Je savais que mon dernier billet ferait réagir mais je ne pensais pas que ce serait à ce point-là.
Je ne veux blesser ou offenser personne à travers ce nouveau billet. Je veux simplement expliquer ce qui m'aide et ce qui ne m'aide pas, par rapport à la psychiatre, mais pas seulement. Je sais que chacun des conseils et avis que j'ai reçus est guidé par la bienveillance et l'affection mais je vous assure que ça ne m'aide pas.
Je ne supporte pas qu'on me dise que nous avons pris la bonne décision pour Élise, que nous avons bien fait, comme si on balayait d'un revers de la main les doutes et les questions qui nous ont assaillis et qui nous assaillent encore, comme si la décision qu'on a prise était une évidence, comme si la vie d'Élise valait si peu qu'on peut la nier en quelques mots à peine, comme s'il suffisait de jouer à se faire peur en faisant semblant de se poser la question pour trouver la réponse.
Mon mari et moi avons, nous aussi, joué à nous faire peur au début de ma grossesse, avant que notre vie ne bascule. Comme beaucoup de parents, nous nous sommes posé ce qui nous semblait alors être "la" question : et si notre enfant est trisomique ? Chacun de nous avait sa réponse toute prête, qui n'était pas la même. Et puis la réalité nous a rattrapés. Ce n'était pas la trisomie, c'est vrai, mais nous avons dû nous poser la question pour de vrai et surtout trouver une réponse.
Chacun peut avoir ses a priori mais je vous jure - et je parierais ma vie là-dessus - que personne ne peut savoir avant d'y être confronté pour de vrai. Le regard extérieur est toujours plus confortable, croyez-moi. Seuls ceux qui se sont posé la question pour de vrai - quelle qu'ait été leur décision d'ailleurs - peuvent prétendre comprendre.
Je ne supporte pas qu'on juge à notre place du meilleur moment où nous pourrons concrétiser notre nouveau désir d'enfant. Certains nous sentent prêts ; d'autres nous conseillent d'attendre avant de relancer les essais bébés. Alors qui écouter plus que l'autre et pourquoi ? Mon mari et moi sommes les seuls à savoir si le moment est venu.
Je ne supporte pas que les gens - des inconnus, des connaissances - croient que je vais "mieux", voire "bien", uniquement parce que je souris devant eux. Croient-ils que le chagrin me fait oublier toutes les règles de savoir-vivre et de civisme ? Croient-ils que c'est devant eux que je vais m'effondrer ? Croient-ils que c'est à eux, que je connais si peu et qui croient détenir la vérité sur le deuil que nous avons à faire, que je vais confier mon mal-être et mes doutes ?
Je ne supporte pas qu'on me conseille ou déconseille de prendre un traitement anti-dépresseur, sous couvert d'une quelconque expérience. Ça fonctionne pour elle, ça n'a pas marché pour lui, ça a fait pire que mieux pour elle ? Et alors ?! Chaque situation de vie où l'opportunité d'un traitement anti-dépresseur est apparue avant d'être confirmée ou rejetée est différente. Les conseils que j'ai reçus dans un sens ou dans l'autre émanent de personnes confrontées à des situations différentes. Parce que chacun prend le chemin qu'il peut et qu'il veut. Mon mari et moi avons perdu le même enfant dans les mêmes circonstances et pourtant nous n'empruntons pas tout-à-fait le même chemin. Alors, même si la question d'un tel traitement s'était posée pour ces personnes suite au deuil périnatal d'un jumeau dû à une interruption de grossesse, cela ne suffirait pas à me convaincre de suivre leur voie.
Pour l'instant, lorsque j'envisage ce traitement, je me dis qu'il pourrait peut-être m'aider temporairement, me maintenir la tête hors de l'eau jusqu'à ma reprise du travail fin septembre mais pas au-delà. Mais il restera de toutes façons artificiel.
Et puis, si je prends ce traitement, où en serai-je quand j'arrêterai ? Au même stade qu'aujourd'hui, à me torturer l'esprit, à me poser des milliers de questions, à ruminer mes propres regrets et reproches ?
Je ne sais pas si je suis en dépression ou non - je ne sais pas à quoi ressemble une dépression et il paraît que ce n'est pas l'image que je renvoie à ceux qui me côtoient fréquemment - mais ce que je sais, c'est que je suis en deuil et qu'après le traitement je serai toujours en deuil.
Je suis certaine que ce traitement ne fera que retarder les choses : il ne résoudra aucune question, il n'effacera pas le manque, il n'éloignera pas les regrets. Il mettra juste ma vie sur pause.
Je sais aussi que les premiers mois de vie d'un enfant sont essentiels à son développement mais:
- je ne pense pas me voiler la face en disant que Gaspard est un petit garçon bien dans ses baskets (si, si, il en a : souvenez-vous !), souriant, facile à vivre, curieux de la vie, qui joue, qui dort bien, qui rit, qui pleure (j'ai lu que les pleurs importaient autant que les rires parce qu'un bébé qui pleure, c'est un bébé qui se sent en confiance et qui sait que l'on répondra à ses pleurs) ;
- je me demande à partir de quel âge un enfant a le "droit" d'avoir une maman qui ne va pas bien, si ses premiers mois sont si importants. Parce que, si je prends un traitement, ce sera avant tout pour lui alors quand pourrai-je me dire "Gaspard est assez grand pour que je m'autorise à ne pas aller bien" ? Jamais, je crois. On ne juge jamais son enfant assez grand pour ces choses-là.
Je sais que mon entourage proche a confiance en moi par rapport à Gaspard. Je pense que je lui apporte tout ce dont il a besoin affectivement et matériellement - en tout cas, je ne pourrais pas faire plus ou mieux. Je crains simplement qu'il ne reçoive en plus des choses dont il n'a pas besoin. Et c'est de ça que j'aimerais le préserver.
Je crois malheureusement au fond de moi que je suis la seule à détenir les clés : aucun traitement, aucun accompagnement sous quelque forme que ce soit ne pourra faire le travail à ma place. Et ce travail qu'il me reste à accomplir se résume en quelques mots: assumer et accepter la décision que nous avons prise, arrêter de regretter.
Je pense fort à toi....à vous tous