30 mai 2014

Psychiatre - Épisode 2

Lundi dernier, j'ai à nouveau rencontré le Dr Terranova. Le calendrier a voulu que ce rendez-vous vienne conclure une semaine de dates particulières :

  • le 18 mai : l'anniversaire de mon mari, que l'on avait fêté à presque quatre en 2013 en pensant qu'on serait bel et bien quatre un an plus tard, mais aussi les huit mois du décès d'Élise,
  • le 19 mai : les huit mois des grumeaux,
  • le 23 mai : les huit mois de l'enterrement d'Élise,
  • le 24 mai : le premier anniversaire de ce jour où notre vie a basculé,
  • le 25 mai : la fête des mères où mon cœur de maman était encore plus coupé en deux.

Alors forcément, dans le cabinet de la psychiatre, on ne peut pas dire que j'étais en pleine forme.

Contrairement à ce que j'avais cru comprendre, je n'ai pas rencontré la psychologue qui devait nous accompagner à domicile ; ce nouvel entretien s'est déroulé en tête-à-tête avec le Dr Terranova.

Neuropédiatrie

Elle a rapidement vu et senti que j'allais moins bien que la dernière fois. J'ai essayé de lui donner une explication rationnelle (la succession récente de toutes ces dates) à la dégradation de mon état mais ça ne lui a pas suffi. L'entretien a beaucoup tourné autour de la culpabilité cette fois. Parce que la culpabilité vous dévore, vous ronge de l'intérieur - elle est insidieuse et s'insinue partout.

Je culpabilise d'avoir tué Élise.
Je culpabilise de ne pas toujours penser à Élise.
Je culpabilise par rapport à Gaspard. D'ailleurs, dimanche dernier - jour de la fête des mères, j'étais tellement mal que j'ai fait un énorme câlin à Gaspard au moment de le coucher. Moi-même je sentais bien que je perdais pied à ce moment-là, je l'embrassais et le caressais en repensant à Élise et à ces mêmes gestes que je n'avais pu faire que quelques fois à peine avec elle. Et comme par hasard, alors que Gaspard dort entre 12 et 14 heures, cette nuit-là, il s'est réveillé six fois - comme si je l'avais perturbé, comme si je lui avais communiqué mon mal-être, comme s'il avait absorbé ma détresse. Je sais bien qu'on peut trouver mille explications à la mauvaise nuit d'un bébé mais vous ne m'ôterez pas de la tête que j'y suis nécessairement pour quelque chose.
Je culpabilise de ne visiblement pas réussir à m'en sortir toute seule.
Je culpabilise quand je me dis que rien ne pourrait être pire que l'absence d'Élise et que cette absence est de notre faute. En même temps, peut-on commettre un tel acte sans le payer toute sa vie ?
Je culpabilise quand j'imagine qu'un accident ou une maladie pourrait laisser Gaspard dans l'état végétatif qui aurait été celui d'Élise à la naissance : et pourtant, si ça arrivait, on ne tuerait pas Gaspard alors pourquoi n'avons-nous laissé aucune chance à Élise ?

Et c'est la nature de nos échanges qui lui a fait réviser son jugement quant au traitement médicamenteux, puisqu'elle m'a avoué qu'elle se posait la question, alors qu'elle l'avait exclu lors de notre premier entretien. Je lui ai rappelé que je n'y étais pas favorable a priori, pas plus que mon mari. Elle m'a alors expliqué qu'il s'agirait de toutes façons d'un traitement léger, qui ne m'abrutirait pas et qui ne modifierait pas mon comportement.
Elle a notamment insisté sur l'importance des premiers mois de vie de Gaspard et la nécessité qu'il bénéficie d'un environnement équilibré pendant cette période de sa vie en particulier.
Elle a précisé que c'était la notion de culpabilité qui ressortait de mes propos qui l'incitait à se poser la question. Elle m'a expliqué que la culpabilité est l'un des symptômes de la dépression. Voilà, le mot est lâché - le mot qui fait peur, le mot qui fait fuir. Je lui ai demandé si cette culpabilité n'était pas normale compte tenu de la décision que nous avions prise. Elle m'a alors fait comprendre (je ne me souviens plus de ses termes exacts) que, huit mois après, ce n'était pas tout-à-fait normal.

Je ne demande qu'à la croire et qu'à être aidée. Après tout, il paraît qu'elle s'y connaît, en deuil périnatal, d'un jumeau qui plus est.

Je dois à nouveau la rencontrer dans une dizaine de jours, accompagnée de mon mari cette fois, notamment pour discuter de l'opportunité de ce traitement.

Mais prendre des anti-dépresseurs, cela implique probablement que j'interrompe la relactation (je vous en reparlerai plus tard) et que nous fassions une croix sur notre espoir d'une nouvelle grossesse dans les semaines ou mois à venir.
Toujours est-il que, si elle me propose effectivement un traitement, ce ne sera pas pour moi mais pour Gaspard que je l'accepterai. Parce que je ne veux pas qu'il souffre de mon état. Car au final, le plus difficile à encaisser au sortir de cet entretien, c'est qu'il semble que je ne suis pas tout-à-fait à la hauteur pour m'occuper de Gaspard. Et si c'est comme ça que je suis censée lâcher prise par rapport à la culpabilité, c'est mal parti...

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Psychiatre - Épisode 1

Le 13 mai dernier, j'ai eu mon premier rendez-vous avec le Dr Terranova, une psychiatre spécialisée dans toutes les questions autour de la périnatalité. Je n'attendais pas grand-chose de ce rendez-vous, il faut dire que ce n'est pas vraiment moi qui l'avais sollicité.

J'ai donc eu affaire à cette psychiatre et à un étudiant en médecine qui s'est contenté d'assister, sans y participer, à l'entretien.
Le Dr Terranova est sans doute "familière" de ma situation mais j'ose espérer que si, à la faveur de ce rendez-vous, cet étudiant a découvert (rayez les mentions inutiles) le deuil périnatal d'un singleton, le deuil périnatal d'un multiple, l'interruption médicale de grossesse et/ou l'interruption sélective de grossesse, il a compris des choses, s'est posé et se posera des questions et fera preuve d'humanité et de compréhension s'il est de nouveau confronté à ce type de drame au cours de sa carrière.

Le Dr Terranova m'a reçue dans son bureau de l'hôpital psychiatrique à quelques kilomètres de chez moi. L'hôpital en lui-même est "accueillant" (beaucoup d'espace, de la verdure) mais dans le bâtiment où l'on m'attendait, l'ambiance n'était plus à la flânerie. Tandis que le rez-de-chaussée est consacré aux hospitalisations, le service de consultations se situe au premier étage, à première vue accessible au public uniquement par un escalier. Je m'apprêtais donc à porter Gaspard dans sa poussette pour atteindre le premier étage lorsqu'une soignante m'a aperçue à travers la porte vitrée fermée à clef séparant le hall du service d'hospitalisation et m'a proposé d'emprunter leur ascenseur de service.

Pendant le court instant où la soignante a refermé la porte vitrée derrière moi et a attendu l'ascenseur à mes côtés, un patient hospitalisé qui traînait dans le couloir a fixé obstinément Gaspard du regard - un regard qu'il m'a été impossible de déchiffrer : attendrissement, folie ? Rien de tel pour vous mettre dans l'ambiance et pour vous faire douter à la fois - et c'est paradoxal - de la pertinence de votre présence et de votre propre état mental. Pour résumer, cette question n'a cessé de faire des allers-retours dans ma tête : qu'est-ce que je fais là ?
D'ailleurs, à la fin de l'entretien, après avoir hésité un court instant à me laisser redescendre seule, la psychiatre elle-même m'a raccompagnée jusque dans le hall, hors secteur hospitalisation, justifiant sa décision d'une seule phrase : "il y a quand même des malades en bas".

Une fois arrivée dans le bureau de la psychiatre, j'ai à peine eu le temps d'ôter mon manteau et de découvrir un peu Gaspard qu'elle m'a lancé sans préliminaires : "Racontez-nous". Raconter quoi ? La grossesse ? La descente aux enfers depuis le 24 mai 2013 ? L'accouchement ? Le retour à la maison ? Comment j'ai atterri dans ce bureau ? J'ai finalement essayé de lui présenter un résumé de quelques phrases couvrant tous ces évènements.

Neuropédiatrie

Quand j'ai eu fini, elle n'a pas enchaîné tout de suite en rebondissant sur ce que je venais de lui dire ou en creusant tel ou tel aspect. Il y a eu un blanc - le premier d'une longue série au cours de cet entretien. Dans l'ensemble, il y a eu moins d'échanges qu'avec la psychologue du CHU mais le contexte est différent : elle est psychiatre et pas psychologue et elle découvre l'histoire "après la bataille" et non au fil de l'eau.

Elle m'a finalement et tant bien que mal interrogée sur différents aspects, dans le désordre :

  • Comment avions-nous accueilli l'annonce de la grossesse gémellaire ?
  • Comment s'était passé le retour à la maison avec Gaspard ?
  • Comment mon mari vivait-il la situation ?
  • Comment allais-je ?
  • Quelle relation avais-je avec Gaspard et quels sentiments éprouvais-je pour lui ?
  • Est-ce que je sortais et est-ce qu'il m'arrivait de rester enfermée plusieurs jours de suite ?
  • Avais-je toujours de l'appétit ?
  • Comment était mon sommeil ?
  • Avais-je toujours le goût pour les choses que j'aimais faire avant ?

Je lui ai également parlé spontanément :

  • du manque d'Élise,
  • de la culpabilité liée à la décision de l'ISG,
  • des difficultés liées au deuil périnatal.

Parmi les exemples qu'elle m'a demandés par rapport à ce dernier point, j'ai évoqué la phrase de la médecin de la PMI mais sans préciser de qui elle venait. J'ai hésité - j'aurais dû mais je n'ai pas osé parce que je ne voulais pas l'incriminer. Pourtant je sais que :

  1. ce n'est pas à moi de prendre soin des autres en ce moment - en tout cas pas des "étrangers" et pas comme ça ;
  2. si j'avais été plus précise, elle lui en aurait peut-être parlé et cette médecin aurait peut-être fait moins de gaffes face à d'autres parents ayant perdu un enfant.

Après ces échanges laborieux, et comme je ne savais toujours pas ce qu'elle attendait que je lui dise et ce qu'elle cherchait à comprendre ou à savoir dans mes paroles, j'ai fini par être franche : "je ne sais pas pourquoi je suis venue, je ne sais pas quel est le but de ce rendez-vous". C'est là qu'elle m'a enfin expliqué que son rôle était de déterminer si ma souffrance était normale dans le contexte ou s'il y avait un état pathologique - dépressif, appelons les choses par leur nom - derrière tout ça.

Elle m'a tenu le même discours que la psychologue du CHU lors de notre dernier RDV en février : elle n'est pas favorable aux traitements médicamenteux en cas de deuil (moi non plus, ça tombe bien), elle les juge artificiels et estime qu'un état dépressif n'est pas rare en pareille situation et peut même être nécessaire. Elle a au moins l'air de comprendre que pleurer son bébé est normal, même plusieurs mois après, et ne semble pas encline à me gaver d'anti-dépresseurs.

En lieu et place de ce traitement qui n'était pas à l'ordre du jour, elle m'a proposé un accompagnement à domicile par l'un des membres de son équipe : psychologue, puéricultrice, infirmière psychiatrique, etc. Dans mon cas et compte tenu de ce que je lui ai dit, elle a estimé que la psychologue serait la plus adaptée. Nous sommes alors convenues de nous revoir une quinzaine de jours plus tard pour en rediscuter et - si j'ai bien compris - pour que je rencontre la psychologue avant qu'elle ne vienne chez nous.