Aujourd'hui, nous avions rendez-vous avec le Pr Verspyck pour la consultation post-natale.
Je redoutais autant que j'attendais impatiemment ce rendez-vous.
L'appréhension de revivre ce que nous avons vécu tant de fois avant et après ce fameux 24 mai : la route jusqu'au CHU, le parking, l'enregistrement de notre visite à l'accueil, l'attente du rendez-vous.
L'appréhension de revoir le Pr Verspyck, tellement indissociable de ma fille et de son destin.
L'appréhension de retourner là où nous avons passé tant de temps cette année, là où nous avons appris la plus belle des nouvelles et où on nous a fait la pire des annonces, là où mon fils est né et où ma fille est morte.
Je vous passe les détails de l'examen clinique et de la prescription de séances de rééducation périnéale. Rien de bien intéressant ou différent de toute autre jeune accouchée à ce niveau-là.
Lorsque le Pr Verspyck a abordé la contraception, nous l'avons informé que nous ne souhaitions pas en reprendre, sous-entendant que nous souhaitions remettre en route un bébé rapidement. Nous avons enchaîné en lui demandant quand nous devrions nous inquiéter que ça ne fonctionne pas, entre l'allaitement (même s'il ne protège pas à 100%) et notre parcours d'AMP. À défaut de répondre clairement à la question (mais nous avons l'habitude, à force de le "pratiquer"), il nous a dit que tout était possible : que je retombe enceinte spontanément (d'après lui, 10 à 15% des grossesses post-FIV sont naturelles) ou que l'on doive repasser par l'AMP. Nous l'avons toutefois senti sur la réserve par rapport à notre désir de nouvelle grossesse si rapide, il nous a demandé comment je réagirais si je tombais enceinte dès demain. Je lui ai répondu que ça ne poserait pas problème, ce qui l'a clairement laissé sceptique. J'ai conscience qu'il est encore tôt, que cette nouvelle grossesse serait compliquée émotionnellement mais je sais que mes prochaines grossesses seront inévitablement compliquées, qu'elles arrivent dans un mois, un an ou dix ans. Il n'a pu que nous inciter à prendre notre temps... La nature décidera peut-être de l'écouter puisqu'elle n'en fait qu'à sa tête depuis le début...
Nous avons également parlé d'Élise, évidemment. Je crois même que c'est surtout d'elle que nous voulions parler à l'occasion de ce rendez-vous. Il n'avait malheureusement pas les résultats complets de l'autopsie d'Élise, uniquement la première partie de l'examen macroscopique. Manquaient la deuxième partie de cet examen et l'examen histologique. Le Pr Verspyck a tenté de savoir si ces résultats étaient disponibles, en vain. Nous lui avons dit que nous souhaitions les récupérer lorsqu'ils seraient prêts ; nous l'avons senti réticent, par rapport à l'aspect technique et déshumanisé de ces comptes-rendus, mais nous avons insisté pour obtenir tout ce qui concerne Élise. Il a alors promis de nous envoyer le compte-rendu final.
En réponse à nos questions, le Pr Verspyck nous a informés que l'autopsie n'avait pour l'instant pas permis de déterminer la cause des malformations faciales et cérébrale d'Élise, ajoutant que, dans de tels cas de syndromes polymalformatifs avec caryotype normal, leur origine restait quasiment toujours inconnue. Pour résumer, en l'état actuel des connaissances scientifiques, une seule explication : "la faute à pas de chance". Il faut donc que nous nous fassions à l'idée de ne jamais savoir ce qu'elle avait ni dans quel état, moteur et mental, elle aurait été si nous l'avions laissée vivre. Égoïstement sans doute, j'espérais que le rapport d'autopsie nous "conforte" dans notre décision en nous confirmant qu'elle aurait vécu une vie dont nous ne voulions pas pour elle.
Avant de nous confier une copie du premier résultat à sa disposition, nous avons bien senti que le Pr Verspyck a essayé de nous préparer au type de contenu que nous allions y trouver. Je savais à quoi m'attendre, j'ai parfaitement conscience de ce qu'impliquent une autopsie et un rapport d'autopsie, ne fût-ce qu'à travers le prisme, sans doute déformant, des polars que j'ai lus et vus. Mais entre l'approche rationnelle et distante véhiculée par les romans et la réalité appliquée froidement à son propre enfant, il y a un monde. En lisant moi-même le premier compte-rendu macroscopique, j'ai compris que le Pr Verspyck s'était contenté des données les moins violentes et que nous connaissions déjà plus ou moins : terme, sexe, poids, taille, anomalies faciales. Ce sont les autres éléments (que mon mari et moi souhaitions absolument connaître, ne serait-ce que pour en savoir le plus possible sur elle et sur ce qu'ils lui "ont fait" ensuite) qui ont donné une nouvelle dimension à la réalité d'Élise...
"Nature du prélèvement : foetus."
"Il s'agit d'un foetus de sexe féminin, non macéré. Il est examiné à l'état frais."
"L'encéphale a été prélevé."
"Congélation : poumon."
On a beau savoir à quoi s'attendre, l'émotion est vive...
En un peu plus de deux mois, Élise s'était désincarnée, était devenue irréelle, immatérielle, presque chimérique. Elle avait fini par devenir, jusqu'à ce matin, une image, un souvenir, une pensée, parmi les plus précieux de ma vie. Je croyais, à tort, m'être préparée à ce rendez-vous qui lui a brutalement redonné un corps, qui lui a redonné, de façon éphémère, les traits d'une réalité qui s'était peu à peu éloignée et qui est condamnée à s'éloigner de nouveau, à jamais cette fois.