J'ai souvent entendu dire qu'une femme devient mère le jour où elle se sait enceinte.
J'ai souvent entendu dire aussi qu'un homme devient père le jour où son enfant naît.
Il y a sans doute une part de vérité dans ces deux phrases.
Mais il y a aussi des hommes qui deviennent pères bien avant la naissance de leur enfant.
Il y a des hommes qui imaginent, pensent, rêvent leur enfant alors même qu'il tarde à arriver.
Des hommes qui font un bébé dans leur tête avant de le faire en vrai.
Des hommes qui assistent à tous les rendez-vous du parcours d'AMP, même les facultatifs.
Des hommes qui passent et repassent tous les examens médicaux de bonne grâce parce qu'ils jugent normal de faire leur partie du boulot dans ce parcours d'AMP.
Des hommes qui s'impliquent dans la grossesse espérée autant que les traitements de stimulation de la fertilité le leur permettent.
Des hommes qui prennent des jours de congé "juste" pour accompagner leur femme lors des ponctions d'ovocytes ou de kystes ou lors des transferts embryonnaires.
Des hommes qui assument tout dans la maison "juste" parce que leur femme doit se ménager pour favoriser l'implantation des embryons replacés.
Des hommes qui sont aussi déçus que leur femme par les tentatives de FIV infructueuses.
Des hommes qui sont aussi heureux que leur femme par le transfert réussi de deux embryons, confirmé par le premier test de grossesse positif de leur couple.
Des hommes qui sont aussi inquiets que leur femme lorsqu'elle perd du sang en début de grossesse.
Des hommes qui sont aux petits soins pour leur femme qui doit se reposer pour favoriser la résorption du décollement placentaire à l'origine des saignements.
Des hommes qui empruntent les mêmes montagnes russes que leur femme lorsqu'on leur annonce qu'un des deux embryons ne vit plus, puis qu'il n'y a jamais eu qu'un seul embryon et enfin que les deux embryons vivent toujours.
Des hommes qui sont aussi soulagés que leur femme lors de la première échographie officielle qui confirme que les deux bébés vont bien et que le décollement placentaire est en voie de résorption.
Des hommes qui tombent d'aussi haut que leur femme lors de l'échographie suivante qui révèle, sans prévenir, que leur petite fille ne va pas bien.
Des hommes qui prennent un jour de congé pour assister au rendez-vous de diagnostic anténatal et soutenir leur femme pendant l'amniocentèse.
Des hommes qui ont besoin, comme leur femme, de voir la psychologue après l'annonce des malformations de leur bébé à venir.
Des hommes qui, comme leur femme, se posent des milliers de questions sur la suite de la grossesse, l'avenir de leur bébé malade, le futur de leur famille à peine en construction.
Des hommes qui, même si leur consentement n'est pas officiellement requis, participent autant que leur femme à la pire décision concernant la vie de leur enfant.
Des hommes qui sont aux côtés de leur femme à chaque instant de la grossesse, le jour comme la nuit, à la maison ou à l'hôpital.
Des hommes qui profitent de leur enfant autant que la barrière du ventre de leur femme le leur permet.
Des hommes qui préparent avec leur femme l'arrivée si particulière de leur enfant.
Des hommes qui tiennent la main de leur femme lors du geste fatidique pratiqué sur leur bébé dans le ventre de leur femme.
Des hommes qui soutiennent leur femme dans chaque contraction qui les rapproche de la naissance sans vie de leur enfant.
Des hommes qui coupent le cordon de leur enfant né sans vie.
Des hommes qui bercent leur enfant né sans vie.
Des hommes qui puisent au plus profond d'eux-mêmes la force de prendre des photographies de leur enfant décédé parce qu'ils savent qu'ils n'auront pas de seconde chance.
Des hommes qui ont la douloureuse fierté de porter le cercueil de leur enfant jusqu'à la tombe.
 
Et malgré tout ça, certains pensent encore que "c'est moins difficile pour le papa" ou que "c'est surtout pour la maman que ça doit être dur".
Alors qu'il suffirait de presque rien pour adoucir, ne serait-ce qu'un peu, ne serait-ce que l'espace d'un instant, la peine du papa... Par exemple en lui demandant, à lui, comment il va - au lieu de lui demander des nouvelles de la maman, comme si lui n'avait pas perdu d'enfant. Par exemple, si vous avez un cadeau destiné au bébé décédé, en l'offrant aux deux parents - au lieu de le tendre uniquement à la maman. Par exemple.
Tout simplement en considérant, dans vos gestes et vos paroles, que le papa aussi a perdu un enfant, que le papa aussi est en deuil, que le papa aussi souffre de l'absence de sa fille. Parce que c'est tout simplement la vérité.