien dit, je me suis contentée d'un "Hmmm" qu'elle a dû prendre pour une forme d'approbation.
Pas comme avec la kiné chez qui je fais ma rééducation périnéale post-Hector et chez qui j'avais également fait celle post-grumeaux. Elle connaît déjà Gaspard puisque je l'emmenais avec moi lors de mes séances l'an dernier. Elle a maintenant rencontré Hector puisque je l'emmène également avec moi. Et à défaut de connaître Élise elle-même, elle connaît son existence. Cela ne l'a pas empêchée de me demander, le sourire aux lèvres, sans doute fière de sa petite blague : "Deux garçons ! Vous ne vouliez pas de petite fille ?". Aussi spontanément que posément, je lui réponds qu'ils ont en réalité une sœur, m'apprêtant à lui rafraîchir la mémoire. Et elle de répondre du tac au tac : "Oui, oui, avec Gaspard, vous m'aviez dit". Si tu te souviens d'elle, pourquoi tu fais comme si elle n'existait pas alors ?!
Quand je revendique l'existence d'Élise, quand je milite pour la reconnaissance du deuil périnatal, je veux bien admettre que les gens n'aient pas forcément envie d'aller sur ce terrain-là. Mais quand je me contente de parler d'elle et de décrire ma famille telle qu'elle est, pourquoi me refuse-t-on ce droit ?!
Donner
Avant de rencontrer des difficultés à tomber enceinte, je ne m'étais jamais posé de questions sur le sujet. Et puis, à force de vivre au rythme des espoirs et des déceptions (car on ne se rend pas tout de suite compte que l'on rejoint, progressivement mais sûrement, la catégorie de "ceux qui n'y arrivent pas") alors que les amis font des enfants à peu près quand et comme ils en ont envie, on se met forcément à réfléchir sur la maternité, la parentalité, ce fameux prétendu "droit à l'enfant". On y réfléchit aussi quand on est confrontés à une question insoluble à laquelle il faut pourtant bien donner une réponse. On y réfléchit encore plus quand on décide d'aller contre Dame Nature en ne donnant aucune chance à son enfant pourtant viable.
Au nom de quoi avoir un enfant serait-il un droit ? Pourquoi aller contre Dame Nature sur ce sujet-là ? La vie est injuste par nature alors pourquoi ne pas pouvoir avoir d'enfants serait-il une injustice plus injuste que les autres et contre laquelle il faudrait lutter particulièrement ? Toutes ces questions m'ont traversé l'esprit, avant même que je ne devienne mère, alors que je faisais tout pour le devenir, grâce à la médecine.
Et puis, il y a plusieurs années déjà, avant même de réussir à enfin tomber enceinte, j'ai pris conscience que c'était égoïste d'avoir recours à l'AMP uniquement pour nous alors que d'autres couples pourraient concrétiser leur désir d'enfant grâce à l'AMP et au coup de pouce de donneurs...
Je m'étais donc dit qu'un jour je donnerais. Parce que sans la science je ne serais peut-être jamais tombée enceinte et devenue mère. Et parce que si je peux participer à ce progrès scientifique - à mon modeste niveau - et à la concrétisation du rêve d'autres couples, je ne vois pas au nom de quoi je leur refuserais ce bonheur.
J'ai donc décidé, avec l'accord de mon mari (qui est de toutes façons nécessaire, légalement parlant), de me porter volontaire pour faire don de mes ovocytes.
En l'état actuel de la loi, pour prétendre être donneuse, il "suffit" de remplir quelques conditions :
- Avoir déjà eu des enfants : je ne sais pas si les enfants morts rentrent en ligne de compte mais Gaspard et Hector me permettent de valider ce premier critère.
- Avoir entre 18 et 37 ans : je peux cocher cette case pour quelques années encore ;-) (sept, exactement !).
- Être en bonne santé : dans l'ensemble, je ne me plains pas.
Étant personnellement passée par la FIV, je sais parfaitement à quoi m'attendre en ce qui concerne les traitements, leurs effets, leurs contraintes. D'ailleurs, j'ai eu la chance de plutôt bien vivre ces traitements, même s'ils sont loin d'être une partie de plaisir évidemment. Ce côté médical un peu contraignant ne me rebute donc pas.
Et l'aspect "mon enfant vivra ailleurs" ne m'a jamais effleuré l'esprit tout simplement parce que le don d'ovocytes constitue, dans la conception d'un enfant, une étape tellement précoce, tellement désacralisée, tellement médicalisée qu'il m'est impossible d'associer, psychologiquement ou philosophiquement, le don d'ovocytes à l'enfant à venir. L'échec de nos deux premières FIV doit probablement m'aider aussi à dissocier un ovocyte et la fécondation au laboratoire dans une éprouvette de la naissance d'un enfant.
Je me suis donc inscrite sur le site officiel, chaperonné par l'agence de la biomédecine, où j'ai eu le plaisir de découvrir que le CHU où je suis suivie depuis des années (pour notre parcours d'AMP justement et pour mes grossesses) est un centre de dons d'ovocytes. J'attends maintenant d'être contactée pour la première étape du protocole, tout en gardant à l'esprit que ma seule volonté ne suffira peut-être pas pour aller jusqu'au bout de la démarche :
- Notre propre parcours d'AMP ou mon endométriose sont-ils compatibles avec la "bonne santé" requise ?
- Avoir eu un enfant atteint d'un syndrome polymalformatif pourrait-il contredire le critère "avoir eu des enfants" ?
- Alors que j'ambitionne de faire mieux avec Hector qu'avec Gaspard, est-ce que l'allaitement sera un obstacle ou du moins une cause de report ?
- Aurai-je les mêmes droits et libertés par rapport à mon travail que quand c'était pour moi que je subissais des échographies et des prises de sang plusieurs fois par semaine ?
- Quel impact mon engagement dans ce processus aura-t-il sur une éventuelle future grossesse ?
Je voulais également donner mon sang, mon dernier don remontant à plusieurs années (avant notre parcours d'AMP et mes grossesses, en fait), mais il me faudra patienter encore 4 mois, puisqu'il faut attendre 6 mois après un accouchement pour pouvoir donner son sang, que l'on allaite ou pas, comme l'indique le site de la Leche League, LA référence en matière d'allaitement.
Même au siècle prochain
Il y a ces phrases que l'on lit ou entend parce que nous sommes en janvier et qu'en janvier il faut nécessairement présenter ses vœux.
Une bonne santé pour vous et vos proches. Avec un peu de motivation, le reste suivra.
Ça ne peut être qu'une blague ! À moins que ce ne soit un de ces sms envoyés en masse... En tout cas, nous devons sacrément manquer de motivation pour qu'Élise soit toujours aussi morte, près de seize mois après sa naissance !
Mon mari est plus tolérant que moi envers ces personnes qu'il juge simplement maladroites. Moi, je considère que ce n'est plus de la maladresse mais de l'indifférence, voire de la violence - involontaire certes mais de la violence tout de même - quand la personne à l'origine de ces "vœux" est parfaitement au courant de notre histoire.
Tout ce que vous pouvez souhaiter.
Nous ne sommes pas gourmands, "tout ce que [nous pouvons] souhaiter" tient en onze mots : qu'Élise soit vivante et en bonne santé à nos côtés. Mais c'est vrai que la motivation à ce que notre souhait se réalise nous fait défaut, alors nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous-mêmes !...
Là encore, c'est à nous de ne pas prêter attention à ces vœux passe-partout et envoyés collectivement, et non aux autres de faire attention à ce qu'ils font, disent ou écrivent. Les gens ne font pas attention aux autres, se contentent de superficialité et de bienséance creuse. C'est ça, le monde dans lequel on vit aujourd'hui.
Pourtant j'en ai reçu des vœux qui tombaient juste, qui nous étaient réellement adressés, qui ne sonnaient pas faux, qui tenaient compte de notre histoire. C'est que c'est possible alors !... Je commençais à croire que j'étais trop susceptible ou trop exigeante ou - pire - que pour réussir le test des banalités de janvier, il fallait être le moins sincère possible !
Il y a aussi ces phrases que l'on entend à longueur de temps, peu importe que l'on soit en janvier ou non.
Il faut aller de l'avant.
Prévoir un voyage, avoir des projets professionnels, recevoir des amis, organiser Noël à la maison : n'y voyez-vous pas le signe que nous allons de l'avant, comme vous vous obstinez à nous y exhorter, sans même y réfléchir ?!
La vie continue.
Quand j'entends ça, j'ai juste envie de répondre - au choix - que "la vie continue, certes, mais sans Élise, ce qui fait quand même une sacrée différence" ou que "la vie d'Élise ne continue pas, elle, justement".
Sinon, pour être un peu plus constructive ou moins sarcastique, je peux aussi poser cette question : faire un troisième enfant... quelle plus belle preuve (même si nous n'avons rien à prouver et aucun compte à rendre, à part à nos enfants peut-être) que c'est la pulsion de vie qui prend le dessus sur la pulsion de mort ?!
Alors évidemment, quand on me demande comment s'est passé Noël, je ne peux pas ne pas parler d'Élise.
Parce que si moi je n'en parle pas, qui en parlera ?!
Parce que, ne vous en déplaise, Élise était aussi absente que Gaspard était présent.
Parce que j'ai autant regretté l'absence d'Élise que je me suis réjouie de la présence de Gaspard.
Parce que j'ai à la fois vécu le deuxième Noël avec mon fils et le deuxième Noël sans ma fille.
C'est sûr qu'il est plus facile d'asséner des phrases toutes faites plutôt que de s'intéresser vraiment à nous et de s'interroger sur le chemin que nous avons parcouru depuis le début de notre cauchemar il y a bientôt vingt mois. C'est sûr qu'il est plus facile de balancer des banalités vides de sens que de chercher à dépasser le stade du superficiel.
Mais ce que certains n'ont pas compris, c'est que ce n'est pas parce que nous parlons d'Élise que nous n'avançons pas.
Élise est notre fille, notre enfant, au même titre que Gaspard - et Hector. Alors bien sûr, je ne peux pas vous raconter ses derniers progrès, son sommeil perturbé, ses clowneries, son histoire d'amitié avec Simon-le-lion, ses "La ! La ! La !" intempestifs. Mais je peux quand même vous parler d'elle, des chansons que j'écoute en pensant à elle, des objets que nous déposons sur sa tombe, de sa présence à sa façon dans la maison, du fait qu'elle me manque terriblement, du fait que je n'ai pleuré que trois fois en pensant à elle en 2015, du fait que je pense à elle tous les jours, du chemin de deuil sur lequel j'avance tant bien que mal.
Il y a une chose que les gens vont devoir comprendre et admettre une bonne fois pour toutes : Élise fait partie de moi. Et, comme le chante Vanessa Paradis, même au siècle prochain, j'en parlerai encore. Et quand on sait qu'il y a peu de chances que je voie le siècle prochain, étant née au milieu des années 1980, on mesure la valeur d'éternité que cette simple phrase revêt pour moi.
Même si je préfère m'abstenir de participer à la campagne généralisée des "meilleurs vœux" et compagnie, me contentant de répondre de la façon la plus sincère possible à ceux que l'on m'adresse, je ne peux m'empêcher de partager avec vous cette image si parlante :